Le 15 octobre 2021 restera gravé dans l’histoire du lac Massawippi, un des plus beaux plans d’eau de l’Estrie. Ce jour-là, les jeunes plongeurs en apnée engagés par l’organisme de conservation Bleu Massawippi y ont trouvé pour la toute première fois en trois étés l’ennemi tant redouté : des moules zébrées ! Les quelques individus encore jeunes, à peine de la grosseur de l’ongle du petit doigt, arrivés d’on ne sait où, étaient déjà solidement accrochés à 5 des 10 pièges qui leur avaient été tendus.
Michèle Gérin, directrice générale de l’organisme et amoureuse du lac qu’elle fréquente depuis l’enfance, était sur le pied de guerre depuis que ce petit mollusque avait été vu pour la première fois dans le lac Memphrémagog voisin, en 2017, puis dans le lac Magog juste à côté. Sitôt l’ennemi repéré, elle a appelé donateurs et gouvernements à la rescousse pour mettre en branle un plan visant à empêcher les moules de se reproduire dans le lac Massawippi. Il fallait multiplier les plongées pour éliminer au fur et à mesure tous les nouveaux individus trouvés, et surveiller strictement le plan d’eau afin qu’aucune embarcation n’y entre et n’en sorte sans être parfaitement nettoyée. « On a déjà dépensé 200 000 dollars et ce n’est qu’un début. Si on n’agit pas maintenant, on n’aura plus aucune chance d’en réchapper. Or, vivre avec la moule zébrée, ce ne sera pas drôle, et ça va nous coûter encore plus cher », insiste cette femme énergique, qui ne mâche pas ses mots.
Le danger : que le lac Massawippi se retrouve envahi en quelques années par cette espèce exotique, avec à la clé des impacts écologiques et économiques majeurs. En filtrant l’eau, les moules la rendent plus claire, ce qui favorise les éclosions de cyanobactéries. La clarté accrue change également la répartition des plantes submergées et perturbe les frayères. De plus, les plages se recouvrent de débris de coquilles qui font mal aux pieds des baigneurs. Le lac, très prisé des villégiateurs et des amateurs de pêche sportive, y perdrait beaucoup de son attrait. Si les moules zébrées s’y installent, des monceaux de mollusques vont coloniser l’intérieur des prises d’eau avec leurs larves, jusqu’à les boucher en un rien de temps, et aussi encroûter toutes les surfaces dures des quais et des bateaux. D’autant que le lac Massawippi, contrairement à ses voisins, contient pile la quantité de calcium dissous dans l’eau qui plaît au redoutable mollusque.
Selon le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), le Québec compte environ 70 espèces animales et végétales exotiques envahissantes, et une trentaine d’autres sont à ses portes. Leurs effets se font sentir sur divers plans. Certaines pourraient être le clou dans le cercueil de populations de plantes ou d’animaux déjà menacées de disparition par la destruction de leurs milieux, comme la rainette faux-grillon de l’Ouest en Montérégie, qui voit ses habitats de plus en plus colonisés par les nerpruns, ou le râle jaune à L’Isle-aux-Grues, qui peine à nicher dans les marais envahis de roseaux.
D’autres espèces nuisent aux nombreux services rendus par des écosystèmes. Le ver de terre européen, par exemple, qui progresse vers le nord depuis la colonisation, diminue la capacité de la forêt boréale à fixer le carbone en digérant la matière organique au sol. Le myriophylle à épis rend les lacs beaucoup moins relaxants et attrayants. L’agriculture et la foresterie sont à la merci de nouveaux ravageurs, alors que les pêcheries et l’aquaculture sont menacées par des compétiteurs voraces. Nombre de ces indésirables peuvent transmettre des maladies à des plantes ou à des animaux. Quelques envahisseurs ont déjà un effet direct sur la santé humaine, comme l’herbe à poux, la tique responsable de la maladie de Lyme ou la berce du Caucase, qui peut provoquer de graves brûlures de la peau.
L’an dernier, des chercheurs français ont évalué que les plantes exotiques et animaux envahissants avaient coûté près de 1 400 milliards de dollars américains dans le monde de 1970 à 2017. La facture moyenne des invasions, estiment-ils, a triplé chaque décennie, jusqu’à atteindre 162,7 milliards de dollars pour la seule année 2017. Les chiffres ne sont pas connus pour le Québec, mais ils pourraient avoisiner les 30 milliards de dollars annuellement pour le Canada, selon plusieurs études. Pêches et Océans Canada évalue que la colonisation du lac Memphrémagog par la moule zébrée coûtera à elle seule de 513 à 681 millions de dollars de 2024 à 2043.
Dans les Grands Lacs, où elles ont commencé à apparaître à la fin des années 1980, les moules zébrées ont complètement transformé l’écosystème. Elles occasionnent désormais des travaux de gestion des infrastructures riveraines de plus de 500 millions de dollars par an en moyenne. L’énorme impact de ce petit mollusque originaire des lacs de Russie et d’Ukraine, arrivé au Canada dans les eaux de ballast de bateaux, a engendré une prise de conscience mondiale des bouleversements que peuvent entraîner des espèces exotiques qui parviennent à s’installer dans un nouvel environnement et à y proliférer en gagnant le rapport de force contre les espèces indigènes.
« Charles Darwin évoquait déjà ce phénomène de la dispersion des espèces, mais on commence à peine à réaliser à quel point il est devenu grave sous l’influence humaine : jamais la planète n’a connu un déplacement aussi massif et rapide des espèces vivantes que celui qui se produit depuis un siècle et qui s’accélère constamment », explique le biologiste Anthony Ricciardi, professeur à l’Université McGill et spécialiste de cette nouvelle science des invasions.
« Les politiciens doivent se rendre compte que les espèces envahissantes sont comme des taxes cachées qui se multiplient et vont devenir insoutenables si l’on n’agit pas vigoureusement »
Anthony Ricciardi, professeur à l’Université McGill et spécialiste de cette nouvelle science des invasions.
Les scientifiques peinent encore à décoder ce grand mouvement du vivant et ses conséquences. « On comprend notamment très mal pourquoi une espèce peut avoir un impact majeur à un endroit et un moment donnés, et pas à d’autres. Il est donc très difficile de prévoir quelles invasions nous devrons combattre », raconte le chercheur, qui a grandi à Lachine, au bord du fleuve.
« Les politiciens doivent se rendre compte que les espèces envahissantes sont comme des taxes cachées qui se multiplient et vont devenir insoutenables si l’on n’agit pas vigoureusement », insiste Anthony Ricciardi, qui croit cependant que le Canada est parmi les pays les plus actifs contre cette menace. L’Agence canadienne d’inspection des aliments, notamment, empêche beaucoup d’invasions avec divers règlements sur l’importation et l’inspection des marchandises et la vente d’espèces exotiques au potentiel envahissant, poursuit-il. « Mais il faut en faire plus, avec une approche plus intégrée entre les villes et les différents ministères fédéraux et provinciaux pour améliorer nos stratégies préventives. »
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La nature du Québec est née d’une grande invasion qui s’est produite à la fonte des glaces il y a 10 000 ans. La faune et la flore qui s’y sont naturalisées ont subi un premier choc lors de la colonisation européenne, à partir du XVIe siècle, les nouveaux arrivants ayant apporté des animaux d’élevage ainsi que des plantes pour se nourrir, se soigner et orner leurs jardins. De nombreux passagers clandestins ont profité du voyage, comme des rats, des moineaux et des vers de terre, qui sont tous arrivés en Amérique du Nord à cette époque. Selon le biologiste Claude Lavoie, professeur à l’Université Laval et grand spécialiste des plantes envahissantes, 82 % des végétaux exotiques qui se sont naturalisés au Québec proviennent d’Europe.
Le développement phénoménal du commerce international au cours des dernières décennies et l’explosion des échanges avec l’Asie ont accéléré radicalement la dispersion des espèces. L’agrile du frêne, le longicorne asiatique, la renouée du Japon et bien d’autres envahisseurs qui menacent le Canada viennent de régions où les conditions climatiques sont semblables aux nôtres, ce qui facilite leur implantation. Mais certaines de nos espèces indigènes se retrouvent également à l’autre bout du monde. L’omble de fontaine, l’écureuil gris et l’élodée du Canada, une plante, font partie des envahisseurs préoccupants à l’échelle de la planète. « La COVID est elle aussi une invasion biologique. Même si on sépare les mouvements des microbes de ceux des plantes ou des animaux pour les étudier, des phénomènes identiques sont à l’œuvre », explique Anthony Ricciardi.
Certaines invasions résultent d’expériences qui ont mal tourné. Les carpes asiatiques, par exemple, ont été introduites dans le sud des États-Unis dans les années 1970 pour lutter contre les algues dans des aquacultures, mais elles se sont répandues dans le Mississippi à la faveur d’inondations et sont arrivées 20 ans plus tard dans la région des Grands Lacs. La tanche, un autre gros poisson qui présente désormais un danger pour ce grand bassin hydrographique, s’est propagée quant à elle à partir d’un élevage du Québec. Elle côtoie le chevalier cuivré, une espèce menacée, et se nourrit des mêmes proies.
Aux États-Unis, les sangliers importés d’Europe pour la chasse et l’élevage ont colonisé de vastes zones du pays, notamment au Texas. Leur présence occasionne des dommages et des coûts de gestion évalués à plus de 1,5 milliard de dollars par an, et ils étendent leur territoire année après année. « Le sanglier est la menace la plus inquiétante à nos écosystèmes terrestres », estime la biologiste Isabelle Laurion, chargée du dossier au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec.
Le réchauffement climatique ouvre aussi la voie à de multiples nouvelles invasions. D’ici quelques décennies, prédit Claude Lavoie, le chèvrefeuille de Maack pourrait par exemple envahir les forêts du sud du Québec et entraîner de profonds bouleversements de ces écosystèmes. Ce grand arbuste perturbe le sol, mais il a également des répercussions sanitaires : il est en effet très apprécié des tiques à pattes noires, qui donnent la maladie de Lyme et qui, elles aussi, étendent leur territoire en raison du réchauffement.
Difficile cependant de prévoir la réussite ou non de l’invasion de telles espèces, puisque le climat va beaucoup modifier les écosystèmes. Les chênes rouges, par exemple, pourraient profiter largement de conditions climatiques qui leur sont plus favorables… mais il faudra d’abord qu’ils parviennent à résister à la flétrissure du chêne, une maladie aussi dévastatrice que la maladie hollandaise pour les ormes. Le champignon responsable, Bretziella fagacearum, originaire du Midwest, est rendu à 500 m de la frontière canadienne, sur une île entre Détroit et Windsor, précise Louis Bernier, spécialiste des champignons exotiques à l’Université Laval. « L’expansion des champignons est très difficile à contrer, car les spores sont transportées par le vent ou par des insectes. »
Dans son laboratoire, Anthony Ricciardi tente de reproduire les conditions de température qui existeront dans le fleuve Saint-Laurent d’ici quelques décennies. Il y acclimate les espèces présentes aujourd’hui et regarde comment évolue le rapport de force entre espèces exotiques et indigènes. « On voit que même des espèces subtropicales comme les palourdes asiatiques, qu’on ne trouve pas encore dans le fleuve, pourraient s’y adapter », raconte-t-il.
Les envahisseurs profitent aussi très largement de la place qu’on leur fait en perturbant les espaces naturels. Quand les colons européens ont débarqué, ils n’ont pas eu à supporter les effets de la petite herbe à poux, absente sous nos cieux à cette époque. Originaire des États-Unis, cette plante a colonisé l’est du Canada à la faveur du défrichage, qui lui laissait le champ libre, à elle comme à diverses autres mauvaises herbes. Elle provoque aujourd’hui des allergies saisonnières chez un million de Québécois. Sa cousine, la grande herbe à poux, n’a commencé à se répandre qu’avec le développement de la culture du soja, dans les années 1990, car elle se plaît beaucoup dans ces champs. Combattue à grand renfort d’herbicides tels que le glyphosate, elle leur résiste de mieux en mieux.
Les deux poursuivent leur conquête année après année en progressant le long des routes, comme de nombreuses autres plantes qui profitent de ces espaces dégagés et de la dissémination des graines et pollens par les véhicules et les déplacements de terre dus aux travaux. Sur les 50 plantes envahissantes que Claude Lavoie, de l’Université Laval, a décrites dans son livre consacré à ce sujet, 40 se répandent par les routes ! Dans le parc national du Bic, il a suffi de l’asphaltage d’un chemin, en 2000, pour que le gaillet mollugine, une plante aux multiples petites fleurs blanches, envahisse complètement ses prairies et y diminue la biodiversité.
« Chaque invasion biologique est une histoire particulière », raconte Claude Lavoie. Quand une plante est introduite, il faut d’abord qu’elle arrive à s’implanter dans la nature, après s’être échappée de son moyen de déplacement. La plupart entrent alors dans une phase de latence, pendant laquelle il ne se passe pas grand-chose. Au Québec, le roseau commun a commencé à prendre de l’expansion au bout de 50 ans, et le nerprun, après plus d’un siècle. Puis, souvent sans que l’on comprenne pourquoi, d’un coup, la plante prolifère rapidement pour gagner du terrain avant que son rythme d’expansion ralentisse ou s’arrête, pendant qu’elle consolide certaines de ses positions. Et au bout d’un moment, certaines se mettent à décliner, comme la salicaire commune, beaucoup moins abondante aujourd’hui que dans les années 1950. Pourquoi ? Ce n’est pas clair.
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Dans les dernières années, de multiples actions ont été entreprises pour combattre des espèces déjà présentes et empêcher la venue de nouveaux envahisseurs. La plus grande réussite à ce chapitre, selon Anthony Ricciardi, est l’entente survenue en 2008 entre le Canada et les États-Unis concernant la gestion des eaux de ballast des navires sur les Grands Lacs et le Saint-Laurent. « Notre équipe a calculé qu’entre l’inauguration de la Voie maritime, en 1959, et 2008, une nouvelle espèce exotique colonisait l’écosystème tous les six mois, contre une tous les trois ans depuis ce nouveau règlement. On a ainsi probablement évité des milliards de dollars de dépenses pour les décennies à venir ! » se réjouit le chercheur.
L’interdiction d’utiliser des poissons comme appâts vivants, depuis 2017, a aussi un impact important au Québec sur la dissémination d’espèces potentiellement invasives par des pêcheurs, croit Olivier Morissette, chef de la division des espèces aquatiques envahissantes au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Le spécialiste, à la tête d’une petite équipe, contribue à de nombreuses recherches avec des universitaires, des organismes environnementaux et des équipes de provinces et États du bassin des Grands Lacs. « On fait beaucoup de surveillance de terrain et d’analyse de risques, afin de prioriser les actions », raconte le biologiste, qui a notamment participé à des pêches de carpes de roseau dans la rivière Sandusky, en Ohio, où ce terrible envahisseur se reproduit depuis quelques années.
Tous les ans, l’équipe d’Olivier Morissette prélève plusieurs centaines d’échantillons d’eau dans le fleuve, pour y rechercher des traces de l’ADN d’espèces exotiques envahissantes. Cette technique est aujourd’hui largement utilisée pour repérer beaucoup plus précocement des menaces aux écosystèmes aquatiques.
Aux Îles-de-la-Madeleine, le Comité ZIP, un organisme sans but lucratif, effectue les prélèvements dans une centaine de collecteurs répartis dans tout l’archipel. Les échantillons sont ensuite analysés à l’Institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli. « Cela nous permet de détecter de nouvelles menaces, mais aussi de voir les effets de nos efforts », raconte la chargée de projet Aglaé Poirier. La bonne nouvelle, c’est que le crabe vert, un petit crustacé très prolifique qui détruit les bancs de mollusques et engloutit quantité d’animaux indigènes, n’y a pas été aperçu depuis 2008. La mauvaise, c’est que les tuniciers, des animaux aquatiques en forme de sacs, sont plus redoutables que jamais. « L’été dernier, on a dû procéder à des travaux majeurs pour sortir 38 pontons du port de Cap-aux-Meules afin de les nettoyer intégralement et de remplacer la styromousse par un plastique spécial qui empêche ces mollusques de s’y accrocher. »
En 2021, le Québec s’est doté d’un premier plan d’action contre les animaux exotiques envahissants. Mais il ne dispose pas encore d’un portrait clair de la situation pour les végétaux, car l’expertise manque. Le biologiste Nicolas Trottier, lui, croule sous la tâche depuis qu’il a mis sur pied, en 2017, son entreprise Quadra Environnement, spécialisée dans la lutte contre les plantes exotiques envahissantes terrestres. L’été dernier, cet ancien étudiant de Claude Lavoie a réalisé une cinquantaine de mandats pour des villes, la Sépaq, le ministère des Transports du Québec (MTQ) et d’autres clients aux prises avec des envahisseurs comme la berce du Caucase ou la renouée du Japon, et il ne fournit pas à la demande. « On aide aussi le MTQ à rédiger des devis comprenant des clauses sur les plantes envahissantes, afin que les responsables des chantiers gèrent adéquatement la machinerie et la terre pleine de semences, pour ne pas empirer les problèmes », précise le biologiste.
Comme d’autres spécialistes, Nicolas Trottier déplore cependant que la lutte ne soit pas mieux expliquée à la population et aux décideurs, ce qui engendre d’énormes dépenses inutiles. « Il y a trop d’efforts voués à l’échec, car on n’agit pas de la bonne manière, au bon endroit et au bon moment », croit-il.
Depuis que le myriophylle à épis a été affublé du surnom de « plante zombie » dans les médias, par exemple, des millions de dollars ont été dépensés pour essayer d’éliminer cet intrus qui gâche la vie au bord d’un lac — quand il envahit l’eau au point d’y rendre la baignade très désagréable et s’échoue en gros tas humides sur les rives. Or, le myriophylle est quasiment impossible à éradiquer. « On sait quelles techniques produisent les meilleurs résultats pour limiter les populations. Mais il faut comprendre qu’une fois qu’il est implanté, c’est un contrat à vie, qui peut coûter très cher », avertit Claude Lavoie, qui a donné d’innombrables formations et conférences sur le sujet.
Le spécialiste insiste sur la nécessité de bien se renseigner et d’établir un plan avant d’entreprendre quoi que ce soit. « Si l’envahisseur est déjà bien implanté, rien ne presse. » Parfois, ne rien faire est la meilleure solution. Si on décide d’intervenir, il faut alors se fixer des objectifs clairs, trouver la source du problème pour s’y attaquer (sinon il reviendra vite), et choisir la bonne technique et le bon moment pour agir.
Pour protéger leurs lacs, des associations de riverains demandent au gouvernement du Québec de subventionner beaucoup plus largement le combat contre le myriophylle. La Fondation de la faune du Québec, qui gère depuis 2018 un programme d’aide aux initiatives de lutte contre les plantes envahissantes pour le ministère de l’Environnement, ne finance quasiment plus aucun projet contre cet indésirable. « On privilégie désormais les travaux dans des écosystèmes fragiles, qui ont des chances de donner des résultats durables et pour lesquels un suivi d’au moins trois ans est prévu », explique Simon Lemieux, coordonnateur du programme. Sur 308 projets déposés depuis 2018 par des villes ou des organismes sans but lucratif, 131 ont été financés, pour un total de 3,5 millions de dollars.
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«Il faut bien choisir ses combats », insiste René Charest, responsable du dossier des espèces exotiques envahissantes pour la Sépaq. Par exemple, tenter d’éliminer le roseau commun (le fameux phragmite) du parc national des Îles-de-Boucherville — qu’il a complètement colonisé — serait non seulement vain, mais probablement nuisible, vu l’ampleur des travaux nécessaires. Par contre, au parc national de Plaisance, en Outaouais, où la progression du roseau est encore maîtrisable, la Sépaq s’est alliée avec les municipalités environnantes pour sensibiliser la population, former les inspecteurs municipaux et donner des conseils sur les tâches à accomplir pour freiner son apparition le long des routes. « Les gens continuent à croire qu’un coup de pépine va tout régler, mais c’est beaucoup plus compliqué que ça, car le roseau revient très facilement ! » prévient René Charest.
Nicolas Trottier, lui, dit avoir vu beaucoup trop de travaux pharaoniques arrêtés après un ou deux ans, faute de financement, avec à la clé un rapide retour à la case départ. « Contre un envahisseur comme la berce du Caucase, qui se dissémine notamment le long des cours d’eau, il faut un changement de paradigme chez les gestionnaires du territoire pour que les projets soient pensés à long terme — avec des budgets récurrents, comme pour la tonte du gazon sur les terrains municipaux — et une vraie concertation régionale pour pouvoir agir à la source. »
En Estrie, le biologiste est engagé auprès de quatre municipalités et deux MRC unies pour lutter contre la berce du Caucase, à partir du village de Racine, où commence l’invasion, jusqu’à 28 km en aval le long d’une série de ruisseaux. « On a repéré l’endroit d’où on doit éradiquer la berce en l’arrachant, et ailleurs on se contente de couper les ombelles pour limiter la dissémination des graines. On aurait besoin d’au moins 500 techniciens formés si on voulait la faire disparaître entièrement », précise Nicolas Trottier, qui pense que sa solution représente le meilleur rapport coût-bénéfice. Mais il a fallu convaincre tous les acteurs de partager équitablement la facture, même si le gros des travaux ne se fait pas sur leur territoire !
« Il reste énormément à faire pour sensibiliser les gens aux espèces exotiques envahissantes et contrer les comportements nuisibles. »
Olivier Morissette, chef de la division des espèces aquatiques envahissantes au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
Au lac Massawippi, Michèle Gérin déplore l’attitude trop individualiste de certains riverains, qui sont prêts à dépenser des fortunes pour lutter contre le myriophylle devant chez eux, mais rechignent à l’idée de devoir laver systématiquement toute embarcation allant sur le lac et en sortant, seul moyen de prévenir la propagation des moules zébrées. « Le lac appartient à tout le monde ! Convaincre les gens de toujours utiliser les stations de lavage mises à leur disposition, ou de faire leur propre nettoyage des remorques de bateaux ou même des simples planches à pagayer debout, est notre plus grand défi », explique la présidente de Bleu Massawippi.
Olivier Morissette invite quant à lui la population à faire partie de la solution plutôt que du problème. « Il reste énormément à faire pour sensibiliser les gens aux espèces exotiques envahissantes et contrer les comportements nuisibles. » Depuis 2017, le MFFP a financé l’installation de 70 stations de lavage aux abords des plans d’eau, et bien d’autres ont vu le jour, mais leur utilisation demeure volontaire et de nombreux amateurs d’activités nautiques les boudent encore.
Laver son embarcation, apprendre à reconnaître les intrus qu’on croise dans la nature et les signaler, c’est certes un effort, mais qui donne des résultats. Tirer la chasse d’eau sur son poisson rouge ou le retourner à l’état sauvage pour s’en débarrasser est plus facile que de lui chercher un nouveau propriétaire, de le tuer ou d’attendre qu’il meure. Mais quand ces poissons, qui résistent très bien à nos hivers, s’installent dans un étang ou une rivière, grossissant jusqu’à pouvoir atteindre plus de 50 cm de long, rendant l’eau opaque et puante en remettant en circulation des sédiments potentiellement contaminés, et menaçant des espèces indigènes, comme ils le font de plus en plus, ce sont tous les citoyens qui finissent par en payer le prix, rappelle Olivier Morissette.
10 moyens d’agir
- Ne jamais relâcher dans la nature des animaux domestiques, comme des oiseaux, des chats ou des poissons d’aquarium. Si on n’en veut plus, on les vend ou on contacte un refuge ou une animalerie.
- Signaler toute observation de sanglier ou de cervidé exotique (cerf rouge, cerf sika ou daim européen) à SOS Braconnage.
- Apprendre à reconnaître les indésirables, avec par exemple le carnet d’identification pour les espèces aquatiques publié par Québec.
- Signaler les observations de plantes ou d’animaux exotiques envahissants au réseau Sentinelle.
- S’impliquer dans des corvées d’arrachage ou de bâchage de plantes.
- Ne pas transporter de bois de chauffage d’une région à une autre, car il peut contenir des insectes ou des parasites.
- Mettre les débris de plantes envahissantes à la poubelle plutôt qu’au compost.
- Prendre garde au potentiel envahissant de semences achetées sur le Web ou à l’étranger.
- Ne pas déplacer d’un plan d’eau à un autre du matériel, une embarcation ou une remorque sans un bon nettoyage. Laisser sécher ne suffit pas, car bon nombre de plantes et d’animaux peuvent résister très longtemps hors de l’eau.
- De retour d’un voyage dans la nature hors du pays, bien nettoyer son matériel, comme ses semelles de chaussures.
Cet article a été publié dans le numéro de juin 2022 de L’actualité, sous le titre « Les invasions barbares ».
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