Une viande hachée mi-maigre, ça contient combien de matière grasse ? Et une saucisse, c’est fait de quoi ? Pour le savoir, il faudrait consulter le Règlement de 1990 sur l’inspection des viandes. Pas le genre de document qu’on traîne avec soi à l’épicerie.
Au Canada, la dénomination de nombreux aliments et les détails des recettes correspondantes figurent dans les règlements d’application de plusieurs lois fédérales. On trouve par exemple le nom des espèces de poissons autorisées à la vente dans le Règlement de la Loi sur l’inspection du poisson. Des centaines d’aliments (produits transformés, fruits et légumes, œufs, produits laitiers, miel, etc.) sont décrits précisément dans les 11 règlements d’application de la Loi sur les produits agricoles. Des centaines d’autres (pains, pâtes, huiles, cafés, épices, boissons alcoolisées) dans le Règlement sur les aliments et drogues. C’est là que vous découvrirez, par exemple, qu’on a le droit d’ajouter un certain pourcentage de cellulose dans le fromage râpé… même si on s’attendrait à ce que celui-ci ne contienne que du fromage.
« Érable », dans le jargon du législateur, désigne autant un arbre qu’une saveur, ce qui fait qu’un yogourt ou un biscuit à l’érable… ne contient pas obligatoirement de produits de l’érable !
Au Québec, le nom de certains aliments et leurs recettes sont aussi régis par le Règlement sur les aliments du Québec, qui s’applique en plus de la loi canadienne. C’est dans la loi québécoise, par exemple, que vous trouverez la définition de ce qu’on peut appeler un « yogourt ».
Les lois permettent des distinctions subtiles, qui n’ont rien d’évident pour le consommateur. Envie de vous sucrer le bec ? Sachez que la « tire d’érable » (obtenue par concentration du sirop de sève d’érable ou du sirop d’érable) n’est pas la même chose que la « tire à l’érable » (qui peut contenir jusqu’à 25 % de glucose) ! « Érable », dans le jargon du législateur, désigne autant un arbre qu’une saveur, ce qui fait qu’un yogourt ou un biscuit à l’érable… ne contient pas obligatoirement de produits de l’érable !
Les choses se compliquent encore un peu plus pour les aliments arrivés plus récemment sur la table des Canadiens : leurs dénominations et recettes ne sont pas inscrites dans la loi. Dans ce cas, le nom choisi doit simplement correspondre… à ce qu’il est censé être. Prenons le vinaigre balsamique : selon la loi, du moment que ça ressemble à du vinaigre balsamique, c’en est ! Libre au fabricant de choisir ses ingrédients et sa recette, qui ont parfois peu à voir avec ceux du vinaigre balsamique traditionnel.
Depuis toujours, les aliments ont eu tendance à changer de recette quand ils changeaient de pays : les fabricants les intègrent à la culture alimentaire locale, tout en gardant leur nom d’origine. Voyageurs ou immigrants, sachez qu’au Canada la merguez, saucisse épicée originaire du Maghreb, contient fréquemment du porc. Et dans bien des pays, on a parfaitement le droit d’appeler « sirop d’érable »… du sirop de maïs !
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Même sur cette grande tablée planétaire, il y a cependant des règles universelles à respecter. La Commission du Codex Alimentarius, une organisation des Nations unies qui compte 188 pays membres, énonce ainsi 221 normes pour des aliments qui font l’objet de commerce international.
Ces normes indiquent, par exemple, quelles espèces vivantes (avec leur nom latin) peuvent être appelées « tomate » ou « crevette » partout dans le monde. Ou comment on doit préparer des « petits pois surgelés » et quels goût, grosseur et apparence ils doivent avoir. Ces normes listent aussi les additifs autorisés ainsi que les quantités permises. Les pays membres ne sont pas obligés de suivre les normes du Codex. Ils peuvent en adapter les définitions à leur goût, en diminuant, par exemple, la liste et les quantités d’additifs qu’ils autorisent. Mais ces normes servent de références lors de la signature d’accords commerciaux ou de différends.
Aux normes du Codex s’ajoutent aussi des règles globales fixées par d’autres organisations internationales, comme le Conseil oléicole international, qui définit par exemple ce qui peut s’appeler « huile d’olive extra-vierge » partout dans le monde.
Mais tous les pays ne s’entendent pas sur les règles du jeu, particulièrement pour les aliments traditionnellement issus d’une région ou d’une plante particulières. Les consommateurs n’ont aucune chance de s’y retrouver dans les indications géographiques qui sont, ou non, reconnues ! Amateurs de thé, sachez par exemple que si vous achetez du thé Darjeeling aux États-Unis, en Europe ou en Inde, il s’agit, sauf contrefaçon, de véritable thé originaire d’une région bien précise du nord de l’Inde. Mais le Bureau indien du thé n’a pas déposé sa marque au Canada, où on peut donc appeler « thé Darjeeling » n’importe quel thé… qui ressemble à du Darjeeling.
Vous aimez le prosciutto ? Voici une petite histoire à méditer en faisant la file chez votre vendeur de charcuteries fines. Sachez que jusqu’à récemment, n’importe quel producteur dans le monde pouvait vendre au Canada un produit appelé « jambon de Bayonne », du moment qu’il ressemblait à ce type de jambon cru. Mais avec la signature de l’accord de libre-échange Canada–Union européenne, le jambon de Bayonne fait partie des 145 indications géographiques protégées européennes (sur 1 500 existantes !) que le Canada doit désormais reconnaître. Depuis cet automne, il doit donc provenir exclusivement de la région de Bayonne, dans le sud-ouest de la France.
Pour le jambon de Parme, c’est une autre histoire ! Jusqu’à tout récemment, le Canada était le seul endroit au monde où les producteurs de prosciutto de la région de Parme, en Italie, n’avaient pas le droit de vendre leur célèbre jambon cru sous le nom de « Prosciutto di Parma » — même si, en Italie, cette appellation d’origine reconnaît un mode de production et une recette typiques. Au Canada, en effet, « Parma » est, depuis 1971, une marque de commerce… de l’entreprise Maple Leaf ! La signature de l’accord de libre-échange Canada–Union européenne a mis fin à la dispute et les Canadiens peuvent maintenant trouver dans leurs épiceries, sous le même nom, le produit de Maple Leaf et celui des producteurs italiens.
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Comme si tout cela n’était pas déjà assez compliqué, les industriels peuvent aussi jouer, dans une certaine limite, avec la taille et les polices de caractères ainsi que la forme des emballages pour que le véritable nom de l’aliment soit plus ou moins évident au premier coup d’œil pour le consommateur. Ils peuvent en outre utiliser toutes sortes de qualificatifs pas ou peu réglementés, comme « naturel », « artisanal », « grains anciens », « italien », et orner les emballages de drapeaux ou de symboles tels que la tour Eiffel, même si leur produit ne vient aucunement du pays représenté. Aux yeux du législateur, rien de tout cela n’est considéré comme assez trompeur pour être illégal.
Comme si les consommateurs avaient le temps de décrypter chaque petite ligne des emballages quand ils font leur épicerie !
Cet article a été publié dans le numéro de janvier 2019 de L’actualité.