La nouvelle était partout ces derniers jours : les probiotiques seraient inutiles, voire nuisibles, selon deux études publiées par des chercheurs israéliens. Sauf qu’évidemment, ce n’est pas si simple !
Depuis 20 ans, les vendeurs de miracles ont prêté d’innombrables vertus à ces cocktails de micro-organismes qui, en capsules ou comme ingrédients d’aliments tels que des yogourts, sont censés améliorer notre santé, en nous aidant à mieux résister aux mauvais microbes ou aux antibiotiques ou en favorisant une saine flore intestinale. Il y a beaucoup de n’importe quoi dans ces allégations, des affirmations qui ne sont absolument pas étayées par des recherches sérieuses.
Mais c’est aussi n’importe quoi que de proclamer qu’une seule étude — même deux ! — suffit pour condamner en bloc les probiotiques.
Dans ce domaine, la science progresse avec beaucoup de difficulté, car les chercheurs comprennent encore bien peu de choses sur les relations complexes que nous entretenons avec les microbes qui vivent dans notre intestin et ceux que nous ingérons.
Les deux études publiées dans la revue Cell par l’équipe d’Eran Elinav, de l’Institut Weizmann des sciences, sont importantes. Ce chercheur réputé, spécialiste des interactions hôte-microbiome, a voulu vérifier ce qu’il adviendrait d’un cocktail de 11 probiotiques ingéré par des souris et par des humains, en prélevant des échantillons de leur microbiome par endoscopie et colonoscopie dans leur tube digestif, et en le comparant au microbiome de leurs selles.
Il a vu que, chez les souris comme chez ces 25 cobayes humains, il n’y avait pas toujours de corrélation entre le microbiome intestinal et celui trouvé dans les selles. Une observation intéressante et un peu embêtante, puisque dans de nombreuses études sur les probiotiques, les chercheurs se basent sur l’analyse des selles pour en déduire ce qui se passe dans le tube digestif. Elinav a aussi observé d’énormes différences d’une personne à une autre, ce qui tend à prouver que les mêmes probiotiques ne donnent pas les mêmes effets chez tout le monde. La nature du microbiome de chacun semble influencer la manière dont il répond aux probiotiques.
Dans sa seconde étude, le chercheur a comparé par la même technique la reconstitution du microbiome intestinal après un traitement antibiotique chez un groupe de souris et chez 21 personnes ayant reçu soit le cocktail de 11 probiotiques, soit une transplantation fécale de leurs propres selles, soit aucune intervention. Comme attendu, le traitement antibiotique a nettement affecté le microbiome des humains, autant dans le tube digestif que dans les selles. Chez certains participants à l’étude, les probiotiques se sont installés massivement dans le tube digestif pendant le traitement, alors que chez d’autres, ils n’ont fait que passer.
Mais presque tous les participants qui avaient reçu les probiotiques ont mis plus longtemps que ceux qui n’avaient rien reçu à retrouver un microbiome aussi diversifié que celui qu’ils avaient avant la prise d’antibiotiques, alors que ceux qui ont reçu la transplantation fécale l’ont retrouvé les premiers. Voilà qui est inquiétant, conclut le chercheur, dans la mesure où une faible biodiversité du microbiome a été liée dans d’autres études à une susceptibilité plus élevée à plusieurs maladies chroniques et infectieuses.
Des études supplémentaires seront cependant nécessaires pour confirmer celle-ci. Il faudra notamment vérifier que ce même phénomène se produit avec d’autres probiotiques que les 11 testés, avec des quantités différentes de probiotiques administrés et avec d’autres cobayes humains. Et avec des gens qui avaient besoin de prendre des antibiotiques pour combattre une infection existante, et pas juste à des fins de recherche.
Possible, alors, qu’on confirme que donner des probiotiques pour contrecarrer les effets des antibiotiques est plus nuisible qu’autre chose. Mais pas certain encore. Et peut-être que, pour d’autres usages, les probiotiques sont mieux que rien du tout !
Pour se faire une bonne idée de l’état des connaissances, les travaux de la Collaboration Cochrane sont toujours très éclairants. Au fil des ans, les chercheurs qui participent à ce réseau ont publié 23 revues systématiques de la littérature scientifique sur l’efficacité des probiotiques pour prévenir ou traiter des problèmes de santé aussi variés que l’eczéma, le diabète gestationnel, les diarrhées d’origine infectieuse, la maladie de Crohn, le rhume, les infections vaginales à levures, les infections urinaires, les allergies et intolérances alimentaires…
Chaque fois, ils ont compilé l’ensemble des études publiées, évalué le niveau de preuves, et estimé s’il était suffisant pour que l’on puisse recommander à des patients ou des médecins de recourir aux probiotiques.
La plupart du temps, la réponse est claire : preuves insuffisantes. Mais il y a des exceptions. Par exemple, pour le traitement de la diarrhée infectieuse aiguë, ils mentionnent que :
« Utilisés parallèlement à la réhydratation, les probiotiques semblent sûrs et présentent des effets clairement bénéfiques en termes de réduction de la durée et de la fréquence des selles dans la diarrhée aiguë d’origine infectieuse. Néanmoins, des recherches supplémentaires sont nécessaires afin d’orienter l’utilisation des différents schémas probiotiques chez des groupes de patients spécifiques. »
Dans certains cas, on sait déjà que les probiotiques ne sont pas toujours bons. Par exemple, pour la prévention des diarrhées causées par la bactérie C. difficile, les chercheurs de Cochrane concluent dans leur revue systématique (mise à jour en décembre 2017) que :
« Sur la base de cette revue systématique et de la méta‐analyse de 31 essais contrôlés randomisés incluant 8 672 patients, des preuves de qualité moyenne suggèrent que les probiotiques sont efficaces pour la prévention de la diarrhée à C. difficile […] Bien que des effets indésirables aient été rapportés dans 32 des essais inclus, il y avait davantage d’événements indésirables chez les patients des groupes contrôle. […] Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires, il serait intéressant d’informer les patients hospitalisés, en particulier ceux à risque élevé de diarrhée à C. difficile, des avantages et des inconvénients potentiels des probiotiques. »
Eh non, malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples que ce que voudraient nous faire croire le marketing et les gros titres !
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Article honnête et bien documenté
Article intéressant et honnête. Le seul probiotique qui devrait être utilisé dans la prophylaxie de clostridium difficile et pour lequel il y a indication est le saccharomyces boulardii. Et il n’est pas toujours gage de succès, malheureusement.
Je l’ai toujours pensé. Et je n’en ai jamais avalé…