Mon dernier cas juste avant mes vacances paraissait a priori banal. Une jeune femme consultait pour des douleurs au thorax, craignant une crise cardiaque. J’ai eu tôt fait de la rassurer : de tels malaises, situés du côté droit, variant à la respiration, ne pouvaient être un symptôme d’infarctus. Mais cela devait être autre chose, que j’allais approfondir. Une infection, par exemple. Peut-être un décollement du poumon.
Après avoir palpé, ausculté, échographié, j’ai demandé une radiographie pulmonaire. Ayant obtenu les clichés sur mon ordinateur quelques instants plus tard, l’appareil portable de radiologie communiquant directement avec les serveurs cliniques par Wi-Fi, je me suis alors inquiété. C’est qu’à la base du poumon droit, près du cœur, on apercevait une lésion de nature incertaine. Peut-être inflammatoire, infectieuse, ou quoi encore… Un caillot ?
J’ai aussitôt texté Julie, radiologiste de garde. Mon téléphone a aussitôt vibré en écho.
« Écoute, Julie, j’aimerais ça que tu jettes un coup d’œil à une radio.
— Oui, pour qui ?
— Doucet, une femme de 29 ans.
— Je suis devant mon ordi, je l’ai.
— Tu vois, à la base droite, c’est curieux, hein ?
— Y a vraiment quelque chose…
— On va devoir la scanner ?
— OK, je te fais ça. »
J’ai demandé à l’infirmière un bilan sanguin, généré ma requête pour le scan, informé ma patiente des étapes à venir. Tout juste 20 minutes après, je l’ai recroisée alors qu’elle retournait en salle d’attente. Mon téléphone, à nouveau. Julie.
« Écoute, Alain, c’est vraiment spécial, même que…
J’ai ouvert les images, incertain de ce que j’apercevais.
… j’ai dû vérifier, je pense que c’est la deuxième fois que j’en trouve une.
— C’est pas une embolie ?
— Non. Imagine : une nécrose de la graisse épicardique.
— Une quoi ?
— C’est rare, ça fait une bonne question d’examen, mais on n’en voit presque jamais dans la vraie vie.
— Et dans la vraie vie, c’est grave ?
— Juste un morceau de la graisse près du cœur qui se tord. Ça peut faire mal, mais il n’y a pas de danger.
— Donc, des anti-inflammatoires. Est-ce que je demande un contrôle de scan ?
— Non. C’est douloureux, mais bénin, ça disparaît tout seul. »
J’ai remercié Julie, suis retourné voir ma patiente pour bien lui expliquer la situation, la rassurer surtout, puisqu’elle s’inquiétait toujours pour son cœur, et répondre à ses questions. Je lui ai remis une ordonnance d’anti-inflammatoires.
La journée s’achevait, le soleil brillait bas au-dessus des maisons situées en face de l’urgence en ce dimanche encore légèrement trop chaud. Le soir même, après quatre mois un peu trop intenses de médecine COVID, j’allais enfin tomber en vacances. Je savourais déjà le moment.
« J’ai pris conscience que, ce jour-là, ça faisait exactement 30 ans que je pratiquais la médecine d’urgence. »
J’ai terminé rapidement ma note à l’ordinateur avant de fermer ma session. De retour à mon bureau, j’ai enlevé masque et lunettes de protection, accroché mon stéthoscope, rangé l’échographe et serré mon cellulaire d’hôpital dans le tiroir. Et j’ai pris conscience que, ce jour-là, ça faisait exactement 30 ans que je pratiquais la médecine d’urgence.
Trente années, jour pour jour, passées à soigner, gérer, planifier, développer, chercher, commenter, écrire, parler, et même jouer au théâtre, mais toujours comme urgentologue. J’ai surtout songé que la médecine d’urgence avait beaucoup changé depuis mon arrivée comme nouveau médecin à l’hôpital Pierre-Boucher, en juillet 1990, à 26 ans.
En 2020, à 56 ans, je porte maintenant mon échographe à la ceinture, j’écris toutes mes notes à l’ordinateur — une nette amélioration de lisibilité ! —, je texte mes consultants, je prescris des tests sanguins jadis inconnus, j’examine les images radiographiques envoyées par Wi-Fi, je consulte mes dossiers à l’écran. Un univers à la Star Trek que je n’aurais pu imaginer à mes débuts.
Mais l’essentiel, c’est qu’après toutes ces années, j’aime toujours autant mon travail. J’aime ces rencontres brèves — parfois intenses — avec les patients. J’aime les écouter, les examiner, réfléchir avec eux à leurs symptômes, m’appuyer sur l’analyse et la réflexion pour tenter de mettre le doigt sur le bobo. J’aime les soigner de mon mieux.
Sur le fond, mon travail n’a donc pas changé tant que ça. Surtout qu’il m’arrive encore de poser pour une première fois un diagnostic rare pour un trouble dont je n’avais jamais entendu parler. Et à propos duquel j’irai lire avec la curiosité d’un tout jeune médecin le soir venu.
Bon, il faisait beau ce soir-là, j’avoue que j’ai remis cette lecture à la fin des vacances.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de septembre 2020 de L’actualité.
Bravo, des méd qui ont à coeur leur travail et qui portent une grande attention à leurs patients, ça en prends et ça en prends bcoup comme vous !
Bonnes vacances ☀️
Merci à vous! Mais les vacances sont terminées. Fort reposantes, d’ailleurs. Bonne fin d’été!
Comme au tout premier jour
Merci d’être qui vous êtes. Tout simplement.
C’est pas mêlant : si je me retrouvais aux urgences, c’est à VOUS que je voudrais avoir à faire :o)
Je ne peux pas vous souhaiter cela, bien évidemment. Mais je vous soignerais de mon mieux si cela devait arriver. Bonne soirée.
Merci pour votre excellent travail d’informations concernant la médecine et vos expériences. J’apprécie vos chroniques qui permettent de démystifier, mais surtout malgré les nouvelles technologies, démontre bien le côté humain qui gravite autour et qui permet à la médecine d’avancer à vitesse grande V tout en ayant une attention particulièrement humaine pour les patients.
La médecine demeure un métier très humain, malgré l’impact des technologies qui transforment considérablement notre travail. Mais si on arrive pas à rester humain dans tout cela, c’est qu’on est peut-être pas complètement à notre place. Bonne soirée à vous.
Félicitations pour vos trente années de carrière. Merci d’être à notre écoute et d’aider les gens avec empathie et dévouement!
Merci à vous. Et vous savez quoi? 30 ans ça passe très vite. Bonne soirée à vous.
Je vous remercie d’être ce que vous êtes, un vrai médecin qui est là pour ces patients, pour leur bien-être contrairement à beaucoup qui sont là pour l’argent et qui ne peuvent nous le cacher. Je m’ennuie beaucoup de l’émission Les Docteurs. L’information fournie était plus qu’utile surtout que beaucoup de vos collègues ne nous laissent même pas le temps de poser nos questions et ne prennent pas le temps de nous expliquer leur démarche… c’est cela la philosophie du patient-partenaire, une belle théorie, un beau , cela parait tellement bien …
A les entendre, on les croirait presque humains, on dirait que la relation d’aide est importante pour eux alors qu’en pratique, c’est le jour et la nuit …
Merci encore d’aimer ce que vous faites et de prendre soin de vos patients avec autant de générosité et de professionnalisme,
Il est vrai que ce qui était bien avec l’émission, c’est qu’on prenait le temps de répondre aux questions. J’aime bien répondre aux questions directement, malheureusement, dans le monde dans lequel nous vivons, on manque parfois de temps pour bien le faire. Pourtant, cela fait nécessairement partie du métier. Je vous souhaite une bonne soirée.