
Le rapide déclin des populations de papillons monarques ne serait pas principalement causé par la déforestation dans leurs zones d’hivernage au Mexique ni par les changements climatiques, mais plutôt par l’agriculture intensive. Le salage des routes joue peut-être aussi un rôle important dans cette disparition, selon deux nouvelles études qui ont été publiées récemment.
Tyler Flockhart (de l’Université de Guelph, en Ontario) et des chercheurs australiens spécialisés dans la modélisation des populations d’animaux migrateurs ont combiné toutes les données existantes sur cette espèce de papillon, qui parcourt chaque année une distance de migration d’environ 4 000 km entre le Canada et les montagnes de l’État du Michoacán, au Mexique.
Ils ont estimé le risque de mortalité à chacune des étapes du voyage pour les différentes populations d’adultes. Au printemps et au début de l’été, plusieurs générations de monarques se succèdent au cours de la migration vers le nord, alors qu’à l’automne, les papillons cessent de se reproduire, et un seul groupe accomplit le trajet de retour jusqu’aux zones d’hivernage.
Selon une simulation basée sur les données obtenues entre 1995 et 2013, les chercheurs prédisent que la population de monarques qu’on trouve dans l’est de l’Amérique du Nord pourrait diminuer de 14 % au cours du prochain siècle. Dans leur étude, publiée dans la revue Animal Ecology (en accès libre), ils estiment le risque de disparition totale de l’espèce à 5 %.
Les populations de monarques sont très dépendantes des asclépiades qu’ils trouvent à chacune des étapes de leur migration. Les papillons pondent leurs œufs uniquement sur ces plantes, et les chenilles se nourrissent de leurs feuilles jusqu’à la métamorphose. C’est dans l’asclépiade que le monarque absorbe le poison qui le rend toxique et le protège de nombre de prédateurs.
Or, entre 1995 et 2013, le nombre d’asclépiades a diminué de 21 % dans le sud et le centre des États-Unis.
Selon les chercheurs, c’est actuellement la plus grande menace qui pèse sur les monarques.
Les deux tiers des asclépiades poussent dans des zones d’agriculture intensive, où le déclin est le plus marqué.
Il est dû, principalement, à l’utilisation massive d’herbicides, qui s’est accrue avec l’augmentation des superficies occupées par des cultures modifiées génétiquement pour résister aux herbicides. Seul un changement des pratiques agricoles, surtout dans la région de la ceinture de maïs (Corn Belt), pourrait empêcher le déclin des monarques, selon les chercheurs.
En Europe — où les cultures OGM sont pourtant interdites —, un rapport de l’Agence européenne de l’environnement publié en 2013 estimait que la moitié des papillons vivant dans les prairies avait disparu entre 1991 et 2011.
C’est avant tout la perte de ces écosystèmes, remplacés par de l’agriculture intensive, qui nuit à ces insectes.
Sel
Une autre étude, publiée il y a quelques jours dans la revue PNAS, montre que le sel épandu sur les routes pourrait lui aussi jouer un rôle important dans le déclin de la plupart des espèces de papillons.
Des chercheurs de l’Université du Minnesota ont comparé un groupe de monarques issus d’œufs pondus sur des asclépiades poussant à moins de 5 m d’une route à d’autres qui avaient grandi sur des asclépiades qu’on trouvait dans une prairie située à plus de 100 m de la route. Ils ont réalisé leur expérience juste au nord de Saint-Paul et Minneapolis, où l’on entretient les routes avec des sels de déglaçage, en hiver.
Bilan : le taux de survie des monarques qui ont vu le jour en bordure de route était de 40,5 %, contre 58 % pour ceux qui étaient nés dans la prairie.
Les feuilles des asclépiades récoltées en bordure de la route contenaient de 1,5 à 30 fois plus de sodium que celles qu’on avait prélevées dans la prairie. Même si les monarques sont habitués à une diète relativement salée, cet excès de sel ne semble pas bon du tout pour eux.
Or, dans cette région, 10 % des asclépiades poussent en bordure des routes.
L’excès de sel a aussi un autre effet sur les monarques : les mâles développent une plus importante masse musculaire, alors que chez les femelles, ce sont les yeux qui grossissent, tandis que leur masse musculaire s’amenuise.
En nourrissant une autre espèce de papillon avec des feuilles de chou dans lesquelles ils pouvaient reproduire la teneur en sel des plantes de bord de route, les chercheurs ont pu constater que les différences observées ne sont pas causées uniquement par les résidus des pots d’échappement des voitures qui se déposent au bord des routes.
Selon eux, l’effet observé sur les papillons est bien dû à l’excès de sel, et non pas à la pollution par ces gaz d’échappement.
En résumé, l’agriculture intensive — qui a éliminé des prairies naturelles et fait décliner les populations d’asclépiades entre les champs, à cause du ruissellement des herbicides — force les monarques à se rabattre sur les asclépiades qui poussent en bordure de la route, où ils s’intoxiquent avec le sel.
Il faudra tout un changement des pratiques pour renverser la vapeur.
Suivre les monarques
D’une année sur l’autre, les populations de papillons varient beaucoup. Si l’année 2012 fut faste pour la plupart des espèces de papillons de l’est de l’Amérique du Nord, 2013 fut catastrophique.
Les monarques traversent en ce moment la région du Corn Belt, critique pour leur survie. On peut suivre la migration ici, par exemple, et rapporter ses observations aux administrateurs du site e-butterflies.
On peut aussi planter des asclépiades et d’autres plantes à fleurs que les papillons affectionnent. Pour cette année, l’Insectarium de Montréal a déjà vendu toutes ses trousses d’élevage de monarques, qui permettent de participer au projet de recherche MonarchWatch.
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Sur ce, je vous abandonne pour quelques semaines de vacances. Je serai de retour au début du mois d’août. Bon début d’été !
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À propos de Valérie Borde
Journaliste scientifique lauréate de nombreux prix, Valérie Borde a publié près de 900 articles dans des magazines depuis 1990, au Canada et en France. Enseignante en journalisme scientifique et conférencière, cette grande vulgarisatrice est à l’affût des découvertes récentes en science et blogue pour L’actualité depuis 2009. Valérie Borde est aussi membre de la Commission de l’éthique en science et en technologie du gouvernement du Québec, en plus d’être régulièrement invitée dans les médias électroniques pour commenter l’actualité scientifique. On peut la suivre sur Twitter : @Lactu_Borde.
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Sur mes 23 acres en Ontario, je viens d’en apercevoir aujourd’hui (18 août 2014); ils reviennent chaque année, mais l’année dernière et cette année, je remarque qu’il y en a moins. Je fais de mon mieux pour préserver les plantes dont ils ont besoin, laissant mon terrain évoluer à l’état sauvage, hormis 2 hectares que je tonds. J’ai l’intention aussi d’y protéger les abeilles et éventuellement de faire l’acquisition de ruches.