Les scientifiques étudient depuis des années les vastes plaines glacées du pôle Sud à l’aide d’instruments de plus en plus avancés. Cartographie satellite, imagerie radar et sous-marins robotisés nous aident à comprendre les importants changements que cause le réchauffement climatique en Antarctique.
Parmi les formations étudiées se trouvent de grandes plateformes de glace qui agissent comme des barrages : elles ralentissent l’écoulement de leur glacier parent dans l’océan, et empêchent ainsi des milliards de tonnes de glace de se retrouver dans la mer.
Or, comme le mentionnait l’automne dernier le journaliste Douglas Fox dans le magazine Scientific American, les observations récentes portent à croire que certaines de ces plateformes pourraient céder d’ici la fin de la décennie. Ces formations sont en quelque sorte un des nombreux canaris dans la mine de notre climat, et elles montrent de sérieux signes de faiblesse.
C’est notamment le cas de celle qui protège le glacier Thwaites, considéré par les experts comme l’inlandsis le plus vulnérable de l’Antarctique occidental. Si elle devait s’effondrer, le glissement du glacier vers la mer s’accélérerait énormément.
Cela engendrerait des déplacements forcés de populations vulnérables ainsi que des bris d’infrastructures critiques dans de nombreux pays côtiers.
Les chercheurs qui étudient l’évolution des failles dans les glaces de l’Antarctique ne se font plus d’illusions : ce n’est plus une question de savoir si la plateforme va céder, mais quand elle cédera. La lente mais incessante montée de la température de l’atmosphère et des océans cause de plus en plus d’infiltration d’eau salée sous ces plateformes de glace, ce qui accélère la fonte et augmente le risque d’effondrement.
Nul besoin de préciser que l’écroulement du barrage et la glissade du glacier dans l’océan seraient irréversibles à court et à moyen terme.
Et le glacier Thwaites est colossal. Avec une surface de près de 200 000 km2 (l’équivalent de la Grande-Bretagne, 10e île du monde en superficie), il contient suffisamment de glace pour élever le niveau global des océans de 65 cm à lui seul.
Cela engendrerait des déplacements forcés de populations vulnérables ainsi que des bris d’infrastructures critiques dans de nombreux pays côtiers.
Mais ce n’est pas tout. Le glacier Thwaites est lui-même entouré d’inlandsis de plus en plus instables. Son glissement dû à l’effondrement de la plateforme pourrait déstabiliser plusieurs autres glaciers de l’Antarctique occidental, tels que celui de l’île du Pin. Cette réaction en chaîne pourrait alors élever les niveaux de la mer de… plus de trois mètres. Trois mètres !
Évidemment, le climat de la Terre est un système dynamique hautement complexe dont les propriétés dépendent de nombreuses variables, parmi lesquelles plusieurs nous échappent encore.
Cependant, nous savons que la disparition des glaces aux pôles ne serait que le début. Nous connaissons depuis longtemps une propriété cruciale du climat planétaire : l’albédo, ou la proportion de lumière qu’une surface réfléchit au lieu de l’absorber. L’albédo de l’eau de mer est estimé à 0,1, ce qui signifie que 90 % de la lumière incidente du Soleil est absorbée, tandis que 10 % est réfléchie. Pour des surfaces enneigées, telles que les vastes plateformes glacées de l’Antarctique, l’albédo avoisine plutôt 0,9. Le scénario est donc inversé : 90 % de la lumière est réfléchie et seulement 10 % est absorbée.
L’absorption supplémentaire de la lumière du Soleil causée par la perte de ces gigantesques glaciers agirait sur le réchauffement climatique comme le fait de pointer un microphone directement vers un amplificateur. Cette rétroaction positive (positive feedback) accélérerait le réchauffement des eaux aux pôles, ce qui en retour déstabiliserait les courants marins partout sur Terre.
Quand je présente ces découvertes à mes étudiants, ils me demandent souvent : « Mais pourquoi avons-nous autant attendu avant d’agir ? » Je leur réponds semi-sérieusement que ce sera leur génération qui sauvera le climat — par altruisme ou par nécessité. Trop de gens puissants ont amassé trop de capital en induisant la population en erreur pendant trop longtemps. Entre agir et attendre de voir ce qui se passera, l’inertie a tendance à l’emporter. Mais la nécessité est mère de l’invention, comme le dit le proverbe. « Ce sera votre planète bientôt », ai-je l’habitude de rappeler en classe.
Le constat est malheureusement évident : ma génération et celle de mes parents ont lamentablement échoué en ce qui concerne le climat. Chers jeunes adultes, les écosystèmes de la Terre reposent maintenant sur vos épaules. Montrez-nous ce que nous aurions dû faire bien plus tôt.
Cette chronique a été publiée dans le numéro d’avril 2023 de L’actualité.
L’humanité ne prend pas assez au sérieux cette menace de montée des océans et on ne s’y prépare pas. Le glacier Thwaites mentionné dans cet article qu’on appelle le glacier de l’apocalypse ne tiendrait plus en effet qu’à un fil. Actuellement, il perd 50 milliards de tonnes de glace par année (50 kilomètres cubes) mais il se fissure dangereusement. S’il se détachait complètement de la banquise, les océans monteraient subitement de 65 cm. On peine à imaginer les conséquences. Le pire est qu’il est sans doute trop tard pour agir et que cet événement va malheureusement se produire.
https://www.geo.fr/environnement/fonte-des-glaces-thwaites-le-glacier-de-lapocalypse-ne-tient-plus-qua-un-fil-selon-des-chercheurs-211621
les boucles de rétro-actions positives qui va créer un emballement du réchauffement climatique sont multiples, comme l exemple montré dans cet. articles. pensons au dégagement des GES par le dégel du pergélisol.
la civilisation thermo-industrielle , est au bord d un collapsus irréversible, et sans parlé de la sixième extinction. ou, plus justement, la première extermination de masse, comme le dit Aurélien Barrau.
ça est à en pleurer ou rire d une immense tristesse… a small blue dot (Sagan) perdue….
Excellent article.
Comme ce doit être difficile et presque honteux d’être debout face à ces étudiants qui vous posent ces vrais questions … bien triste. Je me sens si impuissante !