COVID-19 : mieux comprendre les tests de dépistage

Les tests PCR sont-ils supérieurs aux tests antigéniques rapides ? Ces derniers sont-ils efficaces uniquement lorsque l’on est symptomatique ? Pour y voir plus clair, le médecin spécialiste en épidémiologie et en gériatrie Quoc Dinh Nguyen fait d’éclairantes comparaisons entre le dépistage et… une sortie de pêche !

A&J Fotos / Getty Images

L’auteur est gériatre, épidémiologiste et chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il est aussi l’un des cofondateurs et l’expert médical de l’entreprise Eugeria, qui s’est donné pour mission d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Les réponses tout de suite !
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La confusion règne depuis que la distribution de tests rapides antigéniques a commencé au Québec, car les consignes sur leur utilisation diffèrent selon les autorités, le contexte et les experts. Faut-il recourir aux tests rapides lorsque nous sommes symptomatiques ou asymptomatiques ? Est-il nécessaire de confirmer un test antigénique rapide positif par un test PCR ?

Répondre correctement à ces questions, simples en apparence, requiert de considérer plusieurs éléments d’épidémiologie clinique et de science de la décision, comme la prévalence, la sensibilité, la spécificité, les valeurs prédictives, l’étalon de référence et les ressources disponibles. Plutôt que de répondre à l’aide d’algorithmes décisionnels trop simplifiés, je vous propose une analogie avec une activité bien québécoise : la pêche. Ce détour aidera à mieux saisir le débat en cours entre experts, ainsi que les changements des consignes dans les dernières semaines et les variations selon les provinces et les pays. Attachez vos tuques !

Quatre éléments de base

Je simplifie l’analogie le plus possible, en ne retenant que quatre éléments : l’outil employé pour la pêche, le poisson que l’on veut attraper, le type de cours d’eau et l’embarcation. 

Se demander s’il vaut mieux utiliser un test PCR ou un test antigénique rapide, c’est un peu comme se demander s’il est préférable de pêcher avec une canne ou avec un filet. Ça dépend. Si vous partez en chaloupe sur une petite rivière avec une canne, vous risquez de revenir avec quelques saumons. En chalutier géant le long de la côte du Pacifique, un filet semble plus à propos. C’est que, pour les tests, tout dépend de leur performance (l’outil de pêche), de la prévalence (le type de cours d’eau), de l’étalon de référence (la prise recherchée), ainsi que du contexte et des ressources disponibles (l’embarcation).

La performance d’un test

Dans la vie de tous les jours, nous mesurons habituellement la performance sur une échelle simple, comme lorsque nous établissons à 60 % la proportion de bonnes réponses requise pour réussir un examen. Faire de même pour un test gaspillerait de l’information. En médecine, un test sert à classer les personnes selon qu’elles sont malades ou non. Il est possible d’évaluer sa performance dans chacun de ces deux groupes parmi toutes les personnes testées. Comme le test donne une réponse binaire (positif ou négatif), il y a quatre sous-groupes possibles :

  •  Parmi les malades, on trouvera les vrais positifs et les faux négatifs ;
  •  Parmi les non-malades, on trouvera les faux positifs et les vrais négatifs.

Le nombre de malades détectés (vrais positifs) divisé par le nombre réel de malades correspond à la sensibilité d’un test. Le nombre de non-malades détectés (vrais négatifs) divisé par le nombre réel de non-malades donne la spécificité d’un test. En utilisant des dénominateurs propres aux malades et aux non-malades, la sensibilité et la spécificité constituent deux facettes complémentaires de la performance d’un test.

Pour une compréhension plus intuitive, revenons à l’exemple de la pêche et imaginons un cours d’eau contenant des saumons (les malades) et des déchets de tailles variées (les non-malades). Présumons qu’un test positif est ce que vous rapportez dans votre embarcation et un test négatif, ce qui reste à l’eau.

Un large filet de pêche avec des mailles fines serait un test très sensible, car il ne raterait que peu de saumons (peu de faux négatifs, c’est-à-dire de saumons laissés à l’eau). La canne à pêche, elle, serait très spécifique, car elle ne risque pas de vous rapporter des déchets (peu de déchets — les faux positifs — mordraient à l’hameçon !). En contrepartie, un filet de pêche à mailles fines aurait une faible spécificité, car il recueillerait des bouteilles de plastique, alors que la canne à pêche aurait une faible sensibilité, car elle manquerait bien des saumons (des faux négatifs).

La sensibilité et la spécificité des tests utilisés en médecine varient beaucoup. Par exemple, les tests de grossesse sont à la fois extrêmement sensibles et spécifiques. D’autres, comme l’électrocardiogramme ou la radiographie du poumon, ont des sensibilités et spécificités intermédiaires. 

La prévalence et les valeurs prédictives

Personne ne sera surpris que la performance des tests fluctue d’une variété à l’autre. Néanmoins, beaucoup (même les étudiants en épidémiologie !) trouveront contre-intuitif le fait que l’utilité d’un seul et même test puisse varier en fonction de la population testée. Reprenons l’exemple de la pêche avec un filet, mais considérons deux plans d’eau différents : la mer Morte et la mer Méditerranée. Si votre filet revient avec des tests « positifs », auront-ils la même valeur dans les deux cas ? Comme il n’y a aucun poisson dans la mer Morte, le même filet risque de vous donner plus de faux positifs que dans la Méditerranée. À la différence de la sensibilité et de la spécificité qui caractérisent les sous-groupes selon le statut de la maladie, la valeur prédictive positive et la valeur prédictive négative, elles, caractérisent les sous-groupes selon leur résultat de test :

  • Parmi les personnes ayant eu un résultat positif, on trouvera les vrais positifs et les faux positifs ;
  • Parmi les personnes ayant eu un résultat négatif, on trouvera les vrais négatifs et les faux négatifs.

La valeur prédictive positive est le ratio des vrais positifs divisés par tous les positifs ; la valeur prédictive négative est le ratio des vrais négatifs divisés par tous les négatifs. En d’autres mots, les valeurs prédictives déterminent la proportion des tests positifs ou négatifs, spécifiquement, qui disent « vrai ». Or, comme le montre l’exemple, un test positif ou négatif n’aura pas la même valeur selon l’endroit où il est utilisé. En épidémiologie, le cours d’eau sert d’analogie avec la prévalence, c’est-à-dire la fréquence réelle de la maladie dans la population. La prévalence, combinée avec la sensibilité et la spécificité d’un test, permet de calculer les valeurs prédictives positives et négatives, la valeur des tests, pour une population et à un moment donnés.

La notion de prévalence est cruciale dans le débat actuel sur l’utilisation préférentielle des tests antigéniques rapides par les personnes symptomatiques ou asymptomatiques. Pour le moment, notons que la prévalence réelle de la COVID-19 est plus élevée chez les gens symptomatiques que chez les gens asymptomatiques, ce qui fait qu’un même test déclarera moins de faux positifs (mais plus de faux négatifs) si l’échantillon est formé de personnes symptomatiques plutôt qu’asymptomatiques. Avec la poussée récente des cas, les tests positifs disent donc plus souvent vrai que si on les avait utilisés l’été dernier, alors qu’il y avait très peu de cas.

L’étalon de référence

Peu importe la population et la circulation du virus, les tests PCR ont de meilleures sensibilité et spécificité que les tests antigéniques rapides pour la détection de la COVID-19. Pour cette raison, ils sont utilisés comme l’étalon de référence auquel la performance des tests antigéniques rapides est comparée. Dans la plupart des études évaluant les tests rapides, ce sont donc les tests PCR qui détiennent la « vérité ».

Toutefois, des études ont montré que les tests PCR, à cause de leur très grande sensibilité, demeurent positifs plusieurs jours après qu’une personne préalablement infectée a cessé d’être contagieuse. En d’autres mots, lorsque l’objectif est de déterminer la contagiosité après l’infection, les tests PCR donnent souvent des faux positifs. Dans l’analogie de la pêche, en plus de l’appareil de pêche et du cours d’eau, il faut aussi considérer la prise recherchée. On n’utilisera pas le même outil selon qu’on pêche du saumon ou du crabe. Pour la COVID-19, si c’est la contagiosité qui nous intéresse, l’étalon de référence ne devrait pas nécessairement être le test PCR, mais plutôt la contagiosité elle-même. Le seuil de charge virale que détectent les tests antigéniques rapides en donne une bonne idée.

Le contexte et les ressources disponibles

Il reste un dernier point à examiner avant de répondre aux deux questions initiales : le contexte global d’utilisation des tests, dont les ressources disponibles. Même si les tests PCR ont de meilleures caractéristiques pour diagnostiquer la COVID-19 que les tests rapides, ils sont nettement plus chers et requièrent plus de ressources humaines et matérielles. Au Québec, la quantité maximale est d’environ 50 000 tests PCR par jour. Comme l’offre ne suffit plus à répondre aux besoins, de nombreuses personnes positives n’obtiennent pas de test. Il n’y a simplement plus assez d’appareils de pêche PCR, car les poissons sont trop nombreux.

Lorsque le nombre de poissons est raisonnable, comme dans un petit lac, une armée de pêcheurs à la ligne PCR (dans les centres de dépistage) arrive à tous les pêcher, au prix de ressources considérables (pensez au nombre de chaloupes nécessaires !). Cependant, quand il y a énormément de cas, ou qu’on veut tester les gens asymptomatiques qui sont très nombreux, il est illusoire de recourir seulement à cette méthode. Pour ratisser l’océan Atlantique, des chalutiers et des filets valent mieux. Même si l’analogie est imparfaite, les tests rapides requièrent moins de ressources par test et peuvent être produits en quantité massive. La variation du contexte d’utilisation, entre la précision individuelle et la couverture populationnelle large, est à l’origine du débat qui a cours entre experts, selon qu’ils estiment qu’un test COVID-19 a avant tout une visée de diagnostic médical ou plutôt une visée de dépistage populationnel.

Faut-il réserver les tests antigéniques aux personnes symptomatiques ou asymptomatiques ?

La réponse à cette question a changé avec la montée effrénée des cas causée par Omicron. Lorsque la transmission communautaire était faible et que les tests PCR suffisaient à la tâche pour tester tous les gens symptomatiques, il n’y avait pas forcément lieu d’utiliser les tests rapides pour ceux-ci. 

Les personnes asymptomatiques sans contact à risque n’étaient pas admissibles aux tests PCR (cela ferait beaucoup trop de monde pour les capacités du système de santé). On aurait pu leur proposer des tests rapides, par exemple, avant de visiter une personne vulnérable. Dans le cas des gens symptomatiques, la comparaison s’établit entre un test PCR et un test rapide. Chez les personnes asymptomatiques, on compare plutôt un test rapide et une absence de test. Un test rapide, même s’il est moins performant, demeure préférable à n’en faire aucun. 

Maintenant qu’Omicron exerce une pression importante sur la capacité de test, le portrait est tout autre. Il n’y a plus assez de PCR pour les personnes symptomatiques. Les tests rapides sont désormais utilisés pour celles-ci comme béquille pour augmenter la capacité de test globale. Désormais, proposer des tests antigéniques rapides aux gens symptomatiques est mieux que de n’en proposer aucun. Et puisque la prévalence de la COVID-19 est plus élevée chez les gens symptomatiques que chez les gens asymptomatiques, c’est chez les personnes symptomatiques que l’utilisation des tests rapides est privilégiée. Cela ne veut pas dire que le recours aux tests rapides par les personnes asymptomatiques soit inapproprié ou inutile.

Faut-il faire valider par PCR un test antigénique rapide positif ?

Ici aussi, Omicron a changé la donne. Comme le test PCR est plus spécifique (moins de faux positifs) que le test rapide, il était logique de vouloir valider par PCR les tests rapides positifs. Les tests PCR étaient disponibles et la prévalence de la COVID-19 était faible dans la communauté, ce qui pouvait augmenter le nombre de faux positifs. Ce n’est manifestement plus le cas : on manque de tests PCR et le nombre de faux positifs s’est amenuisé avec la transmission importante. Les directives se sont adaptées et la validation par PCR n’est plus requise pour la population générale.

À retenir

Il est impossible de parler de la performance d’un test sans tenir compte du contexte d’utilisation et donc de la disponibilité des tests. Interpréter le résultat d’un test (appareil de pêche), qu’il soit positif ou négatif, demande de savoir ce qu’on recherche (la prise recherchée) et de connaître la prévalence (le cours d’eau). Alors que nous continuons à apprivoiser la vie pandémique, les directives pourront changer, mais la logique derrière restera la même.

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