Une poigne de velours

Diriger, elle adore ça ! Et elle n’a pas peur de brasser la cage. Après avoir mis le Parti Québécois au pas, Pauline Marois s’attaque à un nouveau combat : la défense de l’identité québécoise.

On cherchera en vain le croustillant dans Québécoise !, l’autobiographie de Pauline Marois, qui paraîtra ce printemps aux éditions Fides. Ni épanchements, ni révélations-chocs, ni règlements de comptes, rien pour exciter les chroniqueurs politiques ou faire les manchettes. « C’est une vie sans histoires », prévient la chef du Parti québécois. Mais elle voulait tout de même la raconter, cette vie, ne serait-ce que pour « laisser des traces ».

Pauline Marois dresse dans ce livre le bilan de ses principales réalisations politiques, de la création des centres de la petite enfance à l’instauration des commissions scolaires linguistiques. Elle s’attarde sur ses passages remarqués à la tête des ministères des Finances, de l’Éducation et de la Santé. Avec une certaine retenue, elle raconte aussi son histoire d’amour et son mariage heureux avec l’homme d’affaires Claude Blanchet, avec qui elle a eu quatre enfants.

Un an après son élection à la tête du Parti québécois, Pauline Marois fait montre d’une grande sérénité et prend manifestement goût à cette fonction à laquelle elle se préparait, presque malgré elle, depuis longtemps. « J’ai découvert que j’aime être la première responsable », avoue-t-elle. Son prochain cheval de bataille ? La défense de la langue française. « Pour les Québécois, c’est une question de survie », juge-t-elle.

L’actualité l’a rencontrée à son bureau de l’Assemblée nationale.

Quand on lit le chapitre consacré à votre courte, mais si heureuse retraite, on se demande : pourquoi est-elle revenue ? D’autant que le mouvement souverainiste et le Parti québécois ont connu des périodes plus effervescentes…

— C’est beaucoup plus difficile qu’à une certaine époque. Mais c’est quand ça va moins bien qu’on appelle les femmes au secours. Pourquoi suis-je revenue ? Parce qu’on ne peut pas, pendant 30 ans, mettre son énergie, son cœur et ses convictions pour faire avancer le Québec et refuser de relever le défi quand arrive un moment où on peut encore être utile. J’étais bien, loin de la politique ; mais l’engagement est profond.

Un an plus tard, vous ne regrettez pas ce retour ?

— Au contraire. J’ai découvert que j’aime être la responsable, la première responsable. Et je suis prête à assumer les bons coups comme les mauvais. J’aime ça et je ne m’en cache pas. C’est la première fois que ça m’arrive en politique. J’ai toujours eu des chefs, envers lesquels j’ai été loyale (même si certains ont cru que je pouvais ne pas l’avoir été). J’ai décidé que je serais moi-même, que je ne m’inventerais pas un personnage de leader. Je suis ce que je suis : Pauline Marois, avec 59 ans dans le corps, une belle vie sur le plan personnel, de beaux moments politiques, d’autres plus difficiles, plus déchirants. Je ne vais pas essayer de faire de l’esbroufe avec mon équipe.

Avez-vous «  dompté  » la faction plus radicale du PQ  ? En vous libérant du carcan du référendum obligatoire dans le premier mandat, avez-vous réussi là où vos prédécesseurs ont échoué  ?
— Je n’ai pas joué les matamores et je n’ai pas « dompté » le parti. Je l’aime, ce parti. J’ai cheminé avec lui, j’y suis enracinée. Ce que je souhaite, c’est que la stratégie qu’on a choisie soit la bonne.

Si, dans 10 ans, on met à jour votre biographie, quelle serait la grande réalisation que vous souhaiteriez que l’on rajoute  ?

— Que le Québec est un État social-démocrate riche, à l’image de l’Irlande, de la Norvège, de la Suède, du Danemark, dont le modèle a évolué et où le PIB par habitant est le plus élevé du monde. Mon rêve est que le Québec soit indépendant. La route est semée d’embûches. Alors, ce qu’on propose, c’est de faire avancer le Québec le plus loin possible, sur tous les fronts. Si on va chercher des pouvoirs, si on se définit mieux, peut-être que le Québec aura envie d’aller au bout de son rêve.

Pourquoi parlez-vous tant d’identité  ?

— L’ADQ avait tiré le tapis sous nos pieds parce qu’on avait renoncé à cette priorité. On en était à l’« approche citoyenne ». Or, pourquoi fait-on un pays ? Il faut revenir à l’origine de ce projet : l’identité, la langue, la culture, notre histoire commune. La capacité aussi d’accueillir à notre façon ceux qui viennent de partout. Ce n’est pas un nationalisme de repli sur soi, mais d’ouverture. Nous sommes des démocrates, des progressistes, ouverts sur le monde. Il faut être capable de se tenir debout, d’accueillir les nouveaux arrivants en français. Ailleurs dans le monde, les États ont des contrats d’intégration. Ici, tout le monde s’énerve parce qu’on parle d’en avoir un.

Ce virage a-t-il repositionné le PQ  ?

— Oui. On a remis le PQ sur ses bases. On a présenté deux projets de loi, qui ont été décriés. On n’a pas pu en débattre. Mais sur le terrain, les gens en général étaient contents. Ils disaient qu’il faut s’affirmer. Quand nous accueillons des gens dans notre maison, il faut leur dire qui nous sommes, quelles sont nos valeurs. L’ambiguïté, dans notre réalité sociopolitique, c’est que nous constituons une partie du Canada. Quand quelqu’un vient ici, il vient au Québec, mais il vient aussi dans l’ensemble canadien. Nous lui adressons un double message, celui du bilinguisme et celui du multiculturalisme. Il faut être fort en maudit pour y résister.

Si les Québécois vous élisent, quelle sera votre priorité ?

— Les questions d’identité. Les gestes de « gouvernance nationale » que nous proposons tournent autour de la langue et de l’identité. Nous allons ramener nos lois, que M. Charest ne veut pas étudier. Cela va nous « reconnecter » avec les Québécois. Je me promène beaucoup au Québec et bien des gens, pas toujours des souverainistes, me disent : « Madame Marois, n’oubliez jamais de défendre notre langue. »

Vous croyez rallier les Québécois autour de cette question ?

— La langue, c’est dans les tripes, dans l’inconscient collectif. Tout le monde a l’impression que c’est dépassé. Ce n’est pas vrai ! Communiquer, créer, participer au monde dans sa langue, c’est mobilisateur, ça permet de se dépasser. Les peuples qui s’assimilent sont des peuples qui meurent. On n’a pas envie de vivre ça.

Quelle est votre plus grande crainte pour l’avenir du Québec ?

— Voir les Québécois baisser la garde au sujet de la question de la langue. Si on la baisse, c’est la « louisianisation » du Québec ! Quand on veut prendre les moyens de protéger la langue française, en proposant par exemple une loi sur l’identité, les bien-pensants protestent : « On ne peut pas faire ça. » Pourquoi tous les autres peuples le font-ils et pas nous ?

Est-ce encore vrai, comme l’écrivait Françoise Giroud, qu’une « femme en politique n’a pas le droit d’être ambitieuse » ?

— J’ai connu bien des situations difficiles parce que j’étais une femme. On scrute notre habillement, notre allure. On m’a caricaturée avec des bijoux clinquants, de grosses écharpes. Je ne me pose pas en victime, dans ce livre. Ce n’est pas un essai féministe. Je voulais montrer ce qu’est la vie d’une femme en politique. Une femme ambitieuse, c’est péjoratif, négatif. Mais un homme ambitieux, c’est valable ! Quand on veut faire un pays, il faut de l’ambition. C’est vrai que je suis ambitieuse. Mais être ambitieuse, c’est vouloir réussir, progresser.

Pourquoi cette biographie ? Pourquoi maintenant ?

— J’y tenais, pour laisser des traces, dire aux gens : « Voilà, il est possible de concilier famille et politique, bonheur et engagement. » Ce travail d’écriture a été entamé pendant ma courte retraite. Je croyais que les gens me connaissaient puisque ça fait 30 ans que je suis dans le paysage. Mais j’ai compris que la mémoire collective est courte. Je me suis dit : « Tu veux être chef du Parti, chef du gouvernement, il faut que les gens aient quelque chose qui leur permette de voir ton parcours, ce n’est pas inintéressant. Surtout que tu vas pouvoir faire tomber quelques mythes ou préjugés qui te concernent. »

Votre vie est l’histoire d’une réconciliation entre le social et l’économique, qu’il s’agisse de votre vie privée (la travailleuse sociale a épousé un homme d’affaires) ou de votre carrière.

— Sur le plan personnel et sur celui de l’engagement, j’ai toujours tenté de réconcilier ces deux pôles. Je me définis comme une sociale-démocrate. Quand j’ai été ministre des Finances, les mesures que j’ai mises en place s’inscrivaient dans la trame de la lutte contre la pauvreté. Je suis constante dans mon engagement. Je vous jure, j’ai retrouvé des articles de 1982 dans lesquels j’explique que mon rêve est qu’il y ait des services de garde pour les familles, des congés parentaux…