
La tarification du carbone — sur laquelle Québec a misé pour lutter contre les changements climatiques — est une bonne option, et les provinces canadiennes devraient suivre cette voie pour compenser l’inaction du gouvernement fédéral et la lenteur des négociations internationales sur le climat, selon un rapport publié cette semaine par la Commission de l’écofiscalité du Canada.
Mais le diable est dans les détails, et cette initiative porteuse pourrait bien n’être qu’un coup d’épée dans l’eau (l’air ?) si l’on n’y prend garde.
Formée d’économistes universitaires et d’anciens hauts fonctionnaires, la Commission de l’écofiscalité du Canada compte plusieurs ex-politiciens, comme Jean Charest, Preston Manning et Bob Rae, dans son comité consultatif. Le regroupement, indépendant des gouvernements, est financé par des fondations familiales et plusieurs entreprises.
La Commission vise à proposer des solutions fiscales pragmatiques pour «promouvoir une économie florissante qui repose sur la qualité de l’air, des sols et de l’eau, au bénéfice présent et futur de tous les Canadiens.»
Dans son premier rapport (pdf) publié le 7 avril, elle avance que la tarification du carbone par les provinces du Canada est un outil décisif pour parvenir à diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays.
Tout indique que ni les provinces ni le fédéral ne parviendront à atteindre les cibles de réduction qu’ils s’étaient fixées pour 2020 — à l’exception peut-être de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse.
Jusqu’à présent, seules quelques provinces se sont dotées d’outils pour faire payer les émissions de GES.
En 2008, la Colombie-Britannique a instauré une taxe carbone de 10 dollars par tonne sur toutes les émissions provenant de la combustion de sources fossiles. Cette taxe atteint aujourd’hui 30 dollars la tonne et couvre 70 % des émissions de GES de cette province.
En 2013, le Québec a instauré, en collaboration avec la Californie, son système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions pour des secteurs réglementés, dans lequel une tonne de CO2 vaut actuellement 15 dollars.
L’Alberta a aussi mis sur pied, en 2007, la Specified Gas Emitters Regulation, pour forcer les gros émetteurs de GES à réduire l’intensité de leurs émissions (la quantité de GES émise par unité de production), mais en leur permettant d’acheter auprès d’autres des crédits d’émissions — ou de compenser celles-ci par des contributions à un fonds de développement technologique.
L’Ontario devrait annoncer, dans les prochains jours, qu’il va à son tour se doter d’un marché du carbone, lequel pourrait être lié au marché Québec-Californie.
Selon la Commission, ces mesures ont eu des effets fort différents.
En Colombie-Britannique, les premiers bilans montrent que la taxe carbone a été très efficace, puisqu’elle fait à la fois diminuer les émissions de GES et progresser l’emploi.
En Alberta, en revanche, la tarification d’une partie du carbone n’a eu aucun effet ni sur les quantités de GES émises, ni même sur l’intensité des émissions.
Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les effets du marché du carbone québécois.
La Commission de l’écofiscalité ne préconise pas une approche plutôt qu’une autre. Taxe et marché du carbone ont chacun des avantages et des inconvénients, qui peuvent être plus ou moins pertinents selon le profil énergétique de chaque province.
Elle insiste plutôt sur le fait que les détails de conception ont une importance majeure dans l’efficience de ces différents modes de tarification du carbone — ce qui fera l’objet d’un prochain rapport.
Et c’est peut-être là que les choses se gâtent pour le Québec, où le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, David Heurtel, s’est pourtant réjoui de ce rapport.
En effet, on n’a pour l’instant que très peu de garanties sur la réussite de la stratégie québécoise, car le plus grand flou règne sur la manière dont sera dépensé l’argent engrangé par le Fonds Vert à partir du marché du carbone.
Dans son rapport rendu public au printemps 2014, le Vérificateur général du Québec avait descendu en flèche la gestion de ce Fonds, dans lequel le gouvernement a versé 2,1 milliards de dollars depuis 2006… sans qu’on sache trop à quoi ils ont servi.
L’année qui vient de s’écouler ne semble pas avoir amené de grands changements en la matière. La page Internet du Ministère censée nous renseigner est, notamment, toujours aussi désespérément sibylline.
Une telle opacité est extrêmement inquiétante, et il y a urgence à montrer beaucoup plus de rigueur dans la gestion de ce fonds si on veut vraiment que le marché du carbone permette au Québec de diminuer ses émissions de GES et de faire sa part dans la lutte contre les changements climatiques.
Selon le Commissaire au développement durable, en outre, la stratégie gouvernementale de développement durable 2008-2013 «n’a pas permis de faire des choix essentiels à l’orientation du développement de la société pour les prochaines années et de centrer les actions des entités sur les priorités ainsi établies».
Pour faire mieux à l’avenir, il ne suffit pas de publier une nouvelle stratégie gouvernementale et de se doter d’un marché du carbone.
Il va falloir beaucoup de rigueur et de courage politique pour réellement infléchir les comportements, imposer un régime minceur aux émissions de GES et bâtir une économie faible en carbone.
Le premier ministre Philippe Couillard semble vouloir agir en meneur en matière de lutte contre les changements climatiques, même si le récent budget ne comportait aucune nouvelle mesure en matière d’écofiscalité.
Parviendra-t-il à s’attaquer à nos émissions de GES avec la même pugnacité que celle dont il fait preuve en ce qui a trait aux finances publiques ?
Début de réponse le 14 avril, alors que Philippe Couillard accueillera à Québec un sommet des provinces et des territoires sur le climat, auquel il a convié deux invités de marque : Christiana Figueres, secrétaire générale de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et Mark Kenber, président-directeur général du Climate Group. Du beau monde !
Le 11 avril, les groupes écologistes convient quant à eux les Québécois à une grande marche, à Québec, pour démontrer leur soutien à la lutte contre les changements climatiques.
Leur message : «Oui à la protection du climat ; non aux sables bitumineux, pour les énergies renouvelables»
En serez-vous ?
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À propos de Valérie Borde
Journaliste scientifique lauréate de nombreux prix, Valérie Borde a publié près de 900 articles dans des magazines depuis 1990, au Canada et en France. Enseignante en journalisme scientifique et conférencière, cette grande vulgarisatrice est à l’affût des découvertes récentes en science et blogue pour L’actualité depuis 2009. Valérie Borde est aussi membre de la Commission de l’éthique en science et en technologie du gouvernement du Québec, en plus d’être régulièrement invitée dans les médias électroniques pour commenter l’actualité scientifique. On peut la suivre sur Twitter : @Lactu_Borde.
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Oui, nous serons à la marche. Agissons pour notre terre, notre air, notre eau, nos enfants, chaque petit geste compte, comme chaque goutte d’eau contribue au grand fleuve. Les politiques doivent nous écouter et freiner les grosses machines a sous.
J’y serai et j’aimerais bien vous y voir vous et vos lecteurs, demain 11 avril à Québec. Très intéressant questionnement sur le Fonds Vert. Continuez votre enquête.
Je réplique tout de suite à François 1 avant qu’il vienne nous dire que tout ça est de la faute du PQ et des syndicats :
Si tu regardes les faits tu t’apercevras que le PQ n’était pas pouvoir lorsque le Fonds Vert a été mis sur pied, ni la stratégie gouvernementale de développement durable 2008-2013 d’ailleurs. Même si le PQ a pris le pouvoir en 2012 la stratégie était sur ses derniers milles, rendu-là impossible de faire dérailler ce genre de coquille pratiquement vide.
Avis à l’Opposition, aux journalistes, aux blogueurs et à la population: on cherche 2,1 milliards perdus dans la brume verte