Billets médicaux futiles : comment faire mieux !

Des lignes directrices existent pour les garderies, les assureurs et les employeurs : le Dr Alain Vadeboncœur revient sur ses billets précédents.

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Mes deux textes sur les billets futiles exigés par les garderies, écoles, employeurs et assureurs ayant fait jaser, j’ai demandé aux médecins de m’aider maintenant pour la suite des choses. Parce qu’on ne peut pas seulement chialer, il faut aussi apporter des solutions concrètes, applicables et raisonnables, qui sont à même d’améliorer la situation.

Clarifier la situation des garderies

J’ai rapporté la confusion qui semble exister dans les demandes des garderies, comme si les règles étaient bien mal connues, mal appliquées ou mal comprises. D’où l’abondance de demandes plus ou moins farfelues, mais qui varient surtout d’une fois à l’autre et d’un milieu à l’autre.

Or, les garderies disposent bien de règles concernant de telles situations. Elles peuvent ainsi faire signer les parents pour qu’ils autorisent des gestes aussi variés que l’application de crème solaire, l’instillation de solutions salines, l’usage d’insectifuges, l’administration d’acétaminophène, etc.

Pourtant, les contre-exemples abondent, puisque des dizaines de médecins m’ont dit devoir assez régulièrement répondre à des parents au sujet de demandes déjà couvertes par les règles édictées par le ministère de la Famille :

« De l’acétaminophène (type Tempra, Atasol, Tylenol ou autres marques maison) peut être administré et de l’insectifuge peut être appliqué à un enfant sans autorisation médicale, pourvu qu’ils le soient conformément au protocole en vigueur. »

Dans la garderie de la fille de trois ans d’un médecin qui m’a contacté, on fait ainsi signer systématiquement une autorisation pour administrer de l’acétaminophène, à partir d’un protocole établi par le ministère de la Famille. Le médicament est alors fourni par la garderie, ce qui permet au personnel de bien connaître la concentration et minimise le risque d’erreur de dosage. Comme la dose dépend du poids des enfants, celui-ci est inscrit sur le protocole et régulièrement mis à jour, et le parent doit signer de ses initiales.

Le protocole d’administration de l’acétaminophène en vigueur, également accessible sur le site du Ministère, définit les indications et contre-indications du protocole :

« Selon le présent protocole, l’acétaminophène peut être administré uniquement pour atténuer la fièvre. Il ne peut être administré :
• à des enfants de moins de 3 mois (la présence de fièvre à cet âge nécessite une consultation médicale) ;
• pour soulager la douleur (la présence de douleur nécessite une consultation médicale) ;
• pendant plus de 48 heures consécutives (2 jours) ;
• à des enfants ayant reçu un médicament contenant de l’acétaminophène dans les 4 heures précédentes. »

Si l’enfant a moins de trois mois, le parent doit être contacté immédiatement et l’acétaminophène ne doit pas être utilisé. Mais s’il a plus de trois mois, le guide suivant doit être appliqué, en utilisant la dose calculée dans un tableau selon le poids, pour un maximum de 15 mg / kg / dose.

L’application d’un insectifuge fait également l’objet d’un autre protocole standardisé.

Un autre médecin mentionne que le formulaire d’inscription fourni par son milieu de garde précise une série d’autorisations à cocher, comme l’EpiPen, le Benadryl, les gouttes salines (pour le nez bouché), la crème d’oxyde de zinc, la crème hydratante, le baume à lèvres et la crème solaire. Aucune demande d’ordonnance n’est alors faite pour les « administrer ». Il s’agit dans ce cas d’une garderie privée en installation.

Le site du Ministère confirme que pour plusieurs des produits pour lesquels les médecins se font pourtant encore demander des autorisations médicales, les ordonnances ne sont pas requises :

« L’autorisation médicale n’est pas requise pour administrer des solutions nasales salines et des solutions orales d’hydratation (type Pedialyte, Gastrolyte, Lytren, etc.) ou pour appliquer de la crème pour érythème fessier, de la crème solaire, du gel lubrifiant en format à usage unique pour la prise de température, de la crème hydratante, du baume à lèvres et de la lotion calamine à un enfant. Par contre, l’autorisation écrite du parent est obligatoire. »

J’en conclus que l’information n’est sans doute pas suffisamment partagée dans les milieux de garde et que de nombreux intervenants ne sont pas au courant, à moins qu’il ne s’agisse d’un problème de compréhension de la part des parents. En tout cas, pour qui les cherche, les règles sont faciles à trouver et à appliquer.

Le ministère de la Famille propose d’ailleurs un modèle de formulaire d’autorisation que les parents doivent signer pour permettre à la garderie d’administrer les médicaments de leurs enfants ou encore l’acétaminophène pour la fièvre, qui est accessible en ligne et peut être téléchargé.

Uniformiser les pratiques des assureurs

Du côté des assureurs, il est vrai que la multiplication des formulaires n’est pas non plus une sinécure, qu’ils viennent d’assureurs publics ou privés. Un médecin rapporte ainsi avoir rempli en deux semaines au bureau un formulaire de la SAAQ, un autre de la CSST, cinq formulaires d’assurance salaire différents, un autre type de formulaire pour une assurance spécifique à une maladie, un formulaire pour les prestations d’aide sociale, un rapport pour victime d’acte criminel et un rapport de la SAAQ pour permis de conduire.

L’implication d’autres professionnels pourrait être utile pour des formulaires demandés très fréquemment par des organisations comme la SAAQ. Des médecins suggèrent par exemple que le formulaire de la SAAQ (pour le permis de conduire) pourrait être rempli en partie par la personne avec l’aide d’une infirmière (qui pourrait être rémunérée par la SAAQ elle-même), ce qui permettrait de fournir une bonne partie des informations requises.

Il existe aussi un formulaire d’assurance unique applicable pour tous les assureurs faisant partie de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). Les compagnies membres de l’association (pour l’essentiel, la vaste majorité des compagnies) sont apparemment tenues d’utiliser ce formulaire, ce qui peut simplifier la tâche des médecins, dont voici un exemple :

Les dossiers médicaux informatisés de certaines cliniques permettent justement de le remplir rapidement et d’en faire une simple copie, mise à jour par la suite si la maladie se prolonge.

Par contre, des services publics n’utiliseraient pas toujours ce formulaire, par exemple les établissements de santé, les commissions scolaires, certains employeurs privés, etc. Une solution serait d’étendre la portée du formulaire d’assurance approuvé (et accessible en ligne) à l’ensemble des assureurs et employeurs privés et publics, ce qui faciliterait les choses, notamment dans les cliniques qui disposent d’un dossier informatisé compatible.

On a enfin suggéré, pour les assureurs, que le médecin puisse écrire simplement « condition inchangée » dans les formulaires d’invalidité à long terme et ceux destinés aux crédits d’impôt, ce qui permettrait de réduire les fastidieux écrits de longs formulaires pour un état de santé par ailleurs stable.

Clarifier les pouvoirs des employeurs

Malgré que des employés sont bien souvent référés aux médecins pour la moindre absence, les employeurs ne peuvent en réalité exiger de certificat médical pour une absence de courte durée, sauf en cas d’abus, d’après l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés :

« La jurisprudence québécoise établit majoritairement qu’un employeur ne peut exiger un certificat médical lorsqu’un employé s’absente pour une courte durée. En effet, dans de telles circonstances, nos décideurs concluent qu’une telle demande est déraisonnable, parce qu’elle porte atteinte au droit à la vie privée de l’employé ou encore parce qu’elle est abusive. »

Selon la même organisation, lorsque l’employeur est à même d’exiger, dans certaines circonstances, un billet médical, celui-ci doit toutefois contenir une information suffisante portant sur la nature du problème et le pronostic :

« À l’heure actuelle, la jurisprudence majoritaire reconnaît que l’employeur est en droit de réclamer un certificat médical qui mentionne la nature de la maladie ou de l’accident, ce qu’on appelle le diagnostic. L’objectif étant de permettre à l’employeur de s’assurer que l’employé est bel et bien dans une situation invalidante. On peut facilement imaginer qu’une entorse à la cheville est incapacitante pour un commis d’entrepôt, alors que ce ne sera pas nécessairement le cas pour un employé de bureau. »

Responsabiliser les employeurs

Les patients paient habituellement pour les frais associés aux billets d’absence et aux certificats médicaux — qui ne sont pas des services couverts par l’assurance maladie. Mais de nombreux médecins suggèrent de responsabiliser les employeurs en leur demandant de payer les certificats — et même les consultations ! — pour des motifs futiles, comme autoriser une bouteille d’eau au travail, un tabouret ou un retour au travail après une gastro.

Cela permettrait peut-être d’éviter des situations abracadabrantes comme la suivante, rapportée par un autre médecin : un patient est malade le lundi, consulte le mardi aux urgences, avec demande de son employeur d’un billet d’absence. Après plusieurs heures d’attente, il est référé à la clinique réseau pour le lendemain, mais le mercredi, le médecin de la clinique réseau est malade, alors le patient est retourné aux urgences. Il a finalement été vu dans la nuit du mercredi au jeudi en fin de nuit. Comme il était crevé, le médecin lui a également donné le jeudi de congé, et il est parti avec « une belle petite note justificative pour son employeur ». Kafkaïen, non ? Mais surtout, quelle perte de temps pour tout le monde !

Dans certains cas, il arrive que des employeurs demandent à leur employé de retourner voir son médecin parce qu’ils ne veulent pas l’affecter aux travaux légers prescrits, exigeant alors un certificat médical d’arrêt de travail. Il serait plus simple que les employeurs acceptent alors d’appliquer eux-mêmes un arrêt de travail s’ils n’ont pas de travaux légers à faire effectuer, non ?

Pour les papiers d’absence au travail rétrospectifs (employeur qui veut une preuve qu’une gastro est survenue deux jours avant), je continue de penser que ce n’est pas acceptable. D’ailleurs, il me semble qu’on ne peut même pas faire de billets d’absence rétrospectifs.

Des médecins suggèrent de clarifier certaines règles de base. D’abord, que l’employeur puisse s’entendre avec son employé serait une bonne chose, surtout qu’il n’y a souvent aucun moyen pour le médecin de prouver qu’une maladie (par exemple une gastro) a bel et bien eu lieu deux jours avant. D’autres proposent qu’une telle consultation obligée par un employeur, lorsqu’il n’y a aucun problème de santé à régler, ne soit pas payée par la RAMQ, mais bien par l’employeur. En d’autres termes, que ce ne soit pas un acte médicalement requis. On peut toutefois s’interroger sur la capacité d’appliquer de tels principes.

On pourrait donc aisément améliorer les choses et dégager les médecins de ces tâches qui ne relèvent pas toujours de leur métier, qui est de soigner les gens, afin d’améliorer la durée de leur vie ou leur qualité de vie, comme chacun sait. Ce qui n’est pas toujours le cas, on en conviendra, quand un employé perd une semaine de travail pour courir après un médecin parce qu’un billet médical probablement injustifié est exigé par son employeur…

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Et quand ce sont des indemnisés qui abusent? Existent-ils des statistiques sur les personnes qui abusent leur assureur, la CSST, leur employeur ou la SAAQ?

M. Gauvreau, vous avez raison, certains abusent du système, mais là n’est pas la question soulevé par le Dr. Vadeboncoeur dans cet article.

Lorsque c’est un indemnisé qui abuse, c’est à la CSST, à leur employeur et à la SAAQ ou à l’assureur de faire leur travail pour réduire les cas d’abus, pas aux médecins et aux urgentologues et autres spécialistes. Et au pire, ce sont ces organismes et compagnies qui devraient payer lorsqu’ils veulent que l’indemnisé consulte un médecin. Durant ma jeunesse, mon employeur trouvais que je prenais trop de congés de maladie (à raison). Il leur a suffit de me rencontrer (cadre des ressources humaines et mon patron) pour me remettre sur la bonne voie. Aucun médecin d’impliquer. Simple, n,est-ce pas !

Vous aurez ce genre de réponse en consultant les rapports annuels de la CNESST ou Commission des normes, de l’équité,
de la santé et de la sécurité du travail, (http://www.cnesst.gouv.qc.ca/Pages/recherche.aspx?q=rapport%20annuel) précédemment la CSST, l’Institut de la statistique du Québec (http://www.stat.gouv.qc.ca/). Si vous désirez des comparaisons avec les autres provinces veuillez consulter Statistiques Canada (http://www.statcan.gc.ca/fra/debut) et choisissez l’onglet « parcourir par sujet » ou entrer le mot travail dans la boîte de recherche au haut de la page. Statistiques Canada va beaucoup plus loin dans ses recherches et trouverez une multitude de tableaux analytiques.

Si c’est « l’indemnisé qui abuse » comme vous dites (et cet article ne parle pas de ces cas, c’est une autre dynamique) il n’y a pas moyen de prouver rétroactivement si la personne en question a fait une gastro ou pas par exemple (et ça c’est bien indiqué dans l’article). Donc inutile de l’envoyer au médecin pour un billet car il ne pourra pas prouver l’abus si c’est le cas.

CNESST = $65 millions de pertes en 4ans dont $49 millions en cotisations non versées des employeurs et $17 millions versés en trop aux travailleurs.

Très peu de possibilités que ces sommes soient récupérées un jour.