Avant la pause de juillet, je me suis dit que j’avais le goût d’écrire à propos de choses qui vont bien. Peut-être pour faire contrepoids à cette impression diffuse et largement véhiculée que tout va de plus en plus mal, notamment en santé, alors que c’est généralement faux. Si on prend assez de recul pour le constater, bien entendu.
Ma réflexion se situe dans la suite de mon billet récent, portant sur la détresse, où je faisais un parallèle avec le suicide : alors qu’on parle de plus en plus de détresse, le taux de suicide est en régression à peu près partout dans le monde — sauf aux États-Unis, m’a-t-on fait remarquer. Mais les États-Unis ne sont pas le monde. Fort heureusement ! Surtout en santé.
J’ai l’impression que, parfois, notre tendance à rester le nez collé sur l’actualité — effet secondaire des réseaux sociaux et des nouvelles instantanées — nous empêche d’avoir suffisamment de perspective pour apprécier certains changements globaux. Un coup d’œil sur l’histoire est alors riche d’enseignement.
Je pense aussi qu’on observe un phénomène de biais, qui fait que nous percevons le monde à travers un certain nombre de prismes déformants, de sorte que nous avons de la difficulté à dégager une bonne idée. J’aborde ce phénomène dans le prochain numéro de L’actualité, à paraître dans quelques semaines.
Bien se documenter
L’antidote à ces deux problèmes, c’est de consulter des données fiables et portant sur de longues périodes, afin de pouvoir dégager les vraies tendances de fond. De cette manière, on évite le piège de considérer uniquement les faits les plus récents et on neutralise autant que possible les effets de distorsion. Pourvu que les sources soient robustes, que la méthode de cueillette des données soit expliquée et que les limites de l’analyse soient mentionnées.
Parmi les organisations qui regroupent de vastes données permettant d’éclairer de manière pertinente les réflexions actuelles, je consulte souvent le site www.OurWorldInData.org, une initiative de l’Université d’Oxford mise en œuvre par l’économiste Max Roser et une équipe multidisciplinaire de chercheurs et d’analystes. Il vise à rendre largement disponibles et utilisables des données de qualité portant sur une foule de sujets pertinents.
En santé, les analyses et graphiques montés par l’équipe d’OurWorldInData permettent d’éclairer plusieurs enjeux contemporains avec des données de qualité, mais facilitent aussi une mise en perspective historique, parfois sur de très longues périodes, selon les données disponibles.
Que nous offre un rapide survol de quelques phénomènes de santé ? De manière générale, que les gens sont plus en santé qu’avant, vivent bien plus longtemps, évitent dorénavant une foule de causes de décès précoce, et que la plupart des régions du monde suivent une courbe évolutive favorable à cet égard. En voici quelques exemples.
Des indices de bonne santé
Prenons l’espérance de vie. Le tableau suivant explore l’évolution de l’espérance de vie dans le monde en soulignant trois années précises :

De manière intéressante, on voit qu’en 1800 l’espérance de vie dans le monde entier était plutôt similaire, soit 32 ans. Elle était par exemple identique en Russie, en Chine et en France. En 1950, elle avait fait un bon majeur de 16 ans (ou 50 % de gain), mais l’écart s’est fortement accentué entre l’Inde et la Chine, qui ont beaucoup moins bougé, et le Canada, notamment, où les gains sont encore plus élevés.
Jusqu’en 2012, nouveau gain de 22 ans en moyenne cette fois, qui s’explique surtout par une avancée majeure de pays comme l’Inde et la Chine, tandis que l’augmentation relative de pays comme l’Allemagne et les États-Unis est moindre.
De sorte qu’en 2012, non seulement l’espérance de vie a considérablement progressé, mais, hormis dans certains pays situés surtout en Afrique, on assiste à une nouvelle égalisation des chances de vivre vieux, comme en 1800, après un gain global de 120 % d’espérance de vie. Je vous invite à consulter l’outil graphique qui permet de voir l’avancée progressive de 1543 à 2015, dans tous les pays et pour chaque année !
Par ailleurs, alors qu’on parle souvent de l’accroissement des inégalités économiques, on pourrait s’attendre à un accroissement des écarts d’espérance de vie à l’intérieur des pays même, puisque les déterminants sociaux de la santé sont généralement d’excellents prédicteurs de l’espérance de vie.
L’indice Gini permet justement de mesurer cet écart de mortalité à l’intérieur de chaque pays. Les chercheurs d’OurWorldInData présentent leur analyse pour une très longue période. Or, on peut observer, sur le graphique suivant, que cet indice est en très nette diminution pour tous les pays étudiés, du moins jusqu’en 2002. Cela montre que, du point de vue de l’espérance de vie, ces pays sont de plus en plus égalitaires.

Un autre aspect important, c’est l’évolution de la mortalité infantile d’un pays à l’autre. On sait qu’à cet égard les pays les plus pauvres demeurent malheureusement avec une mortalité infantile beaucoup plus élevée que la nôtre. La bonne nouvelle, toutefois, c’est que cette mortalité s’améliore partout et de manière régulière, peu importe le niveau économique, bien qu’un grand écart persiste en fonction du niveau de développement.

Il est aussi intéressant de voir à quelle vitesse s’est installée la couverture publique des soins de santé dans le monde, le virage se prenant un peu plus tôt en France, en Allemagne et en Autriche, suivi d’une grande vague dans les années 1960, à laquelle se sont joints le Canada et le Québec.
On parle ici d’une révolution des programmes sociaux, qui transforme complètement la relation entre les malades, les soignants et l’État. Comme on le voit, des pays comme la Chine et le Viêt Nam se sont joints à ce bal après les années 2000, de sorte que la couverture est en croissance partout.

D’autres graphiques rassureront ceux et celles qui s’inquiètent de la croissance des coûts, qu’ils soient publics ou privés, demeurés stables par rapport au PIB (donc à la taille de l’économie) depuis le début des années 2000 environ. Bien que cela ne garantisse pas que les dépenses demeurent aussi stables durant les prochaines décennies, il est intéressant d’illustrer la stabilité des coûts par une telle image. C’est vrai également chez nous.

Demeurer optimistes
Tout cela ne constitue qu’un petit aperçu des vastes données accessibles sur le site OurWorldInData. Je vous invite à vous faire une idée par vous-mêmes et à le consulter le plus souvent possible pour valider vos perceptions.
C’est qu’il est toujours préférable d’offrir un point de vue balancé et documenté de la réalité des choses, en santé comme ailleurs, qui comporte notamment une perspective historique. C’est le meilleur moyen de constater que finalement, nous ne nous en tirons pas si mal sur le long terme.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’être angéliques et de penser que tout va toujours bien à partir de ces quelques données choisies. Tout dépend de nous. Parce qu’il ne faut pas oublier que ces gains manifestes touchant la santé des gens ont toujours été obtenus de haute lutte. Il s’agit surtout de conserver suffisamment d’optimisme pour continuer de se battre pour l’avenir.
Si cela peut inspirer pour contribuer à défendre ces acquis et à concevoir de nouvelles réponses aux besoins des populations, le travail d’OurWorldInData et des autres sites ayant le même objectif n’aura pas été vain.
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Le blogue d’Alain Vadeboncœur prendra une pause-santé de quelques semaines, pour reprendre au mois d’août.
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Alain Vadeboncoeur a parfaitement raison. Il est important pour nous, les chroniqueurs de L’actualité, de faire contrepoids à l’inévitable biais médiatique insistant sur toutes les choses qui vont mal, mais sans verser dans le biais inverse de l’angélisme et du jovialisme. Cette approche doit s’appliquer non seulement aux questions mondiales, comme le présent billet d’Alain le démontre, mais aussi aux questions locales, canadiennes et québécoises. L’optique du « tout va mal au Québec » est particulièrement systématique et répandue dans l’analyse économique produite par diverses boîtes de recherche conservatrices de Montréal, dont l’objectif est de propager leur idéologie politique. Comme dirait ma belle-mère si elle vivait encore: « Il faut en prendre et en laisser. » La principale arme de combat contre cette optique sombre est l’épreuve des faits, non seulement de ceux qui sont mal rapportés, mais aussi de ceux qui sont (parfois sciemment) omis. La comparaison avec le verre à moitié vide et à moitié plein s’applique. Ces organismes considèrent seulement que le verre est à moitié vide. Nous préférons dire qu’il est à moitié plein (nous avons réussi beaucoup de bonnes choses), mais qu’il nous reste encore bien des choses à faire (nous avons encore des croûtes à manger) pour finir de le remplir.
Pierre Fortin
Merci Pierre pour souligner avec moi l’importante de ces principes auquel je sais que vous ne dérogez jamais. Au plaisir de vous lire!
Evidemment y’a tout un discours politique derrière cette campagne de Quebec model bashing. Campagne qui va mener à l’élection de la CAQ avec des faussetés du genre « on est les plus pauvres au Canada et en Amérique et c’est à cause du modèle québécois »
Très intéressant! On jurerait que vous avez lu Factfulness de Hans Rosling, qui traite plusieurs autres sujets, avec la même approche :
https://www.amazon.ca/Factfulness-Reasons-World-Things-Better-ebook/dp/B0756J1LLV
J’ai vu une entrevue récemment à CNN. C’était le fils d’un chercheur suédois mort qui relatait les recherches de son père allant dans le même sens que vous.
Un tas de stats montrant que le monde va beaucoup mieux qu’on le dit.
Hélas je n’ai pas retenu le nom du chercheur
Avec l’augmentation de l’espérance de vie et la diminution de la mortalité infantile dans le monde, il faudrait vraiment penser à trouver des moyens de limiter l’accroissement de la population, avant que ce soit les « lois naturelles » qui s’en occupent, en provoquant des épidémies, des famines et des guerres. Le réchauffement climatique n’aidera pas non plus.
Nous ne sommes pas à l’abri de l’équilibre Malthusien. Les surpopulations engendrent des problèmes, et mènent plus tard à l’élimination de grandes proportions de populations.
POUR RAFRAÎCHIR LES IDÉES PAR TEMPS DE CANICULE…
ou
CHANGER PARFOIS DE LUNETTES POUR LIRE LA SANTÉ GLOBALE
Sources :
https://www.inegalites.fr/La-repartition-du-patrimoine-dans-le-monde
https://www.allianz.com/v_1380146400000/media/economic_research/publications/specials/en/AGWR2013e.pdf
« La répartition du patrimoine dans le monde
DONNÉES 7 juin 2013
Moins de 10 % de la population mondiale détient 83 % du patrimoine mondial, alors que 3 % vont à 70 % des habitants. L’Amérique du Nord et l’Europe en possèdent 65 %.
MONDE REVENUS
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Le patrimoine mondial total détenu par les habitants de la planète est estimé à 240 900 milliards de dollars en 2013, selon les données du Crédit Suisse dans son rapport Global Wealth Databook 2013 (en anglais), soit une moyenne de 51 634 dollars par individu. Ce patrimoine est réparti de façon profondément inéquitable : 83,3 % est détenu par seulement 8,4 % de la population dont le niveau de fortune est supérieur à 100 000 dollars. Les 1 % les plus fortunés contrôleraient pas moins de 46 % du patrimoine mondial total. En revanche, ceux dont la valeur de leur patrimoine est inférieure à 10 000 dollars (68,7 % de la population mondiale) disposent seulement de 3 % de l’ensemble. »
Lire la suite aux sources
M. Vadeboncoeur, je n’ai pas de difficulté à croire que les choses vont mieux mondialement en santé, et peut-être qu’on pourrait me convaincre que ca mieux coté conflits armés, éducation… Mais ca ne me remonte pas trop le moral quand je vois les nouvelles sur l’environnement. Je trouve très difficile d’être optimiste avec les nouvelles et même ce que j’observe de mes propres yeux. A première vue, je ne suis pas sure que je trouverai de quoi être optimiste dans https://ourworldindata.org/ Je me trompe?
Ça dépend : il y a , comme cela, du monde qui aime voir la vie en rose…
Et qui oublie que ce que l’on prend de trop, on l’enlève (statistiquement aussi) aux plus vulnérables.
Santé!
Je suis de plus en plus convaincu qu’il existe bel et bien une industrie de la pauvreté qui a tout intérêt à assombrie la situation de façon à s’assurer de retirer le maximum de fonds publics vers eux et ainsi de continuer à profiter des salaires et des passe-droits reliés à ce genre de chose. Plusieurs de ces organismes sont même syndiqués. C’est dire…
Je me souviens entre autre qu’il n’y a pas si longtemps, cette industrie (qui vit surtout de subventions publiques) tentait de nous convaincre qu’il y avait plus de 30,000 itinérants seulement à Montréal (imaginez…la moitié du stade olympique remplie d’itinérants!!!). Lorsque le maire Coderre a finalement décidé d’en faire le VRAI décompte, on en a recensé…3,000 max. Aucun des innombrables organismes censés être structurés pour en servir 30.000 n’a diminué son personnel en fonction des VRAIS résultats.
Je suis convaincu que la même chose se produit au niveau international.
« Je suis de plus en plus convaincu qu’il existe bel et bien une industrie de la pauvreté qui a tout intérêt à assombrie la situation de façon à s’assurer de retirer le maximum de fonds publics vers eux et ainsi de continuer à profiter des salaires et des passe-droits reliés à ce genre de chose. Plusieurs de ces organismes sont même syndiqués. C’est dire… »
Oui, François Ier , et ton industrie doit être gérée par les 16 % d’enfants qui, au Canada, vivent sous le seuil de la pauvreté…
Faut-il être aveugle…
C’est dire…
UN DEUX HEURES UTILE
Sur la santé monétaire internationale
https://www.youtube.com/watch?v=za7LhPfrUN4