Tous les matins avant d’arriver au travail, les employés du studio de développement FreshWorks Studio de Victoria, en Colombie-Britannique, doivent se soumettre à un questionnaire sur leur téléphone intelligent. Présence de symptômes, voyages récents, contacts avec des personnes malades… Ces quelques questions permettent d’évaluer leur risque d’être atteints de la COVID-19. Si c’est le cas, ces salariés sont invités à travailler de la maison. Sinon, ils sont libres d’aller au bureau.
L’application mobile utilisée pour répondre à ces demandes est Thrive Health Workplace, créée par Thrive Health. L’entreprise, qui est à l’origine de l’application Canada COVID-19 de Santé Canada, offre des ressources en ligne et un outil d’autoévaluation (à ne pas confondre avec Alerte COVID, qui retrouve la trace des contacts des utilisateurs). Comme d’autres applications canadiennes (GoEvo, par exemple), ce nouveau genre de service est expressément conçu pour faciliter le retour sur les lieux de travail en temps de pandémie.
« On a créé Thrive Health Workplace après avoir remarqué à la fin du confinement que l’application Canada COVID-19 était plus utilisée la semaine que la fin de semaine. On s’est aperçus que c’est parce que des employeurs s’en servaient pour évaluer si leurs employés étaient à risque », explique David Helliwell, PDG et cofondateur de la jeune pousse britanno-colombienne, en entrevue avec L’actualité, en marge de la conférence en ligne AWS Cloud Bytes.

L’entreprise a donc conçu une nouvelle version de l’appli, optimisée pour le travail, avec par exemple un outil permettant aux patrons et aux gestionnaires d’avoir une vue d’ensemble de la santé de leurs employés. Le logiciel est seulement accessible en version bêta pour l’instant, et une dizaine d’organisations (de 50 à 8 000 employés, toutes à l’extérieur du Québec) en font actuellement l’essai au pays. L’utilisation de ce dispositif donne au PDG de FreshWorks Studio Samarth Mod le sentiment de pouvoir « offrir un environnement de travail sécuritaire [à son] équipe ».
L’application, dont le lancement officiel est prévu plus tard en septembre, ne fait que suivre les recommandations officielles de la santé publique, qui sont pour l’instant simples à suivre. Quelqu’un qui est de retour de voyage doit par exemple demeurer deux semaines à la maison, et quelqu’un qui tousse doit s’isoler. Pour David Helliwell, le statu quo risque toutefois de voler en éclats au cours des prochains mois.
« J’ai des allergies saisonnières. Ce n’est pas parce que j’éternue que je suis malade et que je dois rester à la maison », illustre-t-il. Certains parents de tout-petits en garderie sont d’ailleurs déjà aux prises avec ce problème, alors que leurs enfants sont forcés de rester plusieurs jours à la maison (avec un parent) au premier signe de maladie.
Des consignes plus complexes pourraient être mises en place pour mieux déterminer les risques d’avoir contracté la COVID-19 (avoir visité certains pays plutôt que d’autres, par exemple). Une application comme Thrive Health Workplace pourrait alors faciliter le respect de ces consignes par les employés. Thrive Health, en collaboration avec la firme d’intelligence artificielle montréalaise Element AI, compte aussi lancer une initiative qui pourrait améliorer l’évaluation du risque grâce aux données amassées au cours des derniers mois.
L’employeur est en droit d’exiger l’utilisation d’une telle application
Au Québec, aucune loi n’encadre directement l’utilisation d’une application mobile du genre, mais la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) impose aux employeurs l’obligation de protéger la santé de leurs travailleurs et d’assurer le maintien de leur sécurité et de leur intégrité physique.
« Dans le contexte de la COVID-19, l’employeur doit adopter les mesures de prévention nécessaires pour protéger les travailleuses et les travailleurs contre les risques de contamination. Le choix des moyens visant à respecter cette obligation lui appartient », mentionne Maxime Boucher, porte-parole de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). « Le Guide de normes sanitaires en milieu de travail — COVID-19 prévoit notamment que l’employeur établisse quels sont les travailleurs présentant des symptômes de la COVID-19 avant l’entrée sur les lieux de travail, soit, par exemple, à l’aide d’un questionnaire ou par une autoévaluation des travailleurs », ajoute-t-il.
Si elle respecte les lois en matière de protection des renseignements personnels, une application mobile peut être un des moyens utilisés par les employeurs afin d’assurer un environnement de travail sécuritaire à leurs salariés.
Fait à noter, les employeurs ont accès au coefficient de risque que représentent les membres de leur personnel à l’aide de ces logiciels, mais pas aux informations fournies dans les questionnaires. Les entreprises qui ont conçu ces produits estiment donc que leurs logiciels constituent une option qui respecte davantage la vie privée que les questionnaires papier remplis par le personnel avant d’entrer au boulot.
Quelle en sera l’acceptabilité sociale ?
La méfiance envers la technologie ayant atteint de nouveaux sommets en 2020, il faudra veiller à bien expliquer de telles applications avant de les utiliser à grande échelle. Comme on l’a vu lors du débat en ce qui concerne les applis de traçage, l’acceptabilité sociale de tels logiciels est loin d’être acquise. Il ne s’agit pas de la même technologie, mais la nuance entre les deux types d’applications pourrait facilement échapper aux utilisateurs éventuels.
David Helliwell craint d’ailleurs que l’adoption de Thrive Health Workplace soit ralentie au Québec parce que les gens risquent de confondre les deux types d’applications. Il en veut pour preuve que l’application Canada COVID-19 n’a été téléchargée que 100 000 fois au Québec, contre 400 000 en Ontario, même si les deux populations se ressemblent.
Les employeurs ne sont évidemment pas obligés d’utiliser cette technologie. Mais, rappelons-le, ils sont tenus d’offrir un environnement de travail sécuritaire à leurs employés. Mesurer le niveau de risque de chacun avec précision plutôt que de renvoyer tout le monde à la maison au moindre doute pourrait être un élément important pour faciliter un retour à la vie normale, surtout s’il arrivait une deuxième vague de COVID-19 à l’automne.
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