
La revue Science jette un pavé dans la mare en pleine campagne électorale. Deux pavés, devrait-on dire: un éditorial et un article, tous deux très critiques de l’attitude du gouvernement Harper en matière de science et de recherche.
Il est pourtant rare qu’une revue scientifique importante – Science est une des plus renommées du monde – commente une campagne électorale canadienne. Si on y critique le gouvernement actuel pour ses actions qui «minent la science», «endommagent les institutions de recherche» et essaient de faire passer des «priorités politiques et idéologiques» avant les questions scientifiques, l’élection est dès lors présentée comme une occasion pour «rebooter» le tout.
Compressions importantes en recherche
Les auteurs dénoncent d’abord les compressions dans le financement de la recherche — d’une valeur de 600 millions de dollars par an — accompagnées de l’élimination de 2 141 postes de scientifiques. Celles-ci touchent les grandes agences par le biais desquelles le gouvernement finance la recherche au Canada. Par exemple, les Instituts de recherche en santé du Canada, qui financent une grande part de la recherche académique, ont vu leurs budgets réduits de 7 %, malgré la croissance des besoins, ce qui affecte autant les projets et les chercheurs que les centres de recherche eux-mêmes.
Et ce n’est pas seulement le niveau de financement de la recherche qui est dénoncé, mais aussi la manière de la faire. De nouvelles contraintes poussent les chercheurs à s’aligner sur les priorités gouvernementales, affirme Science, qui dénonce aussi les liens de plus en plus obligés avec l’industrie. En santé, par exemple, cela se traduit par des liens accrus avec l’industrie pharmaceutique. On affirme aussi que l’administration des agences de recherche se transforme, confiée de plus en plus à des représentants du monde des affaires plutôt qu’à des scientifiques.
Mais Science ne se contente pas de critiques, elle y va aussi de propositions. Souhaitant que la recherche devienne un enjeu public majeur – on peut douter que cela arrive un jour – elle demande au moins de sortir la politique de la science, afin de lui permettre de bien jouer son rôle. On propose la création d’un poste d’officier du parlement de la science et d’un comité consultatif composé de scientifiques, une proposition qui rejoint celles du PLC et du NPD.
Choisir un parti «scientifiquement»?
La revue Science se garde toutefois de recommander à ses lecteurs de voter pour un parti plutôt qu’un autre. Pour vous aider à choisir «scientifiquement» un parti, je vous présente l’évaluation réalisée par le Collège canadien des médecins de famille (CCMF), dans laquelle se trouve une analyse des forces et faiblesses des partis politiques face aux enjeux en santé, en médecine familiale et en recherche.
La notation utilisée est fort simple: rouge pour le manque d’engagement; jaune pour des engagements flous; et vert pour des engagements clairs et chiffrés. Notons que seuls les partis nationaux sont évalués.
Parti conservateur: c’est jaune partout
Tout est au jaune pour le financement, malgré certaines initiatives intéressantes comme «le Centre canadien d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement». Les fonds de recherche en première ligne sont toutefois jugés insuffisants en regard des réformes requises.
Pour ce qui est des communications en santé, c’est jaune aussi, pour l’inconstance de la qualité. On y critique notamment le retrait des fonds accordés à Cochrane, organisme international indépendant d’analyse et de diffusion des données scientifiques soutenu par l’OMS.
Parti libéral du Canada: vert à jaune
Le CCMF accorde le feu vert au PLC, pour son idée de créer un poste de directeur scientifique du parlement. Accroitre les ressources des comités parlementaires et diffuser les informations afin de favoriser des décisions politiques éclairées par la science sont aussi dans le programme du PLC. Notons que ceci rejoint les propositions évoquées par Science et le NPD.
De manière générale, le PLC est au jaune. On parle de recherche comme catalyseur du progrès. On promet un soutien accru à la communauté scientifique, incluant la santé. Mais on reste vague dans les propositions. Pour ce qui est des communications, les intentions sont louables, mais elles manquent de précision.
NPD: jaune et même un peu de rouge.
Le CCMF juge positivement la promesse d’augmenter le financement pour la recherche en santé, mais le Collège lui reproche de ne pas avoir suffisamment chiffré cet engagement. C’est donc jaune. Même cote pour les engagements non chiffrés à encourager la recherche en première ligne. Un peu de rouge, enfin, pour l’absence d’une stratégie de diffusion des connaissances de la recherche et le manque de précision des stratégies de communication scientifique en général.
Notons que le Parti vert du Canada est jugé positivement par le CCMF quant à ses orientations pour la recherche en santé – en vert et en jaune – et que le Bloc québécois n’a pas été évalué.
D’autres engagements importants
On se rappelle l’élimination par le gouvernement Harper de l’obligation de remplir le long questionnaire du recensement, ce qui mine la mise en place de politiques de santé publique adaptées. Or, le PLC s’est engagé à le remettre obligatoire, une bonne nouvelle.
Quant au NPD, il a proposé à la mi-septembre d’investir davantage dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer et la démence, ce qui est bienvenu. Il avait d’ailleurs déjà présenté, en octobre 2013, une stratégie nationale sur la démence, défaite en Chambre par une voix.
Enfin, tous les partis d’opposition semblent aussi manifester leur volonté de permettre aux scientifiques de se prononcer à nouveau publiquement, une autre bonne idée.
Ces informations vous permettront peut-être de méditer en prévision du vote de lundi. En attendant, réjouissez-vous, cette campagne interminable, qui nous en fait voir de toutes les couleurs, se termine dans quelques jours seulement!