Ce qu’il faut savoir sur les mutations

Faut-il avoir peur de variants plus dangereux ou qui risquent de rendre les vaccins inefficaces ? Voici les clés pour comprendre… et ne pas paniquer à chaque découverte d’une nouvelle mutation !

Radoslav Zilinsky / Getty images / Montage L'actualité

Mutation, variant, de quoi parle-t-on exactement ?

Le matériel génétique du virus SRAS-CoV-2 est de l’ARN. Cette molécule diffère un peu de l’ADN qu’on retrouve dans nos propres cellules. Elle est faite d’un enchaînement de quatre nucléotides, répétés dans un ordre qui détermine la structure des protéines que le virus va sécréter. L’ADN a deux brins de ce type accrochés l’un à l’autre, avec aussi quatre nucléotides qui s’enchaînent.

Le génome du virus compte environ 30 000 nucléotides. L’ADN du génome humain, lui, contient quelque 3,3 milliards de paires de nucléotides.

Contrairement aux humains, un virus n’a pas besoin d’une âme sœur pour donner naissance à un rejeton : il n’a qu’à entrer dans une cellule humaine, dont il pirate le matériel de manière à ce que la cellule infectée engendre un nouveau virus. Au cours de cette opération, il lui arrive très souvent de rater un peu son coup, par simple hasard : un nucléotide est modifié, voire oublié. C’est ce qu’on appelle une mutation ou, dans le second cas, une délétion.

Un variant désigne un groupe de virus qui ont grosso modo la même séquence génétique, comportant les mêmes mutations ou délétions aux mêmes endroits, et il se répand dans une population au gré des contaminations entre personnes. On parle aussi de souche.

Mutation = problème ?

Depuis le premier décodage complet du génome du SRAS-CoV-2, plus de 80 000 mutations différentes ont été répertoriées. Comme une personne infectée héberge souvent plusieurs milliards d’exemplaires du virus et qu’au moins 88 millions de personnes ont été infectées, on n’a probablement repéré qu’une minuscule fraction des mutations qui se sont produites.

Cela dit, l’écrasante majorité des mutations n’ont aucun effet. La plupart sont des erreurs qui se corrigent d’elles-mêmes dans les générations suivantes du virus, qui a un genre de correcteur intégré (on est chanceux, tous les virus n’ont pas ça !). D’autres sont plutôt des « tares génétiques » qui vont carrément l’empêcher de se répliquer.

L’effet des mutations qui restent dépend en bonne partie de l’endroit où elles se produisent. Dans le génome du SRAS-CoV-2, presque tous les nucléotides forment la séquence de 15 gènes qui dictent la recette des protéines du virus. Les protéines que fabrique le virus ont chacune leur rôle. La plupart servent à maintenir sa structure, pour ne pas qu’il parte en morceaux à la moindre occasion. La protéine appelée spicule, elle, est la clé qui permet au virus d’entrer dans certaines de nos cellules pour s’y reproduire. Elle forme les « pics » colorisés en rouge qu’on voit sur les images du virus.

Comme dans une vraie clé, toutes les parties du spicule n’ont pas la même importance. Certaines dessinent les motifs du contour de la clé qui correspondent à la forme de la serrure : on dit qu’elles font partie du « domaine de liaison au récepteur ».

Quand des mutations se produisent dans la partie du génome qui code pour le spicule, les spécialistes s’inquiètent. Quand elles ont lieu dans son domaine de liaison au récepteur, l’inquiétude monte encore d’un cran, car ces changements pourraient faire en sorte que le virus entre plus facilement dans les cellules, comme une clé bien affûtée. Ils pourraient aussi l’aider à déjouer la réponse immunitaire qui protège une personne ayant déjà été infectée ou vaccinée. On y reviendra. 

Cependant, même à cet endroit critique, certaines mutations ne changent rien. Il faut savoir en effet que pour produire une protéine, il faut d’abord que les nucléotides s’assemblent par paquets de trois, chaque paquet formant un acide aminé (oui, c’est compliqué, la génétique !). Ce sont ensuite les acides aminés qui se lient pour former les protéines. Le spicule, par exemple, est fait de 1273 acides aminés.

Or, bien souvent, quand un seul des trois nucléotides mobilisés pour former un acide aminé mute, le même acide aminé est quand même fabriqué, donc cela ne change strictement rien à la protéine. Ces mutations sont appelées « mutations synonymes ».

Comment le virus évolue-t-il ?

Comme les êtres vivants, le virus suit les lois de l’évolution, et les mutations les plus avantageuses pour lui ont plus de chances de se fixer définitivement dans son génome, pour former un nouveau variant. Nous sommes chanceux, car le SRAS-CoV-2 évolue plutôt lentement pour un virus à ARN : depuis le début de la pandémie, seulement une ou deux nouvelles mutations par mois se sont fixées.

Dès le printemps, par exemple, la mutation D614G a émergé, avant de s’imposer presque partout sur la planète. Son nom indique qu’à la 614e place dans l’enchaînement d’acides aminés formant le spicule, l’acide aspartique (D) a été remplacé par la glycine (G). Par chance, ce n’est pas dans le domaine de liaison au récepteur. 

Cette mutation semble avantager le virus, mais il est aussi possible qu’elle se soit répandue parce que, par hasard, les gens qui ont attrapé ce variant ont voyagé davantage ou côtoyé plus de personnes que ceux qui avaient l’ancienne version.

Britannique, sud-africain, né chez les visons… quels variants sont source d’inquiétude ?

Quand un virus change d’hôte, il tend à muter davantage, puisqu’il cherche à s’adapter aux caractéristiques de son nouvel ami. Les humains sont de très loin les hôtes favoris du SRAS-CoV-2. Depuis l’été dernier, de nombreux visons d’élevage ont été contaminés par des humains, puis, à l’occasion, des bêtes infectées ont ensuite contaminé d’autres personnes. Or, entre-temps, chez certains visons, le virus a muté. Au Danemark, en novembre, 12 personnes ont attrapé un variant né chez les visons, appelé « cluster 5 ». Il présentait six mutations dans la partie du virus codant pour le spicule, dont une mutation et une délétion dans le domaine de liaison au récepteur. Gros stress ! Plus de 10 millions de visons ont été abattus et ce variant n’a plus jamais été trouvé chez des humains. Il est donc considéré comme éteint. Bon débarras !

En décembre, le gouvernement britannique a annoncé qu’il s’inquiétait d’un nouveau variant qui, d’après deux prépublications scientifiques (ici et ), semble plus contagieux que les autres souches en circulation. Il serait apparu à la fin de l’été ou au début de l’automne, possiblement après qu’une personne immunosupprimée eut hébergé le virus pendant une longue période, ce qui lui aurait donné plus de chances d’évoluer. Ce variant qu’on appelle désormais VOC-202012/01 (pour premier « variant of concern » séquencé en décembre 2020) a 6 mutations synonymes, 13 non synonymes et 4 délétions dans ses gènes.

Une de ces mutations inquiète particulièrement : elle est dans le domaine de liaison du spicule… et pile à l’endroit le plus susceptible de renforcer la liaison avec nos cellules. Elle est baptisée N501Y (en 501e position, l’asparagine N a été remplacée par la tyrosine Y). 

N501Y a aussi été repérée dans un variant apparu en Afrique du Sud, qui a en plus deux autres mutations dans son domaine de liaison au récepteur, la E484K, aussi présente dans un variant récemment découvert au Brésil, et la K417N.

Bref, ça commence à faire pas mal de changements dans la partie cruciale du génome du virus, ce qui est logique, car plus le nombre de personnes infectées augmente, plus il a de chances d’évoluer pour s’adapter.

Les mutations N501Y et E484K semblent d’ailleurs être apparues spontanément sur différents continents, sans qu’un voyageur y ait transporté le virus. Cela indique qu’elles constituent probablement un avantage pour son évolution. Les enquêtes épidémiologiques laissent croire que ces nouveaux variants sont plus contagieux, et une étude en laboratoire a montré que la mutation N501Y permettait au spicule de se lier plus fortement au récepteur. Par contre, rien n’indique que les personnes infectées par ces nouveaux variants soient plus malades que les autres ou aient des symptômes différents. Ouf ! 

Fermer les frontières peut freiner la dissémination des variants plus contagieux, mais cette stratégie a généralement un succès limité parce que quand on les repère, il est souvent trop tard : il y a de fortes chances que des voyageurs les aient déjà apportés ailleurs. Or, il suffit d’une personne porteuse d’un variant pour que celui-ci se répande.

Par contre, on a tout intérêt à mettre le paquet pour le surveiller dès qu’il arrive dans un nouvel endroit, afin de ralentir sa propagation. Depuis son apparition, le VOC-202012/01 a déjà migré hors de l’Angleterre. Pour l’instant, un seul cas a été repéré au Québec, chez une femme revenant de ce pays, déclarée positive à la mi-décembre. Au Canada, on compte 14 cas.

Comment traquer les variants ?

Au Québec tout comme dans le reste du monde, on ne séquence pas le génome complet de tous les échantillons positifs. « Cette opération prend bien plus de temps, de main-d’œuvre spécialisée et d’argent que les tests de dépistage ordinaires, où, avec la technique de PCR, on lit seulement certaines parties du génome  », explique Sandrine Moreira, responsable de la génomique au Laboratoire de santé publique du Québec

Un test PCR coûte environ 30 dollars et prend deux heures, alors qu’un séquençage complet prend une semaine et coûte à peu près 75 dollars par échantillon. Au Québec, seuls le Laboratoire de santé publique et l’Université McGill (qui gère la Biobanque québécoise de la COVID-19, où sont déjà entreposés 90 000 échantillons positifs) peuvent faire ce séquençage complet. À cause de la logistique complexe du transport des échantillons depuis les quelque 80 labos qui font les tests PCR pour tout le Québec, il s’écoule au mieux environ trois semaines entre le prélèvement d’un échantillon chez une personne infectée et son séquençage complet.

En Angleterre, c’est un coup de chance qui a permis de repérer le nouveau variant, car le test PCR utilisé dans ce pays analyse une des régions du génome qui a muté. Mais le Royaume-Uni est aussi très en avance dans l’intégration de la génomique à ses stratégies de santé publique, et réussit à séquencer au moins 5 % de tous les échantillons positifs détectés par PCR, ce qui permet de mieux surveiller les variants qui circulent ou émergent, et de voir s’ils changent quelque chose à l’épidémie. Le Québec est également en très bonne position, avec environ 5 % des échantillons positifs séquencés, et des plans pour passer à 10 % dans les prochaines semaines.

Toutes ces informations sont intégrées dans des bases de données mondiales comme Nextstrain, qui permettent de suivre la progression des variants sur la planète.

Face au risque accru d’émergence de nouveaux variants, le Québec a modifié sa stratégie cet automne. Désormais, les échantillons positifs prélevés chez des gens liés à une éclosion dont faisait partie une personne immunosupprimée, chez des personnes revenant de voyage, des personnes réinfectées ou des gens qui auraient attrapé la COVID après avoir été vaccinés sont prioritaires. Leur séquençage complet est réalisé en une semaine, ce qui permettra de réagir plus vite si on y trouve une mutation inquiétante.

Dans un article publié début janvier, deux spécialistes américains estiment qu’il faudrait sortir l’artillerie lourde dès que le VOC-202012/01 est repéré quelque part : surveiller encore plus étroitement l’isolement des personnes infectées, tracer très vite et largement tous les contacts et les isoler, ainsi que déployer de nouveaux tests PCR ciblant les mutations de ce variant. Sandrine Moreira, elle, n’est pas convaincue. « Sur le papier, c’est une bonne option, mais avec nos ressources humaines et financières limitées, une telle réorganisation en pleine pandémie semble difficilement faisable », croit-elle. 

Quels risques pour les vaccins ?

Les vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna contiennent un brin d’ARN dont la séquence correspond à celle qui, dans le virus, code pour la production du spicule. Quand cet ARN entre dans une de nos cellules, il y commande la production de cette protéine, qui est rapidement éjectée de la cellule sous forme entière ou en fragments. Nos globules blancs vont alors concocter une multitude d’anticorps différents capables de se lier au spicule ou à ses fragments pour les détruire, et garder leur recette en mémoire.

Comme bien des anticorps ne sont pas dirigés vers le spicule entier, mais seulement vers les fragments de celui-ci, il y a de fortes chances qu’ils restent efficaces, au moins en partie, même si quelques acides aminés ont changé. 

On en a déjà eu une bonne illustration : tous les vaccins déjà autorisés ou en développement avancé ont été conçus avant que la mutation D614G n’apparaisse, et pourtant, ils sont très efficaces contre les variants qui la contiennent, devenus dominants partout dans le monde bien avant la fin des essais cliniques.

Par contre, on ne peut pas savoir si la réaction immunitaire provoquée par un vaccin, ou par une infection passée, pourra neutraliser complètement un virus doté de nouvelles mutations, car beaucoup trop d’anticorps différents sont en jeu et les chercheurs arrivent difficilement à les démêler. Heureusement, des tests assez simples nous en donnent une bonne idée une fois qu’une mutation potentiellement problématique est repérée.

C’est ce qui a permis à des chercheurs de Pfizer et de l’Université du Texas d’annoncer dès cette semaine, dans une prépublication, que le vaccin de Pfizer-BioNTech resterait efficace contre la mutation N501Y. En laboratoire, ces chercheurs ont modifié le virus pour en faire deux versions strictement identiques sauf à la position 501, où l’ARN commande soit la production de l’acide aminé N, soit celle du Y. Puis ils ont exposé ces deux versions du virus au sérum de 20 des personnes ayant été vaccinées lors de la phase 3 de l’essai clinique du vaccin. Résultat : dans les deux cas, les anticorps présents dans ce sérum ont neutralisé le virus, et avec la même efficacité. Bingo !

Il faudra répéter et confirmer ce genre d’expériences avec d’autres mutations, et avec les combinaisons de mutations présentes dans les variants qui émergent, pour guetter la moindre baisse d’efficacité des vaccins. Les sociétés pharmaceutiques, qui n’ont aucun intérêt à ce que leurs vaccins ne fonctionnent plus, surveillent ça de près.

La beauté des vaccins à ARN, c’est que si la séquence du SRAS-CoV-2 qui code pour le spicule change au point que le virus échappe ne serait-ce qu’en partie à la réaction du système immunitaire, alors il suffira que les fabricants modifient en conséquence la séquence de l’ARN qu’ils mettent dans leur vaccin. L’opération n’est pas compliquée — Pfizer pense que cette opération ne prendrait pas plus de trois semaines — et a beaucoup de chances de réussir. Les autres types de vaccins pourraient aussi être adaptés, mais probablement pas aussi vite. 

Au final, selon comment le virus évoluera, il faudra donc peut-être plusieurs vaccins différents pour s’adapter aux variants qui circulent dans différents coins du monde, ce qui compliquerait, bien sûr, la logistique et ralentirait la cadence de production. 

Le spectre d’un vaccin rendu complètement inefficace en quelques mois, par contre, est peu plausible. Mais le temps joue contre nous : plus vite une grande proportion de la population mondiale sera vaccinée, meilleures seront les chances de mater le virus sans que des mutations viennent nous compliquer la vie !

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