Comment se réapproprier sa sexualité après un cancer du sein ?

Les thérapies endocriniennes, cruciales pour prévenir une récidive de cancer, nuisent à la libido et à la fertilité des femmes. Pourquoi n’en parle-t-on pas ?

Mariia Malysheva / Getty Images / montage : L’actualité

L’auteure est journaliste de presse écrite et animatrice du balado Non Compliant: A Podcast About Neurodiversity and Human Rights.

Le jour de mon opération, au printemps 2020, on m’a fait traverser une aile chirurgicale presque vide dans des pantoufles en papier, un sac en plastique contenant mes vêtements de ville à la main. Sachant que j’allais perdre toute maîtrise de mon destin pour plusieurs heures, j’ai éprouvé un étrange sentiment de sérénité. Ce sentiment m’a accompagnée tout au long de la chimiothérapie, de la radiothérapie et d’une nouvelle intervention chirurgicale, même en pleine pandémie. Après tout, les t-shirts, tasses et autres articles qui encouragent les femmes comme moi à « rester calmes et à continuer » ne manquent pas. Nous sommes de belles et audacieuses guerrières du cancer du sein, n’est-ce pas ?

Pourtant, un jour, à la fin des principaux traitements, je me suis rendu compte en me réveillant le matin que les interventions qui m’avaient maintenue en vie m’avaient aussi coûté une poitrine mutilée, un crâne chauve et un esprit oublieux (merci, la chimio). Je devais également faire face aux effets d’une ménopause artificielle visant à décourager la récidive de mon cancer hormonal. Mon oncologue m’a donné une ordonnance de 10 ans pour des inhibiteurs d’œstrogènes et m’a recommandé des injections de calcium pour éviter la fragilisation de mes os… qui me semblaient soudain très vieux.

Peu de temps après, je me suis retrouvée dans une clinique de physiothérapie, le torse nu et me sentant un peu brisée, pour apprendre à masser ma poitrine afin d’empêcher le liquide lymphatique de s’accumuler dans mes bras. (« Vois cela comme un embouteillage », m’a dit ma physiothérapeute.) En regardant mon nouveau corps dans le miroir, j’ai ressenti un mélange de gratitude et de chagrin.

J’avais été sauvée, mais j’étais complètement perdue.

Un secret de Polichinelle

Il est fréquent que les femmes doivent affronter des problèmes de santé sexuelle après un cancer du sein. Pourtant, étonnamment, la plupart des ouvrages sur le cancer du sein n’accordent que peu d’attention à cette question. Par exemple, l’édition 2016 du Breast Book de la Dre Susan Love (un ouvrage de 690 pages que j’avais emprunté à la bibliothèque de mon centre de cancérologie) ne consacre que sept pages à ce sujet. S’il est facile pour les patientes de trouver des informations sur la manière de modifier leur corps pour qu’il soit « plaisant » avec des vêtements — grâce à des reconstructions, des implants, des prothèses et des soutiens-gorge magiques —, il y a relativement peu de documentation sur la façon de retrouver ou de redécouvrir leur propre plaisir.

Mon équipe de cancérologie, dont l’objectif est de sauver des vies, n’a pas pris le temps d’aborder la question de la santé sexuelle lors de mes rendez-vous. Je n’en ai pas parlé non plus, de peur de perdre de précieuses minutes de ma rencontre dans un système de santé surchargé. Mais j’ai appris depuis qu’il y a un besoin urgent de faire de la place pour ces discussions. La qualité de vie est un indicateur de santé et même de longévité — et pour la plupart des gens, une vie sexuelle saine en fait partie.

Chez les patientes atteintes d’un cancer du sein, le diagnostic et le traitement ont souvent un effet négatif sur la santé sexuelle. Une étude portant sur 2 022 femmes souffrant de différents types de cancer a révélé que 66 % d’entre elles avaient des problèmes de santé sexuelle. Les femmes atteintes d’un cancer du sein ou de l’appareil reproducteur sont particulièrement touchées, elles signalent des symptômes ou des problèmes liés à la sexualité, notamment une baisse de la libido, des douleurs lors des rapports sexuels, une sécheresse vaginale et une incapacité à atteindre l’orgasme. Les patientes comme moi, aux prises avec un cancer du sein hormonal, doivent généralement freiner la production d’œstrogènes par une perfusion ou par l’ablation des ovaires, suivies d’un traitement endocrinien ininterrompu pour continuer à empêcher la libération d’œstrogènes par l’organisme. Outre leur rôle crucial dans la prévention de la récidive du cancer (youpi !), ces thérapies endocriniennes affectent la libido et la fertilité des femmes (bouh !).

Pour une femme qui n’a pas encore eu d’enfants, la perte de fertilité peut être dévastatrice. Pour une femme qui fait des rencontres, il est difficile de trouver la façon d’aborder les détails de la sexualité ménopausique avec un nouveau partenaire potentiel. Pour chacune d’entre nous, la diminution de la quantité d’œstrogènes modifie notre rapport à la sexualité. Nous nous efforçons de trouver des solutions qui nous satisferont, nous et nos partenaires.

Dans les groupes d’entraide virtuels auxquels j’appartiens, certaines participantes n’ont pas connu des dénouements heureux. Des femmes ont dû divorcer ou ont été quittées, ou même abandonnées, du jour au lendemain par leur partenaire sexuel. D’autres essaient de négocier avec leur partenaire un rythme plus lent pour un acte qui est généralement associé à la spontanéité.

Il n’est donc pas surprenant que certaines patientes atteintes d’un cancer du sein déclarent avoir arrêté leur traitement endocrinien afin de résoudre leurs problèmes sexuels et de satisfaire leur partenaire. Une revue systématique datant de 2022 a révélé que 25 % des participantes avaient arrêté leur traitement endocrinien dans les cinq ans, soulignant que des événements indésirables étaient liés à l’arrêt du traitement, dont la récurrence du cancer. Le rapport ajoute que la non-observance du traitement est associée à un « faible soutien social personnel ou clinique ». Bien que les raisons de la non-observance soient nombreuses (y compris, dans certains cas, le stade avancé de la maladie), l’étude cite aussi une étude qualitative, menée en 2020, selon laquelle certaines femmes considèrent que les effets secondaires du traitement endocrinien sont « pires que la maladie ».

Les soignants ont également tendance à aborder le sujet de la santé sexuelle davantage avec les patients de sexe masculin qu’avec ceux de sexe féminin. Une étude réalisée en 2019 sur des patients atteints de cancer a révélé que les prestataires de soins demandaient deux fois plus souvent aux patients de sexe masculin quel était l’impact de leur diagnostic sur leur santé sexuelle. Parmi les personnes interrogées dans le cadre de cette étude (tous sexes confondus), 87 % ont déclaré que le traitement du cancer avait un effet sur leur santé sexuelle.

Lorsque les soignants n’abordent pas la question de la santé sexuelle, certaines femmes se tournent vers les relations communautaires, forgées sur les réseaux sociaux ou avec des amis d’amis d’amis. C’est ce que j’ai fait, en passant au crible toute une série de suggestions  — certains réglos, d’autres non — vues sur Google et sur les réseaux sociaux, y compris des suppléments, le yoga, des crèmes topiques et des produits spéciaux (tels que la crème Scream Cream, dont la marque est inoubliable).

C’est une amie qui m’a orientée vers des chaînes YouTube comme celle de l’ergothérapeute et sexologue Tess Devèze, Intimacy and Cancer, qui compte des centaines de milliers de vues. Tess Devèze, dont la pratique est axée sur le soutien aux personnes vivant avec un handicap, une maladie chronique ou un cancer, touche d’autres gens que ses clients locaux de Melbourne grâce à sa chaîne et à son livre, A Better Normal: Your Guide to Rediscovering Intimacy After Cancer (une meilleure normalité : votre guide pour redécouvrir l’intimité après un cancer). Elle dirige également un groupe de soutien en ligne qui compte plus de 6 000 membres. Elle-même atteinte d’un cancer de stade 3, Mme Devèze met l’accent sur l’autonomisation.

« Il existe des moyens de retrouver notre intimité — il y a de l’espoir, dit-elle. Parce que nous sommes plus que notre diagnostic. »

Le mouvement de reconquête de la sexualité postcancer

À la clinique de santé pelvienne, au bout de la table d’examen, ma conseillère m’a énuméré une liste de nouveaux ingrédients pour mon bien-être sexuel, dont beaucoup pouvaient être achetés sur place. Elle m’a expliqué comment faire travailler mes muscles pelviens tout en regardant la télévision. Alors que ma formation en massage lymphatique avait été un rappel douloureux de la façon dont le cancer avait modifié mon corps, cette séance d’entraînement interne avait un but plus familier : rester en forme.

Ma visite à cette clinique m’a aidée à me réapproprier ma sexualité, mais il manquait encore quelque chose. Bien sûr, je me sentais plus confiante après une séance d’exercices de résistance — et le message « à utiliser ou à perdre » m’a motivée, tout comme le fait de me rendre à la salle de sport et de me sentir énergisée après l’entraînement. Mais le mythe de la résilience a aussi ses limites. Cela m’a rappelé les « mommy fitness bootcamps » que j’ai explorés après mon accouchement. C’est amusant… jusqu’à ce que ce ne le soit plus. Les projets de ce type deviennent rapidement toxiques sans une dose de compassion. Après le diagnostic, notre vie émotionnelle intérieure est aussi touchée que notre corps. Le cancer nous change.

J’ai déniché un groupe Facebook pour les survivantes du cancer du sein qui se concentrait sur la santé sexuelle et qui était codirigé par Lindsay, elle-même atteinte de ce cancer.

« Le niveau de soutien que nos membres obtiennent de leurs oncologues varie vraiment, m’a dit Lindsay par Messenger. Certains avertissent les patientes des effets secondaires du traitement, comme les douleurs articulaires et les bouffées de chaleur, mais pas des effets secondaires sexuels. » Or, ces effets secondaires ont un impact sur la santé sexuelle. Si une personne souffre de bouffées de chaleur ou de douleurs articulaires dues au traitement, il est peu probable que le sexe ou l’autosatisfaction figurent en tête de liste de ses priorités.

« Les patientes s’adressent à ce groupe parce qu’elles n’ont pas reçu suffisamment de soutien. Des groupes comme le nôtre existent pour combler certaines lacunes, et nous nous aidons aussi mutuellement à nous frayer un chemin dans ces systèmes. »

Je n’ai jamais entendu le mot « handicap » prononcé par mon équipe de cancérologie, mais je l’entends souvent dans la bouche d’autres survivantes du cancer. Quels que soient le stade du cancer et l’état d’avancement des traitements, nos niveaux de handicap se révèlent souvent un autre secret de Polichinelle. J’ai été impressionnée de voir d’autres patientes reconnaître et nommer leurs handicaps, au lieu d’essayer furieusement de revenir à ce qu’elles étaient auparavant. Demander de l’aide peut souvent vous donner de la force.

La communication : la pièce manquante

L’ingrédient le plus important pour faire face aux changements sexuels ne peut être acheté en ligne ou auprès de votre spécialiste du plancher pelvien : c’est la communication. Selon les recherches menées par D.H. Baucome et ses collègues, la qualité de vie des patientes atteintes de cancer s’améliore à mesure que les partenaires font part de leurs « sentiments et leurs pensées sur le cancer ». L’équipe a déterminé que les facteurs suivants étaient essentiels à des relations sexuelles saines après un diagnostic de cancer : une communication franche sur les questions liées au cancer ; la capacité d’exprimer ses émotions et une bonne écoute de la part de son partenaire ; des compétences en matière de résolution de problèmes ; un niveau élevé d’empathie.

La communication entre les soignants et les patientes est également cruciale. Pour aider les malades, les prestataires de soins peuvent se renseigner de manière proactive et les orienter correctement. Ils peuvent également écouter ce que les patientes et les survivantes ont à dire sur ce qui a fonctionné pour elles. (Soyons réalistes : il n’y a pas beaucoup de sexologues en oncologie. Nous avons besoin de ces vidéos YouTube.) Ces conversations peuvent aider les patientes à rester en bonne santé, les encourager à se présenter à leurs examens de tomodensitométrie et à leurs rendez-vous, et même à continuer de prendre les médicaments anticancéreux qui ont provoqué des changements dans leur corps.

Il est également important de reconnaître l’ensemble des options qui s’offrent aux patientes lorsqu’elles commencent à renégocier leur sexualité, notamment modifier leurs habitudes sexuelles ou renoncer complètement aux rapports sexuels. Katie Mortimer, une patiente d’une vingtaine d’années à qui l’on a diagnostiqué une leucémie myéloïde aiguë en 2022, a récemment écrit sur sa décision de devenir célibataire. Elle fréquentait quelqu’un au moment du diagnostic, mais elle lui a rapidement annoncé que leur relation était terminée. Aujourd’hui, après un an de traitements épuisants, elle est toujours célibataire. « Au bout du compte, écrit Katie, c’est ma vie, et le célibat me semble préférable pour l’instant. »

L’essai de Mortimer se distingue par son authenticité. En effet, comment pouvons-nous espérer passer à travers un traitement contre le cancer si nous évitons de regarder la réalité en face ?

« Dans les cercles de cancérologie, dit Lindsay, je me sens parfois obligée d’être reconnaissante et de voir le bon côté des choses. Mais il m’arrive de ne pas avoir envie de voir le verre à moitié plein. Lorsque je laisse émerger mes sentiments véritables, je relève mieux les défis qui se présentent sur mon parcours de femme aux prises avec un cancer du sein. »

Après tout, le cancer ne change pas uniquement notre corps. Il existe une autre métamorphose, dont nous ne parlons presque jamais. L’expérience du cancer modifie notre rapport au temps, au vieillissement et même à l’arc de vie que nous imaginons pour nous-mêmes. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai couru après ma joie de vivre parce que j’avais besoin de me sentir à nouveau en vie — non pas comme une version plus jeune de moi-même, mais comme un moi différent, plus volontaire, survivant.

Je suis frappée par le fait que beaucoup d’entre nous sont en pleine transformation après ces trois longues années de pandémie. Cancer ou pas, nous sommes tous beaucoup plus âgés qu’en 2019. Tous les moments ordinaires que le virus nous a enlevés nous semblent nouveaux et précieux. Notre qualité de vie pourrait bien dépendre de la manière dont nous comprenons et apprécions ces instants avec les personnes que nous aimons.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur Healthy Debate, sous licence Creative Commons.

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Les lignes directrices portant sur l’hormonothérapie à la préménopause et ménopause sont dépassées. Elles sont figées dans le temps depuis 20 ans suite à la controversée étude WHI (2002). On continue de ne pas tenir compte des nouvelles données probantes. C’est un désastre!

Suite à un cancer du sein, on « castre » les femmes comme si c’était un événement banal. Est-ce qu’on castre les hommes avec la même banalité ? En plus des impacts sur la sexualité des femmes, les anti-oestrogènes induisent un vieillissement prématuré sur l’ensemble des organes du corps car les hormones sexuelles ont des effets bénéfiques sur tout le corps. Ainsi, les femmes se retrouvent pour la majorité souffrantes et dans un très piètre état.

J’ai eu un cancer du sein en 2020 dit « hormono-dépendant ». Je prenais une hormonothérapie classique depuis 20 ans. Évidemment, on a accusé rapidement mes hormones! Pourtant, la majorité des femmes dont j’ai entendu parler avoir eu un cancer du sein depuis les 23 dernières années, je me souviens d’une seule femme comme moi qui prenait préalablement une hormonothérapie de remplacement. Ça fait au moins 20 ans qu’on ne prescrit plus d’hormones aux femmes et le cancer du sein existe toujours, même qu’il serait en augmentation.

Mon corps a tellement besoin de mes hormones que j’ai refusé de les arrêter. J’ai également refusé le traitement des anti-estrogènes. Par contre, j’ai changé pour l’hormonothérapie bioidentique, beaucoup plus sécuritaire à plusieurs égards.

J’avais demandé à ma radio-oncologue à combien (%) était mon risque de récidive de cancer du sein sans anti-estrogènes et en prenant l’hormonothérapie classique. Je ne me souviens plus du chiffre exact, mais je sais que mon risque était plus élevé de mourir d’une fracture de la hanche, conséquence de l’ostéoporose, sans oublier tous les autres médicaments que je devrais prendre pour toutes les autres conséquences du vieillissement sans remplacement hormonal. Une piètre qualité de vie, quoi! Je prends donc mes hormones bioidentiques bien équilibrées depuis 3 ans et j’ai 66 ans. Je travaille encore, je dors bien et je vais bien. Pas question que je les arrête.

Je recommande la lecture du livre du médecin oncologue Avrum Bluming: https://www.renaud-bray.com/Livres_Produit.aspx?id=2586026&def=Estrogen+Matters+:+Why+Taking+Hormones+in+Menopause+Can+Improve+Womens+Well+-+Being+and+Lengthen+Their+Lives+-+Without+Raising+the+Risk+of+Breast+Cancer,BLUMING,+AVRUM,TAVRIS,+CAROL,9780316481205

Également cet article avec le Dr Bluming: https://www.balance-menopause.com/menopause-library/que-sait-on-des-preuves-scientifiques-pour-pouvoir-offrir-un-choix-aux-femmes-apres-un-cancer-du-sein-avec-avrum-bluming/

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Le nombre de cas de cances du sein au Canada augmente à cause du vieillissement de la population et de la croissance démographique, mais le taux d’incidence normalisé selon l’âge (qui correspond au risque pour une femme d’avoir un cancer du sein à un certain âge) est à peu près stable depuis 40 ans.
Au sujet des hormones bioidentiques, je vous suggère la lecture de cet autre article: https://lactualite.com/sante-et-science/tout-sur-les-hormones-bio-identiques/