8 idées pour éviter la catastrophe

Deux degrés : c’est l’augmentation maximale de température moyenne que la planète peut se permettre d’ici la fin du siècle. Voici des moyens d’y arriver.

Climat : 8 idées pour éviter la catastrophe
Photo : Ian Barrett/PC

La grand-messe annuelle du climat sera dite cette année à Copenhague, au Danemark, du 7 au 18 décembre 2009. Dite, mais pas chantée. Elle risque même de… faire déchanter.

Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, ces mégaconférences de l’Organisation des Nations unies ? Peut-être. Protocole de Kyoto ou pas, les humains rejettent de plus en plus de CO2 dans l’atmosphère : au moins 500 milliards de tonnes depuis 1990, année de référence à partir de laquelle on mesure les changements climatiques. Par rapport à 1990, il y a des millions de voitures de plus sur les routes. Plus de déplacements, plus d’échanges commerciaux, plus de bétail dans les pâturages, plus de pollution dans plus d’endroits. Moins de forêts, moins de biodiversité, moins de glace en Arctique et dans les glaciers de montagne, moins de poissons dans les océans.

Et le climat s’est détérioré, pas amélioré. La température moyenne des terres et des océans augmente constamment et de plus en plus vite. Année après année, les prévisions des scientifiques sont démenties… par des prévisions plus inquiétantes.

Pourtant, ici et là, on refuse de céder au pessimisme. Des moyens de limiter les dégâts existent. Ou pointent à l’horizon de 2020 ou de 2030, autrement dit demain. Tout n’est pas définitivement joué.

Ni perdu. On peut encore faire quelque chose pour que la température du globe n’augmente pas de plus de deux degrés d’ici la fin du 21e siècle. Deux degrés, c’est le seuil à ne pas franchir si l’on veut éviter la catastrophe. Si l’on y parvient, on aura eu chaud. Mais on n’aura pas cuit tout rond dans la marmite du réchauffement climatique.

1. MIEUX CONSOMMER

L’humanité aura émis, en 2009, plus de 28 milliards de tonnes de CO2. Elle en rejettera 3 % de plus dans l’atmosphère en 2010. Or, il faudrait diminuer ces émissions de presque la moitié. Comment ? D’abord, en économisant l’énergie.

Qu’on le veuille ou non, la production d’énergie continuera de dépendre majoritairement des combustibles fossiles – pétrole, gaz et surtout charbon – au moins jusqu’au milieu du siècle. Moins on consomme d’énergie, moins on émet de gaz à effet de serre. Directeur de la Chaire en éco-conseil, à l’Université du Québec à Chicoutimi, le biologiste Claude Villeneuve n’y va jamais par quatre chemins. « Des solutions technologiques immédiatement applicables existent. Il faut un signal économique et politique clair. »

Les économies d’énergie les plus faciles (lire : les moins coûteuses) peuvent être faites dans le secteur du bâtiment. Mieux isoler, chauffer avec autre chose que du pétrole, exploiter le solaire passif : on peut facilement atteindre plus d’efficacité énergétique. À Montréal, l’utilisation du solaire (notamment par un grand mur de capteurs) dans le nouveau pavillon de l’École de gestion John-Molson, de l’Université Concordia, est un exemple de ce qu’on sait faire.

Le transport aussi pourrait y aller de sa contribution. « En appliquant la norme européenne de vitesse maximale pour les camions sur les autoroutes, soit 90 km/h, on éviterait des millions de tonnes d’émissions », dit Claude Villeneuve. Le biologiste suggère d’autres mesures : interdire les démarreurs à distance ; augmenter « d’une main de fer » la taxe de vente sur les véhicules trop gourmands en carburant ; installer un système qui coupe le moteur quand la voiture est immobilisée.

Économiser l’énergie, c’est aussi restreindre l’espace habité en freinant l’expansion des banlieues, développer les transports en commun fonctionnant à l’électricité. Et acheter localement, en choisissant des produits de proximité. « Faire la cuisine au lieu d’acheter des plats préparés à des kilomètres de sa table, c’est limiter les émissions de gaz à effet de serre », ajoute le prof en éco-conseil.

2. METTRE UN PRIX SUR LE CARBONE

Combien vaut, en dollars ou en euros, une tonne de CO2 ? Dans la foulée du protocole de Kyoto, on a mis en place un programme d’échanges de droits d’émissions. Une entreprise génère moins de gaz à effet de serre que ce à quoi elle a droit ? Elle vend ses « non-émissions » à une société qui a dépassé son quota. À quel prix ? Celui que la Bourse du carbone détermine, comme le fait n’importe quelle Bourse, par le jeu de l’offre et de la demande.

Le système fonctionne dans les pays européens, avec plus ou moins de bonheur. Il n’est pas encore en place dans les autres pays industrialisés, sauf à petite échelle, et on s’y soumet volontairement. On a qualifié ces droits d’émissions de « droits de polluer ».

Dans le livre très fouillé Alerte ! Le Québec à l’heure des changements climatiques, qu’il vient de publier aux Éditions du Boréal, l’écologiste Steven Guilbeault ne se montre pas très favorable à ces Bourses du carbone. Après tout, note-t-il, les mécanismes de marché n’ont pas été capables « de prendre en compte les coûts de la pollution pour fixer les prix ». On voit mal comment ces mêmes mécanismes pourraient contribuer à régler le gigantesque problème de pollution que constituent les gaz à effet de serre.

De plus en plus, on se tourne vers la taxe sur le carbone, que beaucoup estiment plus simple et plus efficace qu’un système de crédits et d’échanges fondé sur le modèle de la Bourse. Taxer le carbone, c’est faire payer plus cher les combustibles fossiles aux consommateurs et aux entreprises dans le but de les inciter à choisir des solutions vertes pour les déplacements et le chauffage. Avec le produit de la taxe, l’État finance des programmes écologiquement rentables, par exemple le développement des énergies propres, l’amélioration du transport en commun ou l’aide à l’achat de voitures hybrides.

En Europe comme aux États-Unis, remarque Steven Guilbeault, l’idée d’une fiscalité qui tienne compte de la pollution par le CO2 fait son chemin. Le président Sarkozy « se fait le champion de la taxe sur le carbone ». Pour le militant du climat, « nous entrons dans une nouvelle ère. L’époque historique où « tout doit passer par le marché » touche à sa fin. »

3. PIÉGER ET STOCKER LE CO2

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) lui a consacré un rapport en 2005. Le magazine américain Science y est allé, en septembre dernier, d’une section de 20 pages sur le sujet. L’accompagnait un éditorial signé par nul autre que le secrétaire à l’Énergie des États-Unis, le Prix Nobel de physique Steven Chu, dont le ministère investira 3,4 milliards de dollars dans la recherche sur ces technologies. Décidément, le piégeage-stockage du carbone est une idée qui semble vouloir se concrétiser.

Cette idée va comme suit. Nous aurons encore, et pendant longtemps, des centrales électriques qui brûleront des combustibles fossiles, notamment du charbon. Pour réduire leurs émissions de CO2, il faut les équiper de systèmes qui récupèrent ce gaz avant qu’il soit rejeté dans l’atmosphère. Celui-ci est ensuite comprimé, liquéfié, puis stocké, idéalement pour toujours, dans des formations géologiques, par exemple d’anciens puits de pétrole ou de gaz.

Une vingtaine de systèmes de piégeage-stockage du carbone sont en fonction ou en construction dans le monde, dont un au Canada. Du CO2 récupéré dans une centrale du Dakota du Nord est liquéfié et acheminé par pipeline à Weyburn, en Saskatchewan. Là, on l’injecte sous pression dans un puits pour faire remonter le pétrole à la surface et ainsi en extraire davantage.

Ces technologies, avance Science, sont « un moyen attrayant » pour réduire les émissions de CO2. Le hic, nuance le magazine, c’est qu’elles ne sont pas encore au point, qu’elles sont coûteuses et elles-mêmes énergivores. Leur mise en œuvre à grande échelle dans un avenir proche n’est pas certaine. Et elles constitueront des solutions temporaires, les espaces de stockage restant limités.

Une bonne idée quand même ? L’actuel gouvernement canadien l’aime beaucoup. Mais bien des écologistes se méfient de ce qui leur apparaît comme un pari d’ingénieurs. « Je reste prudent, dit Steven Guilbeault. C’est une solution « au bout du tuyau », pas en amont du problème. Le comble, c’est que l’État la finance avec l’argent qui devrait servir au solaire et à l’éolien ! »

4. SE MOBILISER

C’est bien connu, les gouvernements n’agissent que lorsqu’ils y sont obligés. « Les politiciens sont élus pour faire croître le PIB, un indice qui possède une importante composante carbone, remarque Claude Villeneuve. Nous sommes dopés à la croissance, et la croissance se nourrit de carburants fossiles. »

Mais la « mobilisation citoyenne » pour la cause des changements climatiques n’est plus seulement le fait de petits groupes de militants écologistes. Dans tous les milieux, des gens leur emboîtent le pas. Dominic Champagne, auteur et metteur en scène de spectacles à Las Vegas, et Jean Lemire, biologiste, cinéaste et âme de la mission du Sedna en Antarctique, mettent la dernière main à leur spectacle Paradis perdu. Celui-ci sera présenté à la Place des Arts, à Montréal, du 26 janvier au 6 février, sur une musique signée Daniel Bélanger.

Champagne et Lemire portent ce spectacle depuis trois ans. Ils hésitent « entre une ode à la beauté du monde et l’inquiétude devant une catastrophe écologique toujours possible ». Ce qu’ils veulent, c’est « toucher le cœur des gens », dit le premier. Et « rêver qu’on peut changer le monde par la sensibilisation », ajoute le second.

« Si je fais ce spectacle, dit Dominic Champagne, c’est parce que j’ai un jour été touché par L’homme qui plantait des arbres, le film de Frédéric Back. » Jean Lemire rappelle qu’en 1992, lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, l’appel des scientifiques était presque passé inaperçu. « Les choses ont changé. Les gens se mobilisent. Mais nous disposons de peu de temps. »

5. ROULER SANS PÉTROLE

Pierre Langlois y croit dur comme matériaux composites : les autos, camions ou bus pourront se passer d’essence ou de diesel d’ici 2035 – les carburants fossiles causent actuellement près de 15 % des émissions mondiales de CO2.

Dans son ouvrage Rouler sans pétrole (Éditions MultiMondes), le physicien et vulgarisateur scientifique se livre à une analyse serrée des moyens de transport de personnes et de marchandises. Ceux d’aujourd’hui, équipés d’un moteur à explosion, très inefficace sur le plan énergétique et grand émetteur de gaz à effet de serre. Et ceux de l’avenir, dont l’auto électrique, hybride ou pas, idéalement rechargeable et propulsée par des moteurs-roues. Sans oublier les camions hybrides, qui ne sont plus seulement de l’ordre du rêve. Ni les autobus électriques, qui « biberonnent » leur recharge d’électricité de station en station, tout le long de leur circuit.

« Les technologies sont au point ou à portée de main », dit Pierre Langlois. Exemple : les superbatteries qui arrivent sur le marché. Rechargeables en 10 minutes, elles donneront une autonomie d’une centaine de kilomètres. « Et si on les louait au lieu de les acheter, le forfait mensuel et le coût de la recharge ne dépasseraient pas la facture d’essence d’une voiture ordinaire », ajoute le physicien.

D’ici une ou deux décennies, 70 % des déplacements pourraient se faire au moyen de l’électricité, le reste avec des biocarburants. Des biocarburants de deuxième génération, produits par exemple avec des algues dans des bioréacteurs, plutôt qu’avec du maïs qui pousse sur des terres agricoles.

La ponction sur les réseaux électriques ne sera pas trop lourde, estime Pierre Langlois : 6 % de plus au Québec, 12 % en France, 19 % aux États-Unis, et cette électricité proviendra de plus en plus de sources propres et renouvelables, comme le vent ou le soleil. « De toute façon, dit-il, on n’aura pas d’autre choix que de prendre le virage du véhicule électrique. Le pétrole va se faire rare, donc cher, alors que les coûts des voitures électriques diminueront. En 2020, je parie que le parc automobile émettra déjà moitié moins de CO2 qu’aujourd’hui. »

6. PLANTER DES ARBRES

Une façon de piéger et de stocker du carbone, c’est de faire pousser des arbres. La technique est simple et peu coûteuse. La reforestation est une manière de nettoyer l’atmosphère d’une partie du CO2 que l’humanité y a envoyé.

Claude Villeneuve a démontré, avec ses collègues, le potentiel considérable de la forêt boréale pour le piégeage-stockage du carbone. « Mais à condition qu’elle soit en place pour longtemps, insiste-t-il. Planter des arbres ne doit pas nuire à d’autres activités humaines, comme l’agriculture. Ni mettre en péril la biodiversité du milieu. »

Une personne désireuse de réduire son empreinte écologique sur l’environnement peut compenser ses émissions personnelles de gaz à effet de serre grâce au programme Carbone boréal, de l’équipe de Claude Villeneuve. Une contribution de 28 dollars lui permet de « racheter » une tonne de CO2 et de contribuer à financer la plantation d’une forêt de recherche en milieu boréal (le site Web permet de calculer ses émissions annuelles). Et on lui garantit que ses arbres seront à l’abri de toute exploitation forestière pendant les décennies qu’ils mettront à croître – une forêt mature retient le carbone qu’elle a stocké dans ses arbres, mais elle ne piège presque plus celui qui se trouve dans l’atmosphère.

« Actuellement, les forêts captent environ 25 % du carbone émis par les humains, dit Claude Villeneuve. Des efforts modestes permettraient qu’elles en retiennent 15 % de plus. »

7. CONSTRUIRE EN BOIS

C’est beau, c’est durable. Et les architectes commencent à redécouvrir ce matériau qui stocke le carbone pour longtemps. Ils l’utilisent pour les résidences. Pour les immeubles commerciaux, comme ce bar de Montréal, L’Barouf, récemment reconstruit en bois après avoir été détruit par le feu. Ou pour des bâtiments de plus grande envergure, par exemple le nouvel aréna de l’Université du Québec à Chicoutimi, construit avec des poutres de bois lamellé fabriquées à Chibougamau. « Nous sommes en train de procéder à l’analyse du cycle de vie de ce produit, dit Claude Villeneuve. Pour le stockage du CO2, c’est incroyablement rentable. »

8. ADOPTER UN NOUVEAU PROTOCOLE

Il faut un autre protocole, une suite à Kyoto, qui arrive à terme en 2012. « Avec des cibles de réduction d’émissions contraignantes et très ambitieuses », insiste Claude Villeneuve.

Bien sûr, le protocole de Kyoto est imparfait. Il a été désespérément long à mettre en œuvre. Et conçu sans qu’il ait la force voulue pour empêcher les humains d’émettre chaque jour plus de CO2. Mais il existe. C’est même l’une des plus grandes ententes internationales jamais élaborées pour faire face à un problème planétaire.

L’une des plus complexes aussi. Pour parvenir à ce genre d’accord, on doit négocier des questions difficiles avec près de 200 pays. Des riches et des pauvres, des grands et des petits, des très développés (entre autres grâce au CO2 qu’ils ont émis depuis deux siècles) et des peu ou pas du tout développés. Qui ont des opinions publiques différentes, des volontés politiques souvent aussi faibles que les contraintes économiques sont fortes et les intérêts divergents.

Et s’il faut une suite à Kyoto, c’est parce que seul un accord dûment négocié, avec tous les mécanismes d’adaptation et de transition imaginables, peut permettre à la communauté internationale de se donner des règles du jeu claires pour faire cesser l’escalade du CO2. Même un Steven Guilbeault, qui a participé aux négociations sur le climat depuis 1994, se montre optimiste. « Nous sommes en train de changer l’infrastructure de production et de consommation d’énergie de la planète. Les États-Unis d’Obama veulent embarquer. L’Australie, qui était contre Kyoto, a pris un virage à 180 degrés et a ratifié le protocole. La Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud embarquent elles aussi. »

Bien sûr, un pays comme le Canada traîne encore la patte. Mais un mouvement mondial est lancé.

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