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Pour la première fois, Internet entre dans l’arsenal stratégique de tout candidat. Mais l’engin a aussi son côté explosif.

Jean Charest, André Boisclair, Mario Dumont n’y échapperont pas. Tout au long de la campagne qui s’annonce, des cybermilitants des camps adverses, armés de cellulaires avec appareil photo intégré, seront à l’affût du moindre faux pas électoral. Et en moins de temps qu’il n’en faut pour faire un X sur un bulletin de vote, photos et vidéos auront fait le tour du Web!

Au sein de l’arsenal stratégique de tout candidat — poignées de main, soupers spaghetti, visites de résidences pour personnes âgées, etc. —, une arme prend de plus en plus de place: Internet, le porte-à-porte de l’avenir. Mais l’engin a aussi son côté explosif. Dans cette cyberguérilla électorale, on verra se déployer toutes les récentes innovations du Web: blogue, campagne virale, cybersurveillance, YouTube et autres Google Video. Pour la première fois, les aspirants députés devront se méfier du Web!

La photo du chef du Bloc québécois visitant une fromagerie, coiffé d’un bonnet blanc, avait été reprise partout et avait nui grandement à la campagne de Gilles Duceppe en 1997. «Imaginez à l’ère de YouTube…», dit Normand Miron, directeur de création interactive à Marketel, une agence de publicité montréalaise. «Le Web ne pardonne pas.»

Le sénateur républicain de la Virginie, George Allen, en a été victime au cours de la campagne de mi-mandat, en novembre dernier. Il a perdu son siège au Congrès en grande partie à cause d’une vidéo diffusée dans YouTube.com. Pendant un discours, Allen a montré du doigt un militant démocrate d’origine indienne et l’a traité de macaque. L’histoire a fait le tour des médias, figurant notamment au menu de l’émission satirique The Daily Show With Jon Stewart, sur la chaîne câblée Comedy Central.

Aux États-Unis, environ 15% des adultes ont suivi cette campagne sur le Web, selon le Centre de recherche Pew, organisme américain sans but lucratif qui publie des études sur la société états-unienne. C’est deux fois plus que lors de l’élection de mi-mandat de 2002!

Au Québec, au moment de la dernière élection générale, en 2003, 54% des adultes utilisaient Internet, selon une enquête menée par le Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO), en collaboration avec Léger Marketing. Aujourd’hui, c’est 68%.

Pas étonnant, donc, qu’Internet soit devenu une arme puissante dans l’arsenal des formations politiques. «Les partis américains ont des équipes qui interviennent dans les blogues et tentent de les influencer. Ils ont une véritable stratégie Web, contrairement aux partis du Québec, dit André Morrow, président de Morrow Communications Marketing. Au Québec, les vieux organisateurs de campagne n’y croient pas.»

Ce qui ne veut pas dire que les partis boudent le Web. En bons généraux, ils gardent jalousement secrets les détails de leur cyberguérilla. Mais L’actualité en a tout de même obtenu les grandes lignes.

À l’ère d’Internet, chacune des cinq formations politiques dispose d’un site Web, lequel lui permet de diffuser de l’information. «Au bulletin d’actualités, le parti ne bénéficie que de 20 secondes [pour exprimer ses idées]», dit Isabelle Melançon, directrice des communications du Parti libéral du Québec, qui pilote la campagne Web de ce dernier. «Grâce à la documentation dans le site, les gens peuvent aller plus en profondeur.»

Au cours de la campagne, le PLQ compte reprendre une initiative qui a connu du succès en 2003: les cartes postales, sur le principe des cartes de vœux électroniques. Les militants peuvent créer une carte formulant non pas des bons vœux, mais de bonnes raisons de voter libéral, et l’envoyer par courriel à leurs amis.

Le PLQ utilisera également la vidéo pour s’adresser aux électeurs. Des clips pourront en effet être regardés dans le site du parti. La directrice des communications refuse de préciser sur quoi ils porteront. «Ce sera de la télé en direct», dit-elle.

Le chef Jean Charest ne tiendra cependant pas de blogue. Chaque minute d’une campagne est comptée; or, «une personne qui a un blogue doit être devant son ordinateur pour répondre aux questions des gens, dit Isabelle Melançon. Il serait faux de leur dire que c’est Jean Charest qui est en train d’écrire.»

Au Parti québécois, la stratégie s’articule aussi autour du contenu diffusé sur son site Web. «Pendant la campagne, on va diriger les internautes vers d’autres pages Web, par exemple celle d’un reportage de Radio-Canada», explique Julien Baudry, responsable des nouveaux médias du PQ.

Assis devant son ordinateur portable, au café Laïka, boulevard Saint-Laurent, à Montréal, Julien Baudry me présente La nuit des longs couteaux. Cette vidéo de trois minutes montre, sur une trame sonore de film d’horreur, la reconstitution libre d’un épisode du rapatriement de la Constitution canadienne, en 1981, sans l’accord du Québec: Jean Chrétien, suivi des premiers ministres des provinces, se rend à la chambre d’hôtel de René Lévesque pour, laisse-t-on deviner, l’attaquer à coups de couteaux dans sa douche.

Dans la nuit du 4 au 5 novembre 2006, soit 25 ans après l’événement, un courriel a été envoyé à des milliers d’internautes — Julien Baudry refuse d’en divulguer le nombre exact —, les invitant à regarder le film et à inciter leurs amis à en faire autant.

Il s’agissait là de la première «campagne virale» du Parti québécois, selon une technique inspirée du marketing viral. Lancée par le Comité national des jeunes du PQ, l’opération a été un «succès», selon Julien Baudry. «La page Web de La nuit des longs couteaux a reçu en 48 heures autant de visites que le site du parti en deux semaines», dit le jeune homme de 26 ans. Le PQ pourrait répéter l’expérience de la campagne virale… ou peut-être pas, consent-on à dire au PQ.

À l’Action démocratique du Québec, on admet volontiers qu’«on ne va pas réinventer la communication politique dans Internet durant cette campagne». Comme le dit Guy Leroux, président de la Commission des communications: «On n’a pas les moyens de nos adversaires.»

À l’ADQ, au PQ et au PLQ, l’information véhiculée dans les sites est contrôlée par la direction du parti. C’est ce qu’on appelle, dans le jargon, l’approche top down (descendante). Cette gestion orientée du haut vers la base militante est d’ailleurs la norme dans les partis politiques canadiens, selon Alexander Langshur, président de PublicInsite, une société d’analyse d’Ottawa spécialisée dans l’utilisation d’Internet. Tout le contraire de l’approche américaine.

En janvier dernier, Hillary Clinton a annoncé dans Internet la création d’un «comité exploratoire» en vue de sa campagne à l’investiture présidentielle du Parti démocrate. Depuis, la sénatrice de l’État de New York a organisé trois séances de clavardage, au cours desquelles elle a répondu aux questions des électeurs, en direct, avec une webcaméra. Son site permet aussi aux militants d’annoncer une réunion locale ou d’en trouver une ayant lieu près de chez eux.

Cette approche, appelée bottom up (ascendante), a été popularisée par Howard Dean, candidat à l’investiture présidentielle du Parti démocrate en 2004. «On fournit les outils informatiques aux gens de la base pour qu’ils puissent s’organiser», explique Alexander Langshur.

Et c’est l’approche préconisée, au Québec, par le Parti vert et par Québec solidaire.

Le Parti vert du Québec compte notamment ajouter des hyperliens à son site pour inviter les internautes à consulter des «blogues verts». Le chef Scott McKay tiendra son propre blogue et répondra aux questions du public — une autre personne prendra parfois le relais. «Le blogue permet un contact un peu plus personnel avec les gens», dit Hervé Jodoin, 33 ans, directeur des communications du Parti et travailleur autonome en marketing.

Le Parti vert compte produire des vidéos avec son chef, des candidats et des électeurs. Le parti n’hésitera pas à les mettre en ligne dans YouTube ou un site similaire, dit Hervé Jodoin.

L’équipe de Québec solidaire s’est elle aussi inspirée du site de Howard Dean ainsi que de ceux des candidats à la présidentielle française Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. C’est la base qui alimentera le site du parti durant la campagne. «Cela colle à la culture très décentralisée de Québec solidaire», dit André Bélanger, responsable des communications. Le parti n’a pas de chef, mais deux porte-parole, Françoise David et Amir Khadir. «Cette approche [bottom-up] est un pari de pauvres», précise le bénévole de 44 ans.

Québec solidaire n’a pas les moyens d’acheter de la publicité à la télé, à la radio ou dans les journaux. Mais il peut compter sur des pionniers du Web, dont André Bélanger. Ex-directeur de l’information à Netgraphe, le consultant était jusqu’à tout récemment chef du marketing Internet au Cirque du Soleil.

Tout comme le Parti vert, André Bélanger a adopté le même système informatique de gestion de contenu que les militants de Howard Dean en 2004. Grâce à ce logiciel — gratuit —, chaque circonscription dispose de son propre site et partage son contenu avec le site national. «On va inviter les gens [des blogueurs, par exemple] à s’approprier notre contenu et à le diffuser ailleurs», explique André Bélanger.

Tout au long de la campagne, deux militants du parti suivront Françoise David et Amir Khadir et écriront des textes. Québec solidaire aura également recours à la vidéo. «On va aussi essayer une opération virale», dit André Bélanger.

Ces dernières années, certains candidats ont élaboré leur propre stratégie. Ainsi, Stéphane Bergeron, député péquiste de Verchères, achète des mots-clés dans des moteurs de recherche pour attirer des visiteurs dans son site: lorsqu’un internaute fait une recherche à l’aide de Google et tape «mont Orford» ou «développement durable», il voit apparaître, à la droite des résultats, un lien vers le site de Stéphane Bergeron, dans une colonne appelée «liens commerciaux».
«C’est un jeune bénévole, informaticien, qui a eu cette idée», dit Stéphane Bergeron, fier de cette «innovation» dans l’univers politique. Le porte-parole de l’opposition officielle en matière d’environnement met aussi en ligne des extraits de ses allocutions à l’Assemblée nationale, en mode baladodiffusion. «Pendant la campagne, je tiendrai probablement, pendant quelques heures, une séance de clavardage avec les électeurs», dit-il.

Aux États-Unis, les partis ont recours à des sociétés qui surveillent ce qui se dit à leur sujet sur le Web, dit Andrea Doyon, président de Hue agence média. Cette entreprise, située à Montréal, passe en revue les blogues, forums de discussion et autres sites de la Toile pour connaître la perception qu’ont les internautes de ses clients. Aucun parti politique du Québec n’a encore fait appel à Hue agence média. «Mais nous avons récemment fait du monitorage [de la surveillance] pour une municipalité», dit Andrea Doyon, qui ne peut dévoiler le nom de ce client.

Décidément, on n’a plus les campagnes électorales qu’on avait! Pour le meilleur… et pour le pire.