Deux nouveaux sondages fédéraux ont été publiés cette semaine (les premiers sur le terrain en 2023), et si les chiffres diffèrent quelque peu entre les deux, ils montrent tous que les conservateurs ont pris les devants dans les intentions de vote au pays.
La maison Abacus Data donne 35 % d’appuis au Parti conservateur (PCC), quatre points de plus qu’au Parti libéral du Canada (PLC). Si cet écart demeure modeste, les données régionales accordent un avantage aux conservateurs grâce une égalité statistique en Ontario et à une avance de 7 points sur le Nouveau Parti démocratique (NPD) ainsi que de 14 points sur les libéraux en Colombie-Britannique, deux provinces où les conservateurs espèrent faire des gains nets lors du prochain scrutin.
De son côté, le sondage de Nanos Research a de quoi donner des cauchemars aux stratèges libéraux. Avec 36 % d’appuis d’un océan à l’autre, le PCC se trouverait huit points devant le PLC, qui glisse sous la barre des 30 % avec seulement 28 % de faveur au pays. Sans dévoiler les détails régionaux du sondage, Nanos Research mesure une avance de plus de 10 points pour le PCC en Ontario. Avec de tels chiffres, Pierre Poilievre pourrait rêver à une victoire claire sur le PLC — et s’approcherait même du seuil de la majorité.
La prudence est encore et toujours de mise malgré tout, particulièrement avec les résultats régionaux, qui contiennent une incertitude plus élevée. Un parti est rarement aussi fort que son meilleur sondage et rarement aussi faible que son pire sondage, alors il nous faudra d’autres enquêtes avant de confirmer ces avances conservatrices.
Rappelons que le PLC jouit toujours d’un avantage sur son principal rival, car le vote libéral est plus favorablement distribué au pays. Depuis 2015, le PLC a fait le plein de circonscriptions dans les centres urbains et les banlieues des grandes villes canadiennes (hors de l’Alberta), en plus de compter sur des appuis importants dans les provinces de l’Atlantique. De leur côté, les conservateurs ont dominé les régions rurales de l’Ontario et les provinces des Prairies, remportant plusieurs de ces circonscriptions avec plus de 50 % ou 60 % des suffrages. Mais une victoire, qu’elle soit par 5 points ou 50, ne donne tout de même qu’un seul siège au parti victorieux.
Les deux tableaux suivants illustrent bien le phénomène qu’on appelle l’« efficacité du vote ». Dans le premier, il s’agit de la plus récente projection de Qc125 pour le Parti conservateur (en x, la projection du vote ; en y, la projection de sièges).
Remarquez à quel point les cercles noirs, qui représentent les résultats des élections fédérales de 2019 et 2021, se trouvent complètement dans le bas de la distribution. Or, avec des appuis plus importants en Ontario selon les récents sondages, la distribution de cercles bleus se redresse — ce qui signifie que le PCC pourrait remporter plus de sièges par point obtenu si ces appuis régionaux se maintenaient ou se confirmaient. La ligne pointillée oblique est une approximation de la pente de la distribution : elle veut dire qu’avec les distributions régionales actuelles, le PCC peut remporter en moyenne huit sièges additionnels par point de plus obtenu au suffrage universel.
Comparons cette courbe avec celle du PLC sur le graphique ci-dessous. Remarquez à quel point le vote du PLC était efficace lors des élections de 2019 et 2021 (rappelons que c’est le PCC qui l’a emporté au suffrage universel, par un point, lors de ces élections !). La distribution actuelle du vote libéral demeure très payante : la pente moyenne est de 9 sièges par point de pourcentage.
Sauf que, et c’est là que le bât blesse pour les libéraux, un vote hautement efficace est un couteau à double tranchant : il signifie que, dans les intervalles actuels, un parti gagne beaucoup de sièges avec quelques points de plus... mais aussi qu’il en perd beaucoup avec quelques points de moins !
Si les chiffres de Nanos ne sont pas une anomalie statistique, le PLC peinerait à remporter de 110 à 120 sièges avec moins de 30 % des voix. Une défaite garantie pour Justin Trudeau et un poste de premier ministre du Canada plus que probable pour Pierre Poilievre.
Plaçons les deux distributions côte à côte :
L’efficacité du vote libéral est clairement exposée ici. Les points rouges se trouvent tous à gauche des points bleus : cela signifie que le PLC peut encore gagner plus de sièges avec moins de votes que le PCC. Cependant, si l’écart entre les deux partis continue de grandir, l’efficacité du vote libéral deviendra un boulet et non un atout.
À la lumière de ces nouveaux chiffres fédéraux, Justin Trudeau et son équipe doivent remercier le ciel d’avoir poussé le pays en élections prématurées à l’été 2021.
Pourquoi ? Certes, il est vrai que plusieurs observateurs avaient vertement reproché au premier ministre d’avoir provoqué un « scrutin inutile » à l’époque. D’ailleurs, lors des deux premières semaines de la campagne, en août 2021, Justin Trudeau avait été forcé de dépenser du temps précieux à justifier sa décision de lancer le pays en élections et, conséquemment, avait vu ses appuis fondre comme neige au soleil dans les sondages avant de reprendre du galon après les débats télévisés.
Toutefois, transportons-nous dans un univers parallèle où le PLC aurait choisi de ne pas déclencher d’élections à l’été 2021. Justin Trudeau aurait donc été contraint de retourner en campagne... en septembre prochain ! Avec l’incertitude économique actuelle, les taux d’intérêt élevés et l’inflation toujours présente, le contexte électoral aurait été incroyablement défavorable aux libéraux.
A posteriori, la victoire minoritaire de 2021 (et l’entente de coopération avec le NPD) aura au moins offert au PLC le luxe du temps. À moins d’un imprévu ou d’un scandale majeur, il ne devrait pas y avoir de scrutin fédéral avant au moins 2024.
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Tous les détails de cette projection fédérale se retrouvent sur la page de Qc125 Canada. Voyez la liste complète des sondages fédéraux ici.