Nous approchons de la mi-session, période à laquelle j’enseigne à mes étudiants une matière fascinante : l’histoire de l’histoire de l’Univers, des croyances des mythologies de l’Antiquité au premier verset de la Genèse, en passant par la théorie du big bang. J’entre en classe, allume le projecteur et prends une grande inspiration. It’s showtime.
Au XIXe siècle, tandis que se développait rapidement la thermodynamique, des scientifiques des meilleures universités du monde commencèrent à se pencher sur des questions qui tourmentaient des penseurs depuis toujours : comment fonctionne le Soleil ? Où puise-t-il toute cette énergie ? Et pourra-t-il brûler éternellement ?
La révolution industrielle était alors bien en branle et l’on postula l’hypothèse que le Soleil pourrait être fait de… charbon. Si cette idée peut nous sembler hautement farfelue aujourd’hui, peut-être faut-il rappeler que le charbon était jadis le combustible connu le plus performant. Or, en considérant qu’un kilo de charbon peut générer en moyenne 24 mégajoules d’énergie chimique, si le Soleil était entièrement fait de charbon (en négligeant l’oxygène nécessaire pour la combustion), il posséderait suffisamment d’énergie pour briller à son rythme actuel pendant environ… 5 000 ans.
Cinq mille ans ? À l’époque, ce chiffre semblait déjà étrange. Toutefois, certains croyants interprétèrent cette simple hypothèse non vérifiée comme une confirmation de leur foi. En effet, au milieu du XVIIe siècle, un archevêque anglican du nom de James Ussher avait effectué une compilation exhaustive des personnages et récits de l’Ancien Testament. En suivant soigneusement la chronologie des Saintes Écritures, il était parvenu à estimer avec une étonnante certitude la date de la création du monde : le 22 octobre 4 004 avant Jésus-Christ, en fin d’après-midi. « Le premier jour, Dieu créa le ciel et la Terre… » par une belle soirée d’automne, selon Ussher.
Or, plus les recherches avançaient, moins cette hypothèse avait de sens. Non seulement les quantités d’oxygène nécessaires comme comburant devraient être astronomiques pour maintenir la combustion à un rythme stable, mais des résidus de cette combustion auraient dû devenir visibles après quelques siècles ou millénaires. De plus, de nouvelles sciences telles que l’archéologie et la paléontologie s’étaient développées au cours des XVIIIe et XIXe siècles, et tout semblait indiquer que l’être humain et une panoplie d’espèces animales parcouraient la Terre depuis bien plus longtemps que les 5 000 ou 6 000 ans proposés par Ussher.
Les preuves convergeaient vers une histoire de la Terre, du Soleil et du cosmos beaucoup plus ancienne qu’on ne le croyait depuis le début. D’ailleurs, dans le numéro d’août 1863 du magazine Scientific American, on peut lire : « Le Soleil, selon toute probabilité, n’est pas un corps brûlant, mais incandescent. Sa lumière est plutôt celle d’un métal en fusion incandescent que celle d’un fourneau brûlant » de charbon ou de quelque autre combustible. Pour arriver à cette conclusion, de nombreuses branches de la science ont dû se rencontrer : la physique, la géologie, la biologie et tant d’autres.
Ce n’est qu’au début du XXe siècle que la datation radiométrique fut mise au point. Dès lors, on découvrit que l’âge de la Terre ne se chiffrait pas en millions, mais plutôt en milliards d’années.
À ce moment de mon exposé, un étudiant lève la main à l’arrière de la classe pour poser une question : « Monsieur, à quoi ça sert, tout ça ? »
Je souris un peu maladroitement. J’entends quelques rires dans la classe, mais l’étudiant ne rigole pas. « J’veux dire, c’est intéressant, mais pourquoi est-ce important d’apprendre ça ? Ça sert à quoi ? »
Je ne sais pas quoi répondre. C’est beaucoup plus difficile que d’expliquer les détails de la fusion nucléaire au cœur des étoiles.
Ces étudiants ont grandi dans un réseau scolaire dont le paradigme central est l’apprentissage par compétence, où le savoir-faire supplante le simple savoir. Or, en toute honnêteté, je n’ai jamais su comment intégrer cette vision marchande de l’éducation dans un cours complémentaire d’astronomie.
Mon objectif n’est pas d’enseigner une compétence qui les aidera sur le marché du travail. Je veux simplement les rendre curieux. Curieux à propos de tout et de rien. Je souhaite vivre dans une société de gens curieux, même si ce savoir ne participe pas directement à faire rouler l’économie.
Je réponds donc : « Si ce que je te dis ne t’intéresse pas, alors ça ne te servira jamais à rien. J’aurai échoué. Mais si je t’ai rendu curieux, si je t’ai donné envie d’aller lire davantage sur ce sujet, je pourrai dire mission accomplie. »
La simple compétence de vouloir apprendre devrait parfois supplanter l’apprentissage par compétence.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de mars 2022 de L’actualité, sous le titre « À quoi ça sert ? ».
Au contraire, c’est la trop grande insistance sur les connaissances seules et sur leur « recrachage » dans des évaluations sommatives trop fréquentes et insignifiantes, qui tue la curiosité des élèves et qui leur enlève le goût d’apprendre. Les compétences ont été introduites dans les programmes justement pour protéger cette curiosité et tenir compte des différences des élèves de façon à ce qu’ils continuent à aimer apprendre. Mais de toute évidence (regardez bien autour de vous) cette approche n’a pas vraiment été mise en place dans les écoles. On continue à insister sur les connaissances et sur l’évaluation de leur acquisition. D’ailleurs, preuve que ce n’est pas mis en place, on n’enseigne pas une compétence, comme vous le dites. On la développe, autour de connaissances que l’on enseigne.
J’ai vecu la Reforme et du subir les fameuses competences trwnsversales et autres. Une copie baclee du Programme d ‘education internationale. J’ai alors vu le programme d’anglais langue seconde au secondaire devenir vide de sens, et que dire des evaluations ? La competence 2 en anglais de 5e secondaire… une farce.
Monsieur Fournier a tellement raison : eveiller la curiosite des jeunes. Si l’on y parvient, le reste va de soi.
Le syndrome du POUR UTILISATION UNIQUE est a eviter. Certains de ceux qui m’ont enseigne m’ont permis d’acquerir un bagage de base – que je recrache au besoin – et je leur dois une curiosite sans limites.
Les modes d’evaluation sont a revoir. Des valeurs ponderees ? Des moyennes ? Peut-etre pas l’ideal. La Reforme a amorce une reflexion, non sans derapage toutefois.
J’ai enseigne 28 ans. J’ai eu beaucoup de plaisir. Et pourtant, j’aimerais retourner en arriere et reinventer mon enseignement et vendre ma matiere a mes jeunes comme un champion du marketing. On peut avoir du plaisir a apprendre et a savoir. Sans pour autant vouloir epater la galerie.
À M. Pierre Fantinato – est-vous allergique aux accents de la langue française?
L’approche par compétence est une approche pédagogique adaptée au savoir technique mais pas à la culture générale qui repose sur l’approche par objectif.
Votre article est intéressant. Mais votre vision des compétences est réductrice. D’une part, les compétences n’ont pas de visée marchande. Résoudre des problèmes, développer son esprit critique et communiquer, si ce sont des savoir-faire, alors il s’agit de savoir-faire citoyens qui me semblent bien utiles. D’autre part, penser que les connaissances ont été supplantées par les compétences est une utopie véhiculée par les médias. Le ministère a suffisant modifier les programmes et les bulletins pour diluer la portée des programmes par compétences. Dans les faits, on enseigne encore l’anatomie du corps humain, le nom des 9 planètes du système solaire et la physique newtonienne.
Les jeunes du primaire n’aspirent plus à devenir astronautes mais youtoubeurs. Je ne crois qu’ils aient déjà, à cet âge, subit les affres des dangereux programmes par compétences. Il faut chercher ailleurs la manque de curiosité des jeunes. L’accessibilité au savoir? Une dévalorisation de la culture? Une vision pessimiste de l’avenir?