Très peu de parents québécois sont farouchement opposés à la vaccination, puisque, selon des données de 2019, 99 % des petits Québécois âgés de deux ans ont déjà reçu au moins une injection. Pourrait-on atteindre un score aussi élevé contre la COVID-19 chez l’ensemble des Québécois qui peuvent être immunisés ? « Ce n’est pas impossible. Tout dépend de l’énergie qu’on veut y consacrer et des stratégies qu’on met en place », estime Ève Dubé, anthropologue spécialiste de l’hésitation vaccinale à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Une toute petite fraction de la population ne peut pas être vaccinée pour des raisons médicales. Aucun vaccin n’est encore approuvé pour les moins de 12 ans et on ne sait pas s’il sera un jour conseillé de leur en donner un. Il y aurait donc pour l’instant environ 87,5 % de la population totale qui pourrait être immunisée. Si autant de gens étaient vaccinés, cela ne suffirait peut-être pas pour atteindre l’immunité collective, à cause de l’arrivée du variant Delta très contagieux, mais cela minimiserait à coup sûr le nombre de décès et d’hospitalisations.
Ève Dubé et d’autres spécialistes estiment à moins de 2 %, au Québec comme ailleurs au Canada, la proportion de personnes qui avant la COVID étaient absolument opposées à la vaccination. Combien y a-t-il aujourd’hui d’indécis qu’on peut encore espérer convaincre ? Le sondage sur les comportements et attitudes des adultes québécois, mené toutes les deux semaines depuis décembre 2020 par Ève Dubé et ses collègues de l’INSPQ, donne une idée du défi. Le 7 juillet, date des plus récentes réponses obtenues, environ 6 % des sondés n’avaient pas l’intention de se faire vacciner, un chiffre en constante diminution depuis les 14 % mesurés en janvier. « On sait que ce sondage sous-estime l’hésitation vaccinale d’environ 5 %, mais cela ne change rien à la tendance », précise Ève Dubé.
Voici 10 pistes à suivre pour inciter les personnes hésitantes et récalcitrantes à se joindre à l’effort collectif.
1. Multiplier les approches
Si, pour établir un profil type, on extrayait du sondage les caractéristiques les plus fréquentes des personnes qui n’ont pas l’intention de se faire vacciner, on obtiendrait un homme jeune, sans enfants, peu scolarisé, au chômage, qui a une vision du monde complotiste, habite en région et ne suit pas toujours les recommandations sanitaires.
Sauf qu’en réalité, bien des indécis ne correspondent pas du tout à ce profil ! Les gens qui n’ont pas encore été vaccinés n’ont pas tous les mêmes motivations. Certains ont peur parce que les vaccins sont nouveaux ou parce qu’on a beaucoup parlé de possibles effets secondaires. D’autres ne voient pas l’intérêt d’être vaccinés parce que la maladie ne les inquiète pas, car ils pensent être mieux protégés par leur immunité naturelle ou en faisant très attention de ne pas être contaminés.
Critiquer les non-vaccinés pourrait renforcer
le sentiment d’appartenance de certains
au groupe de « résistants » auquel ils s’identifient.
D’autres encore n’ont pas confiance dans le discours des autorités, croient à un complot ou, tout simplement, ne comprennent pas comment prendre un rendez-vous ou ne trouvent pas le temps de le faire. « Pour atteindre le plus de gens possible, il faut donc multiplier les stratégies et les messages », explique Ève Dubé. Certains pourraient changer d’avis avec des informations détaillées sur les risques, d’autres avec un centre de vaccination sans rendez-vous ou tout près de chez eux, d’autres encore avec des informations locales sur les éclosions, des témoignages de vedettes à la télévision, une vidéo sur TikTok, la perspective de gagner un gros lot, de ne plus pouvoir voyager…
2. Arrêter de blâmer ceux qui hésitent
Lors d’une pandémie, c’est un réflexe humain que de chercher des boucs émissaires. L’hiver dernier, même si les snowbirds ont été responsables d’une infime proportion des cas de COVID, ils se sont fait traiter de tous les noms ! C’est maintenant au tour des jeunes d’être souvent accusés d’être irresponsables, puisqu’ils constituent le groupe d’âge le moins vacciné. Mais l’écart avec les autres groupes n’est pas énorme, puisque près des trois quarts d’entre eux ont déjà reçu une dose de vaccin. Par ailleurs, les jeunes ont surtout un comportement typique de leur âge : ils sont plus insouciants. Et ils ont aussi moins peur de la COVID, qui les menace moins directement que les gens plus âgés.
En réalité, les jeunes ne sont pas particulièrement réfractaires à la vaccination, selon Ève Dubé. Leur faciliter la tâche en leur offrant des occasions d’aller se faire vacciner sans que cela leur demande trop d’efforts, pour que ce ne soit pas constamment reporté dans leur liste de priorités, tout en leur répétant souvent de ne pas oublier de passer à l’acte, sera beaucoup plus efficace que de les blâmer. D’ailleurs, critiquer les non-vaccinés est contre-productif : cela ne convaincra pas les personnes qui hésitent, et pourrait au contraire renforcer le sentiment d’appartenance de certains au groupe de « résistants » auquel ils s’identifient.
3. Dissiper les craintes
Selon Ève Dubé, la peur du vaccin, et surtout de ses effets secondaires, est le principal frein à la vaccination au Québec, plus que le manque de confiance. Beaucoup d’hésitations sont motivées par la nouveauté des vaccins et le fait qu’on ait amplement parlé des risques graves — même s’ils sont extrêmement rares — ainsi que des effets indésirables bénins, mais désagréables et fréquents, comme la fièvre, les maux de tête ou les douleurs musculaires.
Larmes, évanouissements ou regards crispés
ne sont pas rares dans les centres de vaccination.
« La peur est ce à quoi on devrait s’attaquer en priorité, même si ce n’est pas facile à faire dans le cadre d’une grande campagne de santé publique », dit Ève Dubé. Pour rassurer les gens, il faut par exemple répéter que les risques des vaccins sont infimes et que toutes les précautions ont été prises bien qu’ils aient été conçus rapidement, alors que la maladie tue et occasionne beaucoup de souffrance.
Il faut aussi reconnaître que la peur existe et qu’elle est normale. Un message purement rationnel ne suffit pas pour lutter contre une émotion qui peut être très vive. Cependant, faire circuler des images saisissantes de la maladie n’aide pas. Cela ne fait qu’effrayer davantage les gens qui sont très anxieux… et qui sont probablement déjà vaccinés. Le témoignage de quelqu’un qui a vaincu sa crainte pourrait être beaucoup plus efficace. Mais le gouvernement hésite à recourir à des histoires vécues, pour ne pas exposer les personnes à la vindicte de ceux et celles qui s’opposent aux vaccins.
4. Discuter sans juger
Pour inciter les parents à faire immuniser leurs nourrissons avec les vaccins prévus dans la petite enfance, la stratégie la plus efficace est l’« entretien motivationnel ». « C’est une rencontre en personne qui permet par exemple à un médecin ou à une infirmière de discuter des interrogations ou hésitations, sans jugement et avec empathie », explique Ève Dubé.
Contre la COVID, les ressources humaines sont limitées pour mener rapidement ce genre d’entretien à l’échelle du Québec. Mais chacun peut contribuer en essayant d’avoir une discussion avec ses proches hésitants. Des organismes communautaires, comme des groupes d’entraide ou de soutien à des personnes vulnérables, peuvent aussi mettre la main à la pâte en échangeant avec les indécis qui font partie de leur clientèle, à condition de s’être au préalable bien documentés pour apporter des réponses fiables.
5. Reconnaître la peur des aiguilles
Il suffit de passer quelques heures dans un centre de vaccination pour constater que recevoir une injection représente tout un stress pour certaines personnes, qui ont dû faire preuve de beaucoup de courage pour affronter leurs craintes. Larmes, évanouissements ou regards crispés ne sont pas rares. Un adulte sur dix et un enfant sur quatre ont peur des aiguilles, et la phobie de certains peut les amener à refuser toute injection, même quand ils sont persuadés de l’intérêt du vaccin. Anna Taddio, professeure à l’Université de Toronto, a montré que 8 % des adultes et 7 % des enfants qui ont déjà refusé un vaccin l’ont fait par peur de l’injection.
Le Centre for Addiction and Mental Health de Toronto a mis sur pied un centre de vaccination contre la COVID spécialement pour les gens souffrant de cette phobie. Les candidats à la vaccination sont reçus dans des locaux où aucune seringue n’est visible. Ils peuvent recevoir leur dose dans une salle séparée, avec une crème anesthésiante au point d’injection, en restant couchés s’ils le souhaitent, avec un accompagnateur et après avoir pris autant de temps que nécessaire pour se détendre.
Tout au plus quelques dizaines de Québécois
ont de véritables contre-indications
les empêchant d’être vaccinés contre la COVID-19.
Au Québec, la communication gouvernementale est muette sur cette crainte pas toujours facile à avouer, particulièrement pour les adultes. Si une personne de votre entourage semble trouver toutes sortes de prétextes pour ne pas aller se faire vacciner, cela vaut la peine d’essayer de l’aider, en abordant le sujet avec empathie.
6. Renforcer la norme sociale
« La norme sociale est l’élément qui influence le plus les indécis », affirme Ève Dubé. Souvent, c’est de savoir tout son entourage vacciné qui fait que certains finissent par céder. Sermonner ceux qui hésitent risque d’être peu efficace. Par contre, dire que vous êtes vacciné aux gens qui vous apprécient fera peut-être pencher la balance.
7. Manier le bâton…
« La littérature scientifique sur l’hésitation à l’égard de la vaccination montre que les mesures coercitives ont habituellement un effet positif sur le taux de vaccination », explique Ève Dubé. Quand, historiquement, des vaccins ont été rendus obligatoires pour exercer certains métiers ou pour inscrire un enfant à l’école, les taux de vaccination ont généralement augmenté, même si une telle obligation peut engendrer d’autres problèmes, comme un vif mécontentement, des démissions ou des recours en justice. « Dès qu’il a été annoncé, le passeport sanitaire français a fortement augmenté le taux de vaccination, ce qui laisse penser que cette mesure peut être efficace », avance Ève Dubé.
8. … et la carotte
Dans les derniers mois, plusieurs gouvernements ont entrepris de récompenser les personnes acceptant de se faire vacciner avec une multitude de petits cadeaux, de l’argent, ou encore avec une loterie comme celle mise sur pied par le gouvernement du Québec. « On espère que cela aidera à convaincre certaines personnes, mais on ne s’attend pas à un fort effet », dit Ève Dubé. L’expérience mérite toutefois d’être menée, selon la chercheuse, car la littérature scientifique comporte très peu d’études sur la récompense comme solution à l’hésitation vaccinale. La pandémie est une excellente occasion de documenter cette question.
9. Faciliter l’accès au vaccin
Chez les personnes hésitantes qui ont répondu au sondage de l’INSPQ, une personne sur dix et une sur six chez les moins de 30 ans ont affirmé que les contraintes de leur vie quotidienne pourraient les empêcher de se faire vacciner. « On sait aussi que certains vont accepter l’injection s’ils se retrouvent à un endroit où ils peuvent le faire sans avoir eu à effectuer quelque démarche pour y parvenir », explique Ève Dubé. Après l’ouverture des centres de vaccination sans rendez-vous ou aux horaires prolongés, les directions régionales de santé publique vont maintenant, autant que possible, chercher les personnes à vacciner là où elles se trouvent. Autobus sillonnant les rues, tentes dans des parcs ou d’autres lieux fréquentés, comme on l’a vu lors du Festif ! de Baie-Saint-Paul ou à La Ronde… Ces stratégies fonctionnent, même si elles sont plus coûteuses en temps et en énergie que les centres de vaccination.
10. Bien informer les gens des contre-indications
On ne sait pas exactement combien de personnes ont une bonne raison médicale de ne pas recevoir le vaccin. Dans le sondage de l’INSPQ, 5 % des répondants ont invoqué cette raison pour justifier le fait qu’ils ne soient pas vaccinés. Mais bien des gens se croient peut-être plus à risque qu’ils ne le sont. Parmi les personnes allergiques, par exemple, seules celles ayant déjà eu une réaction anaphylactique au polyéthylène glycol ne peuvent pas recevoir de vaccin à ARN, et celles ayant une allergie au polysorbate ne peuvent pas recevoir le vaccin d’AstraZeneca. Celles qui ont eu un choc anaphylactique, ou une autre réaction grave à la suite de la première dose, comme une thrombose ou une myocardite, ne devraient généralement pas recevoir de deuxième dose. Cependant, toutes ces contre-indications ne concernent probablement que quelques dizaines de personnes, tout au plus, au Québec.
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Merci pour toutes ces bonnes idées!
Moins diplomate, j’ai le goût de dire simplement aux gens toujours non-vaccinés pour des raisons non médicales: Pensez aux autres et arrêtez de ne parler que de vos droits. Demandez-vous plutôt quels sont vos devoirs et vos responsabilités?
Merci d’enfin parler de la phobie des vaccins, je fais partie des gens qui ont une phobie extrême des injections et c’est pour cette raison que je n’ai toujours pas eu le vaccin mais je ne suis pas anti-vax, au contraire. Je voudrais faire partie des gens vaccinés et faire ce qu’il faut pour la santé publique mais ma phobie est tellement intense que je n’y arrive simplement pas. Je pense qu’il serait très bénéfique que le Québec commence à parler un peu plus de cette phobie, et commence à aider ce groupe dont je fais partie à aller se faire vacciner.
J’ai éclaté en sanglots tout de suite après l’injection de la vaccination contre la grippe l’automne dernier. J’étais anxieuse donc crispée et cela m’avait fait mal. J’ai prévenu le vaccinateur pour ma 1ère vaccination covid. Nous parlions et faisions des blagues puis c’était terminé. Je n’ai rien senti. Le 2ème vaccin covid s’est très bien passé aussi.