Campagne électorale 2015 : le financement privé et public de la santé

Dans ce deuxième texte d’une série de trois, le Dr Alain Vadeboncœur présente deux autres thèmes — touchant au financement des soins de santé — qui devraient faire l’objet de débats durant la campagne électorale fédérale.

Photo : iStock
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Le financement, en politique publique, c’est le nerf de la guerre. Tous les gouvernements ont procédé à des compressions qui n’ont pas été annoncées en campagne électorale et qui ont eu des effets délétères sur les soins donnés à la population. Il est donc essentiel de savoir quels sont les plans des partis quant aux sommes à investir et à la nature de ce financement.
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Il est d’abord important, quand on parle de soins, de distinguer le financement (qui paye pour les soins ?) de la prestation et de l’organisation des soins (qui soigne, et comment ?). Nous parlerons aujourd’hui du financement — qui relève en partie du fédéral — et non de l’organisation des soins (qui relève des provinces).

Fondamentalement, le financement peut être de nature publique ou privée. Et que veut-on dire quand on emploie le terme «public» pour ce qui est du financement ? Simplement que l’État (ou une organisation relevant de l’État, comme la Régie de l’assurance maladie du Québec, ou même la Commission de la santé et de la sécurité du travail [CSST]) assure le financement des soins en dirigeant les sommes provenant des taxes et des impôts.

En cas de financement dit «privé», les sommes allouées aux soins proviennent plutôt des personnes recevant les soins — soit directement (la personne paie sans passer par un intermédiaire), soit indirectement, par le moyen d’assurances privées ou collectives qui ne relèvent pas de l’État.

Dans les deux cas, l’argent provient de la population (ou des entreprises). Dans le financement public, il est prélevé de manière proportionnelle à la richesse ou à la consommation, puis redistribué en fonction des besoins de santé. Dans le financement privé, il est plutôt lié à des services reçus directement par la personne.

Enjeu no 2 : le financement privé des soins médicalement requis

Le financement public permet d’améliorer l’équité d’accès et l’offre de soins en fonction des besoins, tandis que le financement privé lie l’accès à la capacité de payer — et non aux besoins de santé. C’est une distinction fondamentale.

Au Canada, en théorie, les services médicalement requis (donc généralement couverts par l’État) offerts en établissement ou donnés par des médecins ne devraient pas entraîner un déboursé. Sinon, on parle de surfacturation (qu’on appelle aussi les frais accessoires) — une question complexe dont on a passablement parlé dans l’actualité ces dernières années.

Il faut souligner que, de manière générale, la proportion du financement public est beaucoup plus faible (à environ 70 %) que ce que l’on trouve, par exemple, dans la plupart des pays comparables. Par ailleurs, cette part a eu tendance à s’éroder graduellement, comme en fait foi la figure suivante :

Source: https://secure.cihi.ca/free_products/NHEXTrendsReport2012FR.pdf
Source: https://secure.cihi.ca/free_products/NHEXTrendsReport2012FR.pdf

De la situation particulière du Québec…

Depuis quelques années, le Québec est un lieu propice au financement privé, en raison de l’expansion des frais accessoires demandés pour des services assurés (comme pour passer une coloscopie), et de la tolérance des gouvernements pour ces écarts manifestes aux principes de la Loi canadienne sur la santé (LCS). Il y a même entrepris un recours collectif en cours pour permettre aux patients de recouvrer ces sommes, lesquelles pourraient atteindre des centaines de millions de dollars.

Le ministre Barrette pourrait déposer ses amendements dans les prochaines semaines, en pleine campagne électorale. Il sera certainement intéressant de voir les réactions des partis fédéraux à ce moment !

… au procès Day, en Colombie-Britannique

À l’autre bout du pays, en Colombie-Britannique, il faudra également surveiller un important procès : celui, intenté au gouvernement, par le docteur Brian Day, qui demande à la Cour suprême de juger inconstitutionnelle la disposition de la LCS interdisant la surfacturation — une forme de financement privé.

Voici comment les chercheurs de l’Université du Manitoba résument les enjeux liés à ce procès :

«La clinique du Dr Day, qui offre actuellement à ses patients des soins financés à partir de sources privées, contrevient aux lois de la Colombie-Britannique concernant la “surfacturation”.

Ces lois interdisent la facturation des frais plus élevés que ce que prévoit la grille tarifaire du régime public. Selon le Dr Day, les lois de la province limitant le financement privé des soins de santé sont inconstitutionnelles et contribuent à l’augmentation des temps d’attente pour de nombreux types d’interventions médicales.

C’est pour cette raison qu’il conteste la validité des lois sur la surfacturation de même que celle des lois qui empêchent les médecins de pratiquer à la fois dans le secteur public et le secteur privé.

Si la Cour suprême du Canada devait rendre une décision favorable au Dr Day, ce jugement constituerait un précédent pour toutes les autres provinces et aurait des répercussions importantes sur le système de soins de santé du Canada.

Un tel jugement permettrait le développement d’un système parallèle de soins de santé financés à partir de sources privées.

Une victoire du Dr Day entraînerait une invalidation des lois qui interdisent la vente d’assurances ou de services privés pour les soins de santé déjà assurés par le régime public. Les soins de santé publics demeureraient accessibles aux Canadiens dans les hôpitaux et les cabinets de médecins payés par l’État.»

Le double contexte du procès Day et des amendements que souhaite déposer le ministre Barrette constitue la trame de fond d’enjeux à même de bouleverser le visage de nos systèmes de soins d’un bout à l’autre du pays.

Dans ce contexte, le Parti conservateur n’a pas agi de manière décisive durant la dernière décennie pour renverser la vapeur et clairement rappeler aux provinces l’interdiction de permettre la surfacturation.

Pour ce qui est des autres partis, tant le NPD que le Parti libéral du Canada (PLC) semblent contre les frais accessoires, notamment sous l’angle de l’équité et de la difficulté d’accès aux soins qu’une telle pratique peut engendrer.

Sur le site du PLC, cette intervention de 2013 de la critique en santé du parti, Hedy Fry, est un énoncé de position suffisamment clair à l’encontre des frais qu’on facture aux patients pour des services médicalement requis :

«La classe moyenne canadienne aux prises avec le fardeau croissant des coûts des soins de santé.

30 septembre 2013 […] Malheureusement, bon nombre de Canadiennes et de Canadiens sont confrontés aux défis engendrés par les coûts supplémentaires qui ne sont pas couverts par le système public de santé, notamment les médicaments, la physiothérapie, les installations à domicile, sans oublier les journées de travail perdues.

[…] Il ne devrait pas en être ainsi. Le système de santé devrait permettre d’améliorer la santé des Canadiennes et des Canadiens, réduisant ainsi les maladies coûteuses qui peuvent être évitées par la prévention, et fournir des soins de haut niveau sans imposer de fardeau financier.

Quel est le résultat ? Les Canadiennes et les Canadiens en ressentent les conséquences sur leur portefeuille, alors qu’ils traversent une des périodes les plus stressantes de leur vie. Ce devrait être au gouvernement fédéral de s’assurer que nous payions le moins possible de nos poches pour les soins de santé. […]»

Enjeu no 3 : le maintien du financement public fédéral en santé

Outre la nature du financement — privé ou public —, le niveau même du financement est, bien entendu, un déterminant important de la quantité et de la qualité des soins offerts par les systèmes de santé canadiens.

Comme nous le rappelle le site de Santé Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux ont longtemps financé, chacun à hauteur de 50 %, les coûts publics associés à la prestation des services de santé :

«De 1957 à 1977, la contribution financière du gouvernement fédéral aux soins de santé représentait un pourcentage (la moitié) des dépenses des provinces et des territoires pour des services médicaux et hospitaliers assurés.»

Dans les années subséquentes, la part du financement fédéral a graduellement diminué, alors qu’on assistait également à un transfert de points d’impôts vers les provinces — de sorte qu’il devenait plus difficile d’analyser les changements dans les parts relatives du financement.

En 2011, le gouvernement conservateur s’engageait à maintenir le niveau de programmes, de manière à permettre aux provinces de faire face aux dépenses de santé :

«Dans le domaine de la santé, le Parti conservateur s’engage à collaborer étroitement avec les provinces afin de renouveler l’Accord sur la santé et maintenir les transferts fédéraux aux provinces.

[…] les conservateurs auraient l’intention d’augmenter les transferts provinciaux en santé.

Dans un entretien avec les journalistes avant la présentation de la plateforme de son parti, le ministre des Finances, Jim Flaherty, a expliqué que des discussions étaient en cours avec les provinces pour maintenir à 6 % le “facteur de progression” qui fixe l’augmentation des transferts fédéraux en santé. Cette clause faisait partie du dernier budget présenté récemment par le ministre Flaherty.»

Or, en janvier 2012, le gouvernement Harper causait la surprise en diminuant, sans négociation avec les provinces, la hausse prévue du transfert canadien pour la santé (TCS) pour la ramener à un maximum de 4 %.

En résulte un manque à gagner de l’ordre de 36 milliards en financement fédéral, qui affectera grandement le financement des systèmes de santé provinciaux, selon le Conseil de la fédération :

«Au cours des dix années de la période du renouvellement du TCS, les provinces et les territoires recevront 36 milliards de dollars de moins du gouvernement fédéral au titre du TCS par rapport à ce qu’ils recevraient si le facteur de croissance de 6 % prévu au plan budgétaire fédéral de 2007 était appliqué.»

Le NPD semble assez clair quant à sa position visant à renverser cette décision et à restaurer le TCS à son niveau initial : «Comme premier ministre, Tom annulera les compressions massives des conservateurs en santé.»

Du côté du Parti libéral, je ne trouve rien sur le site Web du parti concernant sa position sur les transferts aux provinces.

Cette compression dans les transferts met en lumière une double dynamique. D’une part, on observe une opposition classique entre les conservateurs — dont l’objectif général vise à diminuer le rôle (et la taille) de l’État, ce qui passe dans ce cas par une baisse du financement — et les partis à tendance sociale-démocrate, lesquels visent plutôt à assurer l’équité d’accès par un financement public solide.

D’autre part, on renforce la tendance (appelée autrefois «déséquilibre fiscal») du gouvernement fédéral à transférer les dépenses vers les provinces, où croissent les besoins.

Jusqu’à récemment, les projections à long terme s’orientaient vers des surplus majeurs à Ottawa, et une croissance correspondante des déficits dans une majorité de provinces. On peut toutefois souligner qu’en raison des baisses d’impôt décidées par le gouvernement fédéral, ainsi que de la baisse récente des revenus du pétrole, la capacité de générer de tels surplus s’est fragilisée.

* * *

Ce texte était le deuxième d’une série de trois portant sur les enjeux en santé dans cette campagne électorale. Dans mon troisième et dernier texte, je traiterai des enjeux numéros 4 et 5 : l’assurance médicaments et l’aide médicale à mourir.

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Les commentaires sont fermés.

Seulement au Québec qu’on peut dire qu’une augmentation de 4% par année du financement en santé est une réduction. Mais bon, avec le NPD, l’argent va pousser dans les arbres alors pourquoi pas?

Le budget de la CSST ne provient pas des taxes et des impôts des Québécois, mais bien de cotisations payées par les employeurs du Québec.

Le mot taxe a un sens très large. Larousse (version en ligne) dit : « Prélèvement à caractère fiscal, destiné à alimenter la trésorerie de l’État, d’une collectivité locale ou d’un établissement public administratif en contrepartie d’un service rendu aux administrés. »

La même remarque s’adresse à monsieur Morin.

» … ou même la Commission de la santé et de la sécurité du travail [CSST]) assure le financement des soins en dirigeant les sommes provenant des taxes et des impôts. »
Pour votre gouverne, la CSST est financée à 100% par les cotisations des employeurs puisque c’est une compagnie d’assurance, publique certe, mais la CSST ne dirige pas des sommes provenant des taxes et des impôts.

La Commission de la santé et de la sécurité du travail est financée à 100 % par les cotisations des employeurs. Pas un sou provenant des taxes et impôts n’y est dirigé. Lorsqu’on diminue son financement, ce sont les entreprises qui économisent, pas l’État ni les contribuables.

L’assurance-médicaments du Québec est loin de correspondre à la définition de financement public du Dr Vadeboncoeur. Elle n’est pas financée de manière proportionnelle au revenu ni de manière proportionnelle à l’utilisation. Je connais quelqu’un qui n’a que 15 000$ de revenu ( son conjoint en a 40 000) mais qui doit payer ses 600$ de cotisation tout en consommant moins de 50$ de médicaments chaque année. C’est très régressif comme financement
public, beaucoup plus que la taxe santé, mais personne n’en parle. Curieux!