D’autres virus viendront. D’autres catastrophes frapperont le Québec. Pas de sitôt, espère-t-on. Mais en tirant des leçons de la dernière — et éprouvante — année, il est possible d’être mieux préparés pour faire face au prochain coup dur qui ébranlera la province. Voici l’un des chantiers à mettre en œuvre afin de ne plus jamais vivre des temps aussi difficiles.
Présidente de l’Ordre des psychologues depuis 2015, Christine Grou précise comment le réseau de la santé peut mieux faire quand vient le temps de prendre soin de la santé mentale de la population lors de crises majeures. En pratique privée depuis 1992, elle a également travaillé 20 ans au sein de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (hôpital Louis-H. Lafontaine).
La COVID-19 a-t-elle créé une épidémie de troubles mentaux ?
Les mesures sanitaires aggravent le niveau de détresse et d’anxiété. Elles augmentent les tensions familiales, les demandes en urgence, les taux de rechute, les interruptions de service.
Cette situation remonte à bien avant la pandémie de COVID-19. Les troubles mentaux étaient déjà la première cause d’invalidité et d’absentéisme. Ça représente de 30 % à 40 % des consultations chez les médecins de famille. Pourtant, la santé mentale reste le parent pauvre du système de santé. Le Québec y consacre 6 % de son budget — contre 13 % au Royaume-Uni.
Faudrait-il fournir plus de ressources ?
Il faudrait plutôt mieux les utiliser. Le Québec compte 8 800 psychologues, c’est autant que dans tout le reste du Canada ! C’est la plus forte proportion par habitant en Amérique. Il y a aussi 1 000 psychiatres et 1 800 titulaires d’un permis de pratique de psychothérapie — ce sont des ergothérapeutes, des sexologues, des criminologues, des conseillers en orientation.
Des progrès, il y en a eu. Mais les services n’ont pas suivi. Dans le réseau public, on a un sérieux problème de listes d’attente. On laisse les gens poireauter pendant 6 à 24 mois, et plus.
Le problème, c’est que le réseau public perd des psychologues, qui partent au privé, où les conditions sont meilleures. Il reste environ 2 400 psychologues dans le réseau public de la santé et 1 200 en éducation. Il faut corriger ça, parce que le réseau public hérite des cas plus complexes, qui demandent plus de ressources.
Qu’est-ce qu’il faut corriger ?
En pratique privée, on peut se présenter librement chez un psychologue, sans référence médicale, pour obtenir une évaluation et entreprendre rapidement un traitement de psychothérapie. Mais ce n’est pas gratuit, à moins d’avoir une assurance.
Au public, c’est gratuit, mais la porte d’entrée est le médecin, pas le psychologue. Or, depuis 2012, il est établi que les psychologues savent évaluer un trouble mental, autrement dit poser un diagnostic. Mais pour entrer dans le système public, ça ne compte pas : il faut passer par un médecin, ce qui engorge le système et diminue l’accès. Une mesure simple serait d’autoriser les psychologues à être une porte d’entrée.
En 2021, personne ne devrait penser qu’on peut être traité pour un problème de santé seulement si on a l’argent.
Autre aberration : l’État rembourse des soins au privé dans certaines situations, mais pas dans d’autres. Par exemple, si vous faites une dépression majeure avec séquelles après un accident de la route, la Société de l’assurance automobile va rembourser les consultations au privé. Mais si vous faites une dépression majeure parce que votre enfant a été happé par une voiture, elle ne les remboursera pas. Et c’est pareil avec l’Indemnisation des victimes d’actes criminels [IVAC] ou par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail [CNESST]. Ça crée des injustices.
Depuis 50 ans, les connaissances en santé mentale ont beaucoup avancé. Est-ce que le système s’est ajusté ?
On n’offre pas la diversité de traitement voulue, qui répond correctement aux besoins de la population et à l’état des connaissances. La science est très claire. Par exemple, le traitement le plus efficace contre la dépression est une combinaison d’antidépresseurs et de psychothérapie. Le médicament agit sur la chimie du cerveau, tandis que la psychothérapie change la manière de penser.
Mais si vous arrivez au CLSC avec une ordonnance de votre médecin pour une psychothérapie, il se peut qu’on ne vous offre que la thérapie de groupe. Ce n’est pas mauvais en soi, mais ça ne fonctionne pas si vous avez besoin d’une psychothérapie. C’est comme s’il vous fallait une opération et qu’on vous mettait une prothèse.
L’offre s’appauvrit depuis 20 ans, alors que dans les années 1970 on avait développé la psychiatrie sociale et toute une gamme de services. Actuellement, le seul traitement à la portée des médecins, c’est de prescrire des médicaments. Dans le réseau, l’offre est à géométrie variable. Certains CLSC n’ont ni psychologue ni traitement de psychothérapie.
Que pensez-vous des mesures mises en place par le gouvernement pour réduire les listes d’attente ?
Le gouvernement a décidé de faire un achat de services au privé. C’est une excellente initiative. Mais ça va prendre des mesures durables.
Et puis, il y a aussi la manière dont les gestionnaires d’établissement comprennent les directives. Car il est possible de réduire des listes d’attente sans améliorer la prestation de services. Il suffit qu’une personne d’un établissement appelle un patient sur la liste pour évaluer son besoin et son nom disparaît alors de la liste d’attente, même si le service peut venir deux ans plus tard.
Je suis inquiète parce qu’on parle beaucoup des autosoins actuellement. Ça prend la forme d’un guide qui permet à la personne d’évaluer son état et de gérer certains aspects de son traitement. Proposer ça à quelqu’un qui a besoin d’une psychothérapie est une mauvaise pratique. Qu’on fasse d’abord ce qui est prescrit. On pourra toujours offrir les autosoins à la fin.
Les autosoins sont très associés au Programme québécois pour les troubles mentaux (PQPTM). Les psychologues du réseau public sont fortement remontés contre le PQPTM. À tort ou à raison, selon vous ?
L’idée initiale était d’élargir l’accès à la psychothérapie pour les personnes n’y ayant pas accès par le réseau public de la santé ou leurs assurances privées. Toutefois, le PQPTM a évolué vers un programme par étapes qui prête à équivoque. Ça laisse croire qu’il faut passer par une série d’étapes (et de services) avant d’avoir accès à la psychothérapie, alors que celle-ci devrait faire partie des services offerts dès le départ aux gens qui en ont besoin.
Le traitement devrait tenir compte du problème et de la personne. Un trouble anxieux chez moi et chez une personne qui a un trouble du spectre de l’autisme, ça ne demandera ni le même traitement ni la même approche. En santé mentale, on ne traite jamais des « troubles », on traite des « personnes qui ont un trouble ».
Cet article a été publié dans le numéro d’avril 2021 de L’actualité.
Je suis psycholgue dans le réseau publique depuis plus de 20 ans. Il est possible d’avoir accès aux service d’un psycholgue avec ou SANS référence médicale. De plus, en général, l’attente varie entre 1 et 3 mois. Il semble y avoir des différences selon les milieux. Il faut s’informer des services offerts au clsc de sa région et ne pas généraliser
C’est bien d’être nuancé, mais il faut être en mesure de voir le portrait global aussi.
Je travaille aussi dans le réseau public (et non publique!) depuis plusieurs années et ce qui est rapporté dans l’article correspond tout à fait à la situation des grands centre du Québec (Québec & Montréal, à tout le moins, j’y ai travaillé!). Actuellement, c’est très difficile, voire impossible de consulter en psychothérapie, que ce soit au public (on n’offre plus que des services de groupes en première ligne avec le PQPTM!) ou au privé (les psychologues ont des listes d’attente de plusieurs mois, voire n’en n’ont plus parce qu’ils disent que c’est compliqué à gérer).
On écrit « 1 800 titulaires d’un permis de pratique de psychothérapie — ce sont des ergothérapeutes, des sexologues, des criminologues, des conseillers en orientation. ». Dans cette liste, on doit rajouter des travailleurs sociaux, thérapeutes conjugaux et familiaux, psychoéducateurs et infirmières, tous des professionnels qui peuvent également détenir un permis de psychothérapeute.
Même en bureau privé, les psychologues ne peuvent actuellement fournir à la demande. Ils ont des listes d’attente. Une des raisons est qu’il est impossible que chaque citoyen ait son psychologue et que beaucoup de gens qui les consultent, pour diverses problématiques, ne nécessitent pas obligatoirement une psychothérapie au sens comme la loi la décrit (Loi 21 en santé mentale). Les psychologues font aussi de l’intervention de soutien, de la relation d’aide, du counseling, et de la thérapie que d’autres professionnels peuvent tout autant offrir avec compétence. Or, la majorité des contrats des compagnies d’assurance, dans leurs contrats d’assurance collective, ne remboursent que les honoraires des psychologues et refusent de rembourser ceux des psychothérapeutes qui, pourtant, font le même travail, car la psychothérapie est un acte réservé et partagé avec 1 800 psychothérapeutes. Enfin, l’acte réservé de psychothérapie, comme je viens de le souligner précédemment, porte à confusion avec beaucoup d’autres formes d’intervention tout aussi valables. Au Québec, en légiférant la psychothérapie (une telle loi n’existe nulle part ailleurs sur la planète), on a voulu éliminer les « charlatans ». Du même coup, alors que plusieurs professionnels avaient des compétences dans leur champ de pratique depuis belle lurette, on est venus leur dire que dorénavant ils ne pouvaient plus exercer d’une telle façon, au risque de se faire accuser de pratique illégale. La frontière entre la psychothérapie et les autres formes d’aide est souvent très mince. C’est bien beau d’élaborer des distinctions sur papier; dans la pratique, c’est une toute autre réalité.
Enfin, bien sûr qu’il faut augmenter les ressources professionnelles dans le réseau public, dont plus de psychologues et psychothérapeutes. Mais il faudrait aussi revoir toute l’organisation du travail, car tous les autres intervenants compétents sont tellement happés par une immense bureaucratie, qu’ils leur reste bien peu de temps à la pratique clinique qu’ils désirent avant tout exercer avec humanisme et créativité.
Un autre élément difficile dans l’accès à la psychothérapie est que ce service n’est pas détaxé pour la plupart des psychothérapeutes, alors qu’il est détaxé pour d’autres comme les infirmiers, travailleurs sociaux et psychologues qui exercent ce même acte de psychothérapie. Des lettres avaient déjà été envoyées au gouvernement fédéral l’an dernier pour demander une exonération de taxes pour la psychothérapie, qui est maintenant réglementée dans 5 provinces (c’est le critère pour qu’un service de santé soit détaxé selon leurs lois), mais comme chaque province n’avait pas exactement la même définition de la psychothérapie, l’exonération de taxes a été refusée. Cela a pour effet de réduire l’accessibilité (le coût est augmenté de 15 à 20$ supplémentaire par séance en raison des taxes) à la psychothérapie donnée par certains professionnels.
En tout cas, des services de psychotherapie, dans le reseau de la Sante, il n’y en n’a pas!
Mon ex a demande d’avoir des services de psychotherapie et tout ce qu’ils avaient a lui offrir ca ete un cours sur 8 rencontres, comme si un cours de 8 semaines allait regler la violence de sa famille et ses abus sexuels! Ils lui ont dit de se trouver une job et de se payer un psychologue au prive. C<est pour ca qu'on paiye des impots.
Petite precision : parmis les 1800 psychothérapeutes se retrouvent aussi des psychoeducateurs. Cela a été oublié, je crois, dans les propos de madame Grou. Détail que je considère important car il universalise l’expertise de la psychotherapie auprès l’ensemble des professions qui oeuvre dans le domaine des problèmes de santé mentale.
Cet article véhicule beaucoup d’informations injustement alarmante. Je suis doublement déçue de voir qui les véhiculent!
Dans le réseau public, il est tout à fait possible d’avoir accès rapidement à une aide de qualité adaptée à ses besoins, sans que cela ne passe par un médecin.
Il suffit de se présenter à l’accueil psychosocial de son CLSC. De plus, selon mon expérience, à Montréal dans plusieurs CLSC, le délai d’attente est moins longue qu’en privé!
Il est important de considérer que la psychologisation des problèmes de santé mentale est un biais stigmatisant aussi facile à prendre que celui de la medicalisation. Ni la psychologie ni la médication qui approchent les problèmes de santé mentale de façon essentiellement individuelle ne sont des panacées!
Une approche globale est essentielle ainsi qu’une ouverture sur aux différentes modalités d’aide. La longue relation diadique psychotherapeutique n’est certainement pas toujours indiquée et il est important plutôt d’encourager chacun à aller chercher de l’aide et à discuter de ses besoins avec un professionnel qui saura non pas nous imposer l’approche que lui préfère mais bien mettre en place les services qui seront le plus adaptés pour chaque personne, avec les particularités de sa situation propre.
Les autosoins et les interventions de groupe, psychotherapeutiques, réadaptative, éducative ou de soutien, ont toutes une valeur importante et une efficacité probante. La rigueur exige de le souligner et non d’en diaboliser certaine.
Pour certain, l’apprentissage de stratégies de gestion de l’anxiété, combiné avec une démarche de réorientation professionnelle sera la combinaison gagante; pour d’autres ce sera une intervention familiale combinée avec une intervention de soutien valorisant les forces personnelles; ou encore un groupe bref d’education psychologique permettant d’apprendre et partager sur les façons de mieux composer avec une problématique peut être tout ce dont certains ont besoin. Souvent une aide adressant à la fois les problèmes liés aux conditions de vie (précarité matérielle, violence domestique, réorientation professionnelle ) que le cheminement individuel (pouvant être très varié, allent d’objectif de réduction de la consommation d’alcool à l’analyse de blessures intrapsychiques) est la clé et ce n’est malheureusement ni dans le bureau d’un psychologue ou d’un médecin que tout se passera.
La variété des approches en relation d’aide est une richesse à apprendre à découvrir, surtout dans le contexte pandémique qui nous affecte tous.
La solidarité est de mise pour tous.