
La tragédie de Paris a marqué tout le monde, mais on peut trouver un peu de réconfort en prenant connaissance de la remarquable réponse des professionnels de la santé à ces terribles attaques. Une réaction vraiment exemplaire qui a permis, sans aucun doute, de sauver beaucoup de vies.
La revue Lancet publiait récemment un récit aussi troublant que fascinant rédigé par d’importants acteurs du milieu, dont le professeur Pierre Carly, anesthésiste-réanimateur et directeur des SAMU, Mathieu Hirsh, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, de même que 13 autres artisans de la réponse sanitaire.
Un urgentiste, un anesthésiste-réanimateur et un chirurgien traumatologue y racontent chacun cette expérience limite, vécue de l’intérieur, devant la plus vaste affluence de blessés graves jamais rencontrée dans le Paris contemporain. Ce récit nous pose par ailleurs une question subsidiaire: aurions-nous pu faire aussi bien chez nous, à Montréal? J’y reviendrai.
Un récit saisissant
Il faut connaître la structure particulière des hôpitaux de Paris: il s’agit de 40 sites intégrés et coordonnés, au sein de ce qu’on appelle l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Souvent décrit comme trop massif et ainsi difficile à transformer, ce réseau tentaculaire regroupe 100 000 professionnels de la santé, 22 000 lits et 200 salles d’opération. Une mer de gens et de ressources.
Devant un désastre de cette ampleur, cette intégration des services dans un seul établissement et l’incroyable capacité de soins semblent avoir bien servi les Parisiens, notamment par la livraison d’une grande quantité de soins coordonnés dans divers lieux. Il faut aussi souligner l’expertise du système d’urgence français dans la régulation des soins: ses centrales des Services d’aide médicale urgente (SAMU) possèdent une impressionnante capacité de coordination en cas de catastrophe.
Non seulement 16 sites hospitaliers sur les 40 de l’AP-HP ont été impliqués, mais on avait rapidement assuré la disponibilité d’hôpitaux situés à l’extérieur du périmètre et de 10 hélicoptères permettant au besoin de transférer des patients, au cas où la demande serait dépassée. Ce qui ne fut toutefois jamais le cas.
En comparaison, à Montréal, le système préhospitalier est efficacement coordonné par Urgences-Santé, mais les hôpitaux eux-mêmes ne sont pas interreliés. L’intégration des soins aurait donc été plus difficile, s’agissant d’établissements distincts sans véritables liens opérationnels.
L’importance de la préparation
Il faut voir que l’AP-HP avait élaboré, il y a une vingtaine d’années, son «Plan blanc» pour affronter ce genre de drame et qu’elle le mettait régulièrement à jour. Les auteurs du récit publié dans The Lancet relatent que trois répétitions à large échelle ont été tenues ces deux dernières années.
Il faut rappeler l’importance de la préparation, de la formation et des simulations permettant de répondre de manière efficace à une telle affluence de blessés. Au Québec, des simulations sont aussi réalisées de temps en temps, mais je ne crois pas qu’il s’en fasse à la même échelle et à la même fréquence.
Il est troublant d’apprendre que, le matin même des attentats, un exercice de simulation avait justement eu lieu dans Paris. Le scénario: des fusillades multiples d’origine terroriste! Le soir de l’attaque, certains soignants ayant participé à l’exercice croyaient même que c’était en continuité avec la simulation.
L’attaque ayant eu lieu en soirée, au début de la fin de semaine, il allait être plus facile d’affronter l’affluence à venir, les urgences et les blocs opératoires étant moins occupés.
Une mobilisation remarquable
Vendredi soir, à 21 h 30, l’AP-HP est alertée: une bombe vient d’exploser dans un stade bondé. Heureusement, il n’y a pas de blessés. Puis, dans les 20 minutes suivantes, quatre fusillades et trois autres explosions surviennent en des lieux différents.

Dans une ville déjà frappée dans le passé par des attentats terroristes, on comprend sans peine l’ampleur de la menace. Il y a mobilisation immédiate des SAMU de Paris et la cellule de crise de l’AP-HP est ouverte.
C’est à 22 h 34 que le Plan blanc, jamais activé durant 20 ans, est lancé. Dès lors, 16 hôpitaux sont plongés dans ce tourbillon, dont plusieurs centres de traumatologie de niveau 1 (le plus haut niveau de soins).
Spontanément ou suivant des appels directs des médias et des réseaux sociaux, les médecins, les autres professionnels et le personnel de soutien affluent rapidement vers les hôpitaux, avant même l’arrivée des premiers blessés graves.
Un déploiement immédiat
Rapidement, la cellule de régulation des SAMU se met en place: les 15 répondants d’urgence et les 5 médecins s’attaquent immédiatement à la coordination de la réponse en construction.
En parallèle, 45 équipes d’intervention complètes des SAMU (médecins, infirmières et ambulanciers) sont déployées, alors que 15 de plus sont placées en réserve au besoin.
Les équipes de secours doivent affronter dans les rues non encore sécurisées des menaces persistantes. Les morts sont constatées sur place.
Dans les heures qui suivent, 256 patients sont transportés par les SAMU, les autres se rendant d’eux-mêmes jusqu’aux soins, souvent aidés de leurs proches, certains de ces hôpitaux étant situés juste à côté du drame.
Trente-cinq équipes chirurgicales se préparent à opérer et vont tenir toute la nuit, tandis que le remplacement régulier du personnel est planifié. On dégage aussi le plus de lits de soins intensifs possible.
Il faut voir que la capacité de faire face à une affluence massive de patients est nettement meilleure en France, où on trouve, selon l’OCDE, 6,3 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants (contre 2,7 lits par 1 000 au Canada).
Au Québec, comme les urgences sont souvent congestionnées et les hôpitaux remplis — surtout à Montréal —, il aurait été plus difficile de dégager rapidement une telle marge de manœuvre en lits.
302 blessés graves à soigner
Recevoir, trier, orienter, stabiliser, soigner et hospitaliser un nombre record de 302 jeunes patients, dont 76 menacés par urgences vitales absolues (risque de mort imminente) et 226 par urgences relatives, presque tous blessés par balles, c’est un immense défi.
Suivant l’approche française des médicalisations des SAMU, on procède d’abord à ce qu’on appelle «un contrôle des dommages et transport rapide», en utilisant diverses techniques pour stopper les hémorragies.
L’objectif est de maintenir une pression artérielle suffisante pour garder le patient conscient, mais la plus basse possible afin de diminuer les saignements, en attendant une intervention chirurgicale à réaliser rapidement. La demande de garrots est telle que certains utilisent leur propre ceinture.
En évaluant les patients en profondeur, les SAMU français sont à même de les orienter là où se trouve l’expertise requise pour répondre au mieux à leurs besoins. Les 76 cas les plus graves sont donc transférés directement vers les unités de traumatologie.

Les salles d’urgence auront quant à elles la tâche de traiter ces 226 patients «moins» gravement atteints – mais on parle tout de même de plaies par balle! On évite ainsi un phénomène de goulot d’étranglement.
À Montréal, comme les patients auraient tous été dirigés vers les urgences, on aurait sans doute observé un engorgement immédiat, notamment dans les salles de réanimation.
Un accès rapide aux soins chirurgicaux
Le temps de réaction est très court: les premières opérations commencent moins de 30 minutes après l’arrivée des premiers patients dans les hôpitaux.
À Pitié-Salpêtrière, centre de traumatologie de niveau 1, 53 blessés, dont 28 urgences absolues, sont amenés par groupes de 4 ou 5. Mais ce n’est pas le chaos. Bien au contraire, l’hôpital réagit immédiatement: on ouvre tout de suite 10 salles d’opération, qui vont fonctionner toute la nuit.
Hôpital le plus sollicité durant ces événements, il s’en tire très bien. La coordination des soins y est assurée par des équipes composées de médecins, d’infirmières et de soignants.
Après 9 heures intenses, on peut y ramener le nombre de salles d’opération en activité à six et après 24 heures, tous les patients de cet hôpital sont stabilisés, ce qui permet de se préparer à une nouvelle vague si elle devait survenir – une possibilité réelle dans les jours suivants.
En parallèle, deux équipes de soutien psychiatrique et psychologique sont regroupées dans certains hôpitaux, afin d’offrir le soutien requis à la population, aux soignants et à toute personne à risque d’être traumatisée psychologiquement par les événements: on recense 35 psychiatres, des psychologues, des infirmières et des volontaires.
Un bilan impressionnant
Dans ce bilan préliminaire, plusieurs choses impressionnent, mais le plus étonnant est qu’à aucun moment on ne manque d’effectifs, les soignants s’étant rués vers les hôpitaux dès les premières alertes. De plus, aucune saturation des services n’est relevée dans les hôpitaux, ce qui permet de répondre à l’affluence majeure sans compromettre l’accès aux soins.
Aucune attente ne survient, un principe crucial en traumatologie, le défi étant de contenir les hémorragies internes importantes par un geste chirurgical précoce. L’offre de soins suit en temps réel la demande massive.
Parmi les 300 blessés graves amenés vivants dans les hôpitaux, seuls deux patients meurent dans les heures suivantes, un bilan remarquable. Deux autres sont en arrêt cardiaque, une condition habituellement irréversible en traumatologie, et leur mort est constatée peu après leur arrivée.
Sauver des centaines de vies
Le récit de la réponse impressionne et rassure. Le système des hôpitaux de Paris et ses équipes soignantes ont pu réagir avec un sang-froid exemplaire pour répondre aux besoins de centaines de personnes simultanément menacées.
Et on a réussi non seulement à organiser le chaos, mais à offrir des soins de haut niveau qui ont contribué à sauver beaucoup de vies. C’est tout à leur honneur et c’est un exemple de professionnalisme, de solidarité et de mobilisation, des mots qui reviennent souvent dans ce récit étonnant du Lancet.
Bien sûr, on y recense le point de vue des acteurs de cette réponse, et ce, peu de temps après le drame. On manque sans doute un peu de distance avec l’objet de la réflexion. D’autres récits, peut-être plus critiques, viendront plus tard. Mais celui-ci est un baume pour les Parisiens, les patients et leurs proches.
C’est aussi un exemple pour tous, parce qu’on démontre ainsi que des soins bien organisés permettent d’affronter les pires attaques terroristes. Quand on dispose des ressources et du savoir-faire requis, bien entendu, ce qui est loin d’être le cas partout dans le monde.
Texte très intéressant merci. Ce qui distingue les soins en France, c’est la solidarité et la mobilisation. Les médecins travaillent par vocation car leur salaire n’est pas démesuré comme ici en Amérique du Nord. Ce ne sont pas des Dieux mais des gens de Coeur sur qui ont peut compter. Lorsque l’on demande aux personnels de se mobiliser , personne ne se demande s’il en fait plus que son voisin puisqu’ ils sont payés au mois à salaire fixe. Ce sont des passionnés avec qui j’ai travaillé déjà dans ma jeunesse.
Merci pour ce texte et je leur rend hommage .