Ce qu’il faut retenir
- Le virus de la COVID-19 se transmet de personne à personne, par l’air. En jumelant des mesures sanitaires comme le port du masque, les vaccins et la gestion de la qualité de l’air, on diminue le risque de transmission.
- La mesure de la concentration de gaz carbonique (CO2) n’est pas parfaite, puisqu’elle ne tient pas compte des courants d’air qui peuvent transporter les aérosols dans la pièce.
- La ventilation est un outil important pour limiter les risques. L’utilisation de filtres HEPA peut aussi être utile dans certains cas. Il arrive toutefois que des travaux importants soient nécessaires pour l’optimiser dans les immeubles mal conçus ou bâtis il y a longtemps.
Plus on avance dans l’automne, plus la population du Québec passe du temps à l’intérieur. Les restaurants ont rouvert à plein rendement, de nombreux travailleurs s’apprêtent à regagner leurs bureaux et des sports extérieurs vont repasser en salle. L’hiver qui s’en vient va nous pousser à fermer les fenêtres et à les calfeutrer. Voilà donc un bon moment pour se questionner à nouveau sur la qualité de l’air intérieur, qui peut faire augmenter les risques d’éclosion et pourrait même contribuer à faire traîner en longueur cette quatrième vague qu’on peine à mater.
Quels sont les risques ?
Les autorités ont mis plusieurs mois avant de reconnaître que le SRAS-CoV-2 pouvait se transmettre à distance sous forme d’aérosols flottant dans l’air et que ce mode de propagation du virus pouvait suffire à lui seul à causer d’importantes éclosions. Dans la plupart des pays, cette information n’a été officialisée qu’à l’automne 2020.
D’une part, il a fallu du temps pour mettre en évidence ce phénomène, qui est très difficile à analyser. Les études en laboratoire ne reflètent pas parfaitement ce qui peut arriver dans la réalité, et seule une poignée d’enquêtes sur des éclosions (analysées dans cette nouvelle revue de littérature en prépublication) ont réussi à démontrer que la transmission aérienne à longue distance avait joué un rôle important.
D’autre part, les études remettent en question ce qu’on pensait avoir compris de la manière dont les agents infectieux se transmettent par la voie des airs. « On a débouché sur un nouveau paradigme reposant sur la notion de particules inhalables », explique Maximilien Debia, directeur du Laboratoire d’hygiène du travail à l’Université de Montréal.
On sait maintenant qu’on ne peut pas considérer ce mode de transmission comme négligeable, même s’il faut certaines conditions pour qu’il joue un rôle clé. Comme les particules inhalables se dispersent dans l’air, plus la densité de personnes dans un lieu est élevée et plus elles y restent longtemps, plus les risques sont grands. Mais il faut aussi tenir compte de la quantité de particules rejetées par chaque personne, qui n’est pas uniforme et ne dépend pas juste de la nature ou de l’intensité des symptômes.
On sait aussi que des masques de qualité bloquent une bonne partie de ces aérosols, ce qui fait nettement diminuer les risques. Les vaccins changent également la donne, puisqu’ils diminuent de beaucoup le risque de contracter le virus, et de le transmettre, sans pour autant réduire ce risque à zéro.
La ventilation est, comme la vaccination ou le port du masque, une des tranches du fameux modèle du fromage suisse qui traduit en image l’idée qu’aucune mesure n’est parfaite pour lutter contre le virus, mais qu’en les jumelant, on diminue les risques qu’il se faufile par un « trou ». La ventilation est cependant une tranche elle-même pleine de trous, car elle n’a pas été pensée comme un moyen de lutte contre la propagation des microbes pathogènes.
Dans bien des circonstances, un air intérieur de mauvaise qualité peut continuer de favoriser des éclosions, comme dans les salles à manger des lieux de travail, où se côtoient sans masque des personnes vaccinées et des personnes qui ne le sont pas. Ou encore dans des salles de classe ou dans les services de garde, où les enfants sont nombreux et pas vaccinés, et où ils restent longtemps avec des masques qui ne sont pas toujours parfaitement ajustés.
Le registre des éclosions de l’INSPQ montre d’ailleurs que les milieux de travail et les milieux scolaires de niveaux primaire et préscolaire concentrent à eux seuls environ les deux tiers des éclosions à la mi-octobre.
Avec un peu de chance, la majorité des enfants de 5 à 11 ans seront bientôt vaccinés. Il y a donc fort à parier que la majorité des cas se retrouveront à ce moment-là dans les milieux préscolaires et dans les milieux de travail. Il va aussi falloir rouvrir un jour les salles de danse et les karaokés, et permettre les concerts où la foule est debout. Dans tous ces lieux, la ventilation constituera un élément clé pour réduire les risques au minimum.
Un lieu bien ventilé, qu’est-ce que c’est ?
Au Québec, le Code du bâtiment et le Règlement sur la santé et la sécurité du travail indiquent que la qualité de l’air intérieur doit respecter des normes qui sont les mêmes dans toute l’Amérique du Nord, et qui ont été édictées par l’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE). Les normes dépendent de la densité d’occupants prévue dans les espaces intérieurs et de l’usage qui en est fait. « Ces normes ont été pensées en fonction des concentrations des divers polluants que l’on peut retrouver dans l’air intérieur, de la consommation d’énergie et du confort des occupants, qui dépend aussi de facteurs comme l’humidité et la température », rappelle Ali Bahloul, chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).
Le principal indicateur utilisé pour évaluer la qualité de l’air intérieur est la mesure de la concentration en gaz carbonique, un gaz présent dans l’air et qu’on émet aussi en respirant. L’ASHRAE estime que, si la concentration de CO2 dans l’air à l’intérieur ne dépasse pas de plus de 500 à 700 ppm la concentration à l’extérieur — ce qui signifie que la mesure à l’intérieur ne dépassera pas 1 000 ppm —, alors l’air intérieur se renouvelle assez pour être de bonne qualité.
Quel rapport avec les aérosols, me demanderez-vous ? Voilà bien le problème : tout cela a été pensé à un moment où on se souciait très peu des risques de transmission de maladies par des bioaérosols, qu’on croyait négligeables. Les normes n’ont donc pas pour vocation d’assurer un air d’une qualité suffisante pour éviter la contamination d’une personne par des aérosols infectieux.
Même s’il y a moins de 1 000 ppm de CO2 dans une pièce, les courants d’air peuvent déplacer et concentrer les aérosols. Une contamination à distance demeure donc possible. Et à l’inverse, s’il y a plus de 1 000 ppm de CO2, ce n’est pas forcément dangereux si des filtres installés dans les conduites d’aération captent les particules.
Où et comment estimer les risques ?
Faute de mieux, la mesure du taux de CO2 est donc un indicateur qu’on peut utiliser pour vérifier la qualité de l’air. Aux États-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) — tout comme la Federation of European Heating, Ventilation and Air Conditioning Associations — ont indiqué qu’on devrait plutôt viser 800 ppm en temps de pandémie, mais le Canada n’a pas suggéré une valeur cible plus basse qu’à la normale. Dans son rapport publié en janvier 2021, le groupe d’experts sur la ventilation et la transmission de la COVID-19 dans les écoles et les milieux de soins constitué à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a indiqué qu’on devrait viser le seuil défini par l’ASHRAE.
Les écoles ne sont pas les seuls endroits où il faudrait vérifier la qualité de l’air. C’est aussi le cas de tous les vieux bâtiments qui n’ont pas été conçus en tenant compte de ces normes, et là où les systèmes de ventilation mécanique sont mal entretenus ou ne sont plus adaptés à l’usage des locaux — si, par exemple, des cloisons ont été rajoutées au fil du temps. Pour savoir où sont les principaux risques, il faut aussi tenir compte des autres mesures de contrôle du virus — les autres tranches du fromage suisse.
Au travail, la cafétéria est un endroit clé que l’on fréquente sans masque, avec des personnes qui ne sont pas toujours vaccinées. Si ce local est au sous-sol, ou alors s’il est sans fenêtre ou doté de fenêtres calfeutrées l’hiver, la première étape consiste à vérifier comment la ventilation y est assurée, en posant la question au gestionnaire de l’immeuble. Au besoin, il sera possible d’y installer un détecteur de CO2. Bon à savoir : même si n’importe qui peut acheter ce type d’appareil, il est fortement conseillé de faire appel à un professionnel de la ventilation pour savoir où le positionner et comment en interpréter les données.
Quoi faire si l’air est de mauvaise qualité ?
L’Agence de santé publique du Canada fournit une liste de recommandations pour tenter d’améliorer la qualité de l’air intérieur, selon la nature du dispositif qui permet de la contrôler. Ce sont, à peu de choses près, les mêmes conseils que donne l’ASHRAE. Là où il n’existe pas de système de ventilation intégré au bâtiment, il faut aérer les pièces plus longtemps et plus souvent.
Localement, on pourrait en plus diminuer la concentration en aérosols à l’aide d’un système de filtration à haute efficacité portatif aussi connu sous le nom de filtre HEPA. « C’est une mesure additionnelle que de nombreux organismes, dont l’Agence de la santé publique du Canada, reconnaissent désormais comme utile », explique Maximilien Debia.
Cet été, des chercheurs des CDC ont simulé la dissémination de particules inhalables dans une assez grande salle de réunion (de 52 m2) ventilée selon les normes. Des appareils capables d’émettre et de capter des aérosols étaient disposés de manière à imiter une situation où quatre personnes participeraient à une rencontre, avec une seule émettant des aérosols.
Ils ont conclu que, si tous les participants sont masqués, dans ces conditions, l’exposition aux aérosols diminue de 72 %. L’ajout de deux filtres HEPA dans la pièce a permis d’atteindre une baisse totale de 90 %. Il y a donc un gain net, même dans ces conditions. Comme l’indiquent les chercheurs, le bénéfice réel de ces appareils doit être bien évalué selon la configuration de chaque pièce, les types de personnes qui la fréquentent (sont-elles vaccinées ou non, par exemple ?) et les activités qui s’y tiennent (les occupants sont-ils assis ou marchent-ils ?). L’efficacité de l’appareil dépend aussi de l’endroit où il est placé, et peut être influencée par les courants d’air.
Autrement dit, même si un filtre HEPA peut diminuer les risques, on ne sait pas encore à quel point il peut changer la situation dans différents scénarios d’utilisation. Mais les connaissances progressent. Des chercheurs viennent d’ailleurs de publier (en prépublication) la première démonstration, en conditions réelles, qu’un filtre HEPA doublé d’un dispositif UV installé dans une unité de soins intensifs capte efficacement les bioaérosols.
Des travaux à plus long terme
Si la mauvaise qualité de l’air est due aux caractéristiques de la bâtisse, les travaux nécessaires pour corriger le problème de manière durable risquent de coûter très cher.
On a cru pendant des siècles que des « miasmes » présents dans l’air étaient à l’origine des maladies infectieuses. Cette théorie, qui a notamment donné son nom à la malaria (littéralement « mauvais air »), a été écartée au XIXe siècle quand on a compris que les infections résultent plutôt de la contagion entre personnes. À cette époque, alors que le choléra faisait d’innombrables victimes, on a réalisé que l’eau pouvait aussi être un vecteur important de maladies. Le choléra s’attrape en consommant de l’eau souillée par les selles des malades. Ce qui a donné lieu à un contrôle beaucoup plus strict de la qualité de l’eau.
De plus en plus de chercheurs sont maintenant persuadés que ce que nous a appris la pandémie devrait amener à repenser la qualité de l’air intérieur sous l’angle de la lutte aux maladies infectieuses, pour diminuer le fardeau de la COVID, mais aussi de la grippe, des rhumes et des autres virus pandémiques qui pourraient pointer leur nez à un moment ou à un autre. En mai, un collectif d’une trentaine de chercheurs a appelé, dans un article publié dans la revue Science, à un changement de paradigme dans la manière de considérer la qualité de l’air intérieur. Pour eux, il est temps de mettre sur pied des techniques et des normes qui nous assureront que l’air respiré dans les bâtiments contiendra le moins de pathogènes possible, comme on l’a fait pour l’eau et la nourriture au siècle passé.
La tâche est colossale, et va d’abord demander de combler les innombrables « trous » dans la connaissance des mécanismes et des circonstances qui font que certains virus peuvent se transmettre par la voie des airs. Une tâche énorme, selon le plan de match publié, aussi dans Science, par un autre groupe de chercheurs, en août.
Mais c’est aussi un bon moment pour s’y atteler, puisqu’on sait que la consommation d’énergie par les bâtiments est aussi un élément crucial de la lutte aux changements climatiques et qu’il faut agir rapidement pour la réduire.
Chère Madame Borde, bravo pour cet autre article fouillé et instructif.
Remarquez que quand on réfléchit deux secondes, le vecteur normal d’une maladie pulmonaire est l’air et celui d’une maladie intestinale l’eau ou la nourriture. Je me réfère comme vous au choléra où on a longtemps parlé de «miasme atmosphérique» avant de découvrir que c’était principalement l’eau et les aliments. Aussi la tuberculose se transmet essentiellement par les aérosols, mais cela n’a été découvert que vers 1960 (https://bit.ly/2PSukjP).
J’attribue le changement de consigne du gouvernement à une pénurie appréhendée de masques N95 (à haut pouvoir filtrant) et peut-être même de masques chirurgicaux pour le personnel soignant en début d’épidémie. Dans ce contexte, il me semble qu’il aurait été préférable 1) de réquisitionner les stocks 2) de dire la vérité au grand public en faisant appel au civisme des citoyens 3) privilégier le port de masques artisanaux afin de réserver les masques N95 au personnel médical.
L’OMS et le CDC américain reconnaissent maintenant l’importance du vecteur aérosol pour le SARS-CoV-2 (https://nyti.ms/3bcjfSv). Ces changements constituent sans doute une des avancées les plus importantes en matière de santé publique de cette pandémie. Bref les antimasques ont tout faux.
Une enquête fouillée de Wired sur la contagion par aérosols du SARS-CoV-2, une vieille erreur factuelle autour du 5 microns et l’importance de porter un masque. https://bit.ly/33HgWmf
Si l’importance de la transmission par aérosol avait été acceptée plus tôt, nous aurions essayé de nous assurer que les espaces intérieurs étaient bien ventilés. Par exemple, nos tristes CHSLD où des personnes vulnérables étaient confinées dans des espaces intérieurs mal ventilés. Pourtant, on le sait quand ça pue, c’est que l’air ne circule pas… Nous aurions également commencé à utiliser les masques plus rapidement et nous aurions été moins obsédés par le nettoyage des surfaces.
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE