Ces hommes qui meurent trop

Dès l’adolescence, la mortalité masculine bondit par rapport à celle des femmes. Quels facteurs expliquent le phénomène ? Les hommes sont des « petites bêtes un peu fragiles », explique Alain Vadeboncœur.

Photo: iStockphoto

Comme tout le monde, je savais que nous, les hommes, jouissions d’une espérance de vie plus faible que celle des femmes. Mais quand j’ai révisé les données québécoises sur le sujet, ce qui m’a étonné, c’est que nous mourons davantage à presque tous les âges. Nous sommes en quelque sorte des petites bêtes un peu fragiles tout au long de notre vie.

C’est du moins ce que montre la banque de données sur la santé des hommes et des femmes du ministère de la Santé, d’où sont tirés tous les graphiques de ce texte.

Quels facteurs expliquent le phénomène ? Les bébés filles ont un léger avantage de survie à la naissance. Mais par la suite, de 0 à 14 ans, les deux groupes s’équivalent pour ce qui est de la mortalité. Cela ne tient pas longtemps.

En effet, tout se corse pour les hommes à partir de l’adolescence, où la mortalité masculine bondit — jusqu’à trois fois plus élevée que celle des femmes à l’âge de 20 à 24 ans. Le phénomène persiste au moins jusque tard dans la trentaine. De 15 à 54 ans, la mortalité des hommes est toujours d’au moins 30 % plus élevée que celle des femmes.

Par la suite, et jusqu’à la fin de la vie, la mortalité reste toujours plus élevée chez les hommes. Celle des femmes augmentant graduellement, l’écart relatif tend cependant à diminuer.

Taux de mortalité pour 1 000 de population. Source : MSSS

À terme, l’espérance de vie actuelle est de 80,8 années chez les hommes et de 84,5 années chez les femmes. L’écart tend à se rétrécir depuis quelques décennies.

On conviendra que mourir à 20 ans, une pleine vie devant soi, c’est autrement plus triste que de s’éteindre à 90 ans, au terme d’une longue vie. La personne qui meurt à 20 ans perd ainsi plus de 60 années de vie active, alors que pour la personne de 90 ans, la « perte » n’est que de quelques années, en moyenne peu productives et parfois de piètre qualité.

C’est ce qu’on désigne sous le terme « d’années potentielles de vie perdues », un concept clé en santé publique quand il s’agit de savoir où les interventions auront le plus d’effet. On les calcule en soustrayant l’âge du décès de 75. Ainsi, un décès survenant à 15 ans équivaut à 60 années potentielles de vie perdue.

Sous cet angle, l’incidence maximale d’un décès se situe évidemment dans la jeunesse. Comme les hommes meurent plus souvent à l’adolescence et jeunes adultes par accident, ils perdent ainsi beaucoup plus d’années de vie active que les femmes.

Par contre, les causes très fréquentes, comme les maladies circulatoires, sont aussi liées à la perte d’un grand nombre d’années potentielles de vie perdue, même si elles surviennent bien plus tard dans la vie.

Des causes différentes selon le sexe

Quelles causes expliquent cet excès de mortalité chez les hommes, du tout jeune âge à la maturité, notamment en matière d’années potentielles de vie perdues ?

D’abord, il faut savoir que les tumeurs et les maladies de l’appareil respiratoire pèsent de façon plutôt semblable chez les hommes et les femmes. Ce ne sont pas les mêmes cancers, bien entendu, par exemple celui de la prostate chez l’homme et du sein chez la femme, mais il demeure que les deux sexes ressortent ici plutôt égalitaires.

Par contre, toujours sous l’angle des années potentielles de vie perdues, on trouve des différences majeures entre les sexes dans l’effet général des causes externes, comme les accidents, et des maladies de l’appareil circulatoire, comme l’infarctus aigu. Globalement, leur incidence est bien plus grande chez les hommes.

Comme les maladies de l’appareil circulatoire affectent davantage les hommes à partir de la quarantaine, soit plus tôt que chez les femmes, les années potentielles de vie perdues triplent presque pour cette raison.

Taux pour 100 000 personnes de 0-74 ans, standardisées selon la structure par âge, sexes réunis, de la population de l’ensemble du Québec en 2011. On voit que ce sont dans les causes circulatoires et les causes externes que les différences sont maximales entre les hommes et les femmes. Source : Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Taux des années potentielles de vie perdues selon les grands regroupements de causes. Mise à jour le 1er mars 2017. Rapport de l’onglet Plan national de surveillance produit par l’Infocentre de santé publique à l’Institut national de santé publique. (Consulté le 16 mai 2017)

Les causes externes

Du côté des causes externes, dont l’incidence est bien moindre que celle des maladies circulatoires, l’effet majeur s’explique par le fait qu’elles frappent bien davantage les hommes tôt dans la vie, soit dès l’adolescence, ce qui explique l’essentiel de la différence de mortalité des hommes à partir de 15 ans et jusque dans la trentaine.

Mais quand on parle des causes externes ou accidentelles, de quoi parle-t-on ? D’abord, de la terrible mortalité par suicide. Bien qu’elle ait tendance à s’améliorer au fil des ans, notamment en raison des campagnes de la santé publique, elle demeure environ trois fois plus élevée chez les hommes de 18 à 64 ans.

Autre source de décès dramatiques : les accidents de la route mortels comptent pour environ le double chez les hommes que chez les femmes, dès le début de l’âge adulte et pour plusieurs décennies.

Source : Fichier des décès et Estimations et projections démographiques, ministère de la Santé et des Services sociaux. Tiré du rapport de l’onglet Plan commun de surveillance produit par l’Infocentre de santé publique à l’Institut national de santé publique du Québec, le 11 juillet 2016. Mise à jour de l’indicateur le 6 juillet 2016.

À ne pas négliger, les blessures causées par les lésions professionnelles comptent également pour presque le double chez les hommes que chez les femmes durant la vie active. J’imagine que c’est en raison des métiers exercés, plus à risque. D’ailleurs, les blessures, toutes catégories confondues, surviennent bien plus souvent chez les hommes.

Facteurs de risque chez les hommes

On l’a vu, les problèmes circulatoires entraînent la perte de trois fois plus d’années potentielles de vie perdue chez les hommes. Comment explique-t-on cette différence majeure ? De plusieurs manières.

Il est probable que les hommes aient une prédisposition génétique à avoir plus de maladies circulatoires, notamment pour des raisons hormonales, les femmes étant jusqu’à un certain point protégées par les oestrogènes jusqu’à la ménopause. À ce moment, l’incidence de maladies cardiaques augmente en effet rapidement chez elles. Mais il faut regarder aussi la question des facteurs de risque modifiables, plus présents chez les hommes.

Au premier chef, le taux de tabagisme demeure plus élevé chez les hommes que chez les femmes, même s’il diminue dans les deux cas au fil des ans, sous l’impulsion des campagnes de santé publique.

En conséquence, la mortalité liée au tabagisme demeure bien plus élevée chez les hommes. Par contre, les décès liés au tabagisme sont en diminution constante depuis quelques décennies, une excellente nouvelle.

Source : MSSS

Mais si le taux global de tabagisme a baissé au Québec jusqu’à moins de 20 %, il est tout de même plus élevé (environ 22 %) chez les hommes que chez les femmes (environ 18 %), la différence étant plus marquée entre 20 et 44 ans.

Source : MSSS

Qu’on ne se méprenne pas : même si les infarctus frappent généralement après 40 ans, la maladie menant à ces graves événements, appelée athérosclérose, s’infiltre déjà dans les artères plusieurs décennies avant sa manifestation sous forme de crise cardiaque.

Outre le tabagisme, on note aussi que le surpoids, qui touche plus de la moitié des adultes, est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes,  dans tous les groupes d’âge. Le phénomène est particulièrement marqué chez les 25 à 44 ans, encore une fois. Comme avec le tabac, on prépare ainsi un terrain propice à l’apparition de l’athérosclérose.

Source : Fichier de microdonnées à grande diffusion de 2013-2014 de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), Statistique Canada. Tiré du rapport de l’onglet Plan commun de surveillance, produit par l’Infocentre de santé publique à l’Institut national de santé publique du Québec, le 3 juin 2016. Mise à jour de l’indicateur le 31 mars 2016. 1. Indice de masse corporelle = IMC. Embonpoint : IMC de 25,0 à 29,9. 2. Indice de masse corporelle = IMC. Obésité : IMC ≥ 30,0. 3. À l’exclusion des femmes enceintes.

C’est peut-être en partie parce que, par ailleurs, les hommes mangent moins bien que les femmes, étant plus souvent abonnés à la nourriture préparée commercialement, plus riche en sel et en sucre, et préparant moins souvent la nourriture à la maison.

Enfin, le taux d’adultes consommant au moins cinq fois par jour des fruits et légumes est bien moins élevé chez les hommes, par un facteur d’au moins 30 %. Au tabac et au surpoids s’ajoute le facteur alimentaire, qu’on sait fort important dans la santé des vaisseaux, mais aussi dans la prévention du cancer.

Par contre, parmi les facteurs de protection contre ces deux grands tueurs, les hommes font généralement plus d’exercice que les femmes, dès l’adolescence. Une différence qui se maintient tout au long de la vie, bien qu’elle tende à s’émousser après la trentaine.

Cela ne semble pas suffisant pour contrer l’influence des autres facteurs de risque, qu’on parle de la génétique, du tabac ou de l’alimentation. Ni d’enrayer le surpoids constaté chez les hommes. En additionnant tous ces facteurs, on comprend mieux pourquoi les hommes souffrent davantage de maladies cardiovasculaires que les femmes et en meurent plus jeunes.

Enfin, à ne pas négliger, un autre facteur bien connu explique une différence de mortalité : l’usage excessif de l’alcool augmente la mortalité, à la fois par ses effets immédiats (accidents) et par ses conséquences nombreuses à plus long terme.

Or, dans tous les groupes d’âge, la consommation d’alcool est non seulement beaucoup plus élevée chez les hommes, mais la mortalité spécifiquement liée demeure près du triple chez les hommes que chez les femmes !

Source : MSSS

Bref, pour toutes ces raisons, les hommes meurent davantage que les femmes, et à tous les âges de la vie, sauf la courte période qui suit la naissance et se rend jusqu’à l’adolescence.

Dans un prochain texte, j’aborderai bien entendu cette question sous l’angle des solutions possibles. Parce qu’il ne s’agit sûrement pas de ne rien faire !

Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇

Les commentaires sont fermés.

A la lecture ce que je comprend c’est l’espérance de vie des hommes est moindre parce qu’ils prennent plus de risque et surveille moins leur santé et non parce qu’Ils sont « petites bêtes un peu fragiles ».

Si on accepte que les comportements et les choix de vie font aussi partie de la « petite bête », la phrase est assez juste. Ce que ne veut pas dire que ce sont des caractéristiques innées ou non-modifiables.

Je suis vraiment étonné de voir que le surplus de poids touche plus d’hommes que de femmes. Faut croire que ca parait moins devant que sur les côtés….

J’ai souvent entendu dire que les avortements spontanés sont souvent des mâles plutôt que des femelles. Vous n’en parlez pas dans votre article, est-ce que vous avez des statistiques sur ce sujet? Si cela s’avérait exact, cela signifierait que la mortalité des hommes n’est pas due à leur prise de risque plus grande ou leurs habitudes de vie, mais plutôt à une cause génétique.

J’ai déjà entendu cela aussi, il faudrait vérifier. Ceci dit, ce n’est pas parce que nous sommes sujet à davantage de fausses-couches que cela devrait se refléter par une fragilité dans la vie à l’extérieur de l’utérus. Mais il est toujours possible que cela soit lié.

Vous voulez dire que malgré une prise de risque plus grande chez l’homme et des habitudes de vie moins saines (alcool, etc), l’espérance de vie est de 80,8 années chez les hommes et de 84,5 années chez les femmes (et l’écart se continue de se rétrécir)?
Je ne vois pas où est la fragilité là-dedans?

Comme on meurt plus à tous les âges, on peut appeler ça de la fragilité. Mais évidemment, c’était une boutade. Désolé si ce n’était pas clair.

C’est une étude intéressante mais quand on regarde l’évolution de notre société de consommation et la qualité de fin de vie des »bénéficiaires » pour demeurer dans le ton de nos dirigeants qui ont sorti l’humain de l’équation. Je crois sincèrement que la majorité d’entre nous vivons beaucoup trop vieux et quand on y regarde de plus près, la qualité est assez uniforme et on ne mélange pas les clients.

Ça se discute. Les personnes âgées sont aussi de plus en plus en forme. De bonnes habitudes de vie, comme l’exercice régulier, permet aussi la « compression de la morbidité », c’est-à-dire de diminuer les années de baisse d’autonomie tout en éloignant la mort. De sorte que la vieillesse est plus heureuse et en santé.