Dessine-moi une salle d’urgence verte

S’en tenir à ses principes ouvre parfois des portes insoupçonnées. La nouvelle urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal en est une preuve.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

L’auteur est urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur titulaire à l’Université de Montréal, il enseigne, participe à des recherches en médecine d’urgence et intervient fréquemment sur les enjeux de santé.

«Non. » Après avoir formulé cette réponse sans équivoque, je me tais, me lève et quitte la réunion, suivi de Charles Beauchesne, chef infirmier, qui dissimule mal un petit sourire en coin. Les autres membres du comité directeur restent, médusés. Il fallait avoir du front pour le faire, mais je n’en manque pas. La rencontre n’a pas duré cinq minutes.

Nous sommes en juin 2017. Quelques jours avant cette rencontre de planification à mon centre hospitalier, nous visitons la nouvelle urgence de l’Hôpital général juif, accueillis par le principal penseur d’un projet d’équipe, l’urgentologue Bernard Unger. Il est alors sans doute l’expert clinique le plus qualifié en matière d’aménagement d’urgences au Québec.

Après avoir traversé le triage, nous pénétrons dans une grande zone calme et relaxante appelée « unité verte ». La zénitude ambiante n’a d’égal que les teintes apaisantes. Autour de nous, les médecins et le personnel vaquent à leurs occupations en parlant bas, poussent quelques blagues, dans la tranquillité. Et pourtant, l’urgence est pleine à craquer !

Autour reposent les patients, chacun dans un box fermé par des portes coulissantes vitrées. Bernard me confie que c’est en ouvrant cette unité qu’il a constaté à quel point il travaillait auparavant dans un environnement bruyant.

C’est que le vaste ballet humain des patients — à pied, en fauteuil roulant ou sur civière — ne se joue plus autour du poste, mais dans un corridor externe encerclant l’urgence. Simple détail, croyez-vous ? En fait, c’est presque révolutionnaire, surtout quand on connaît l’effet majeur du bruit et de l’agitation sur la qualité de vie au travail.

Éberlué, je lance à Charles : « Ça nous prend ça. » Il acquiesce, tout aussi convaincu que moi. Je remarque à ce moment le regard dubitatif de l’architecte qui nous accompagne, ce qui m’inquiète : est-ce possible d’y arriver chez nous ?

Après cette belle visite de trois heures, où le Corian qui recouvre des murets séparateurs nous a également plu, nous terminons la discussion derrière un bon café. Bernard, qui a d’ailleurs travaillé avec notre cabinet d’architectes, me mentionne avec un clin d’œil : « Tu sais, Alain, tu peux toujours dire non à des plans. Moi, j’ai dit non 150 fois. » J’enregistre.

Quelques jours plus tard, après des échanges animés avec Charles et une validation du projet auprès de l’équipe clinique, je dessine maladroitement, quelques minutes avant une nouvelle réunion, une urgence rectangulaire, bien différente de celle qu’on nous propose depuis des semaines. Si deux chefs, médecin et infirmier, ont une idée en tête, elle devient plutôt difficile à détricoter.

Mon « non » a ouvert la porte à un jeune architecte pour trouver une solution que plus personne n’attendait.

L’accueil est pourtant froid : « C’est impossible, à cause des piliers. » Nous nous laissons sans avoir avancé d’un iota. Pourquoi est-ce impossible ? Ce n’est pas clair. C’est au cours de la réunion d’après que je dirai « non » de manière un peu théâtrale. La rencontre suivante tournera elle aussi, platement, autour des suggestions antérieures et de quelques autres croquis proposant des aménagements apparemment irréalisables.

Les discussions zigzaguent d’une idée à l’autre. Ce que nous voulons n’est pas un compromis, c’est notre « urgence verte », un lieu de travail zen avec une circulation externe, pour le mieux-être de l’équipe et des patients. Soit, nous concédons le Corian, trop cher, mais ne lâchons pas le morceau, bien que nous soyons légèrement démotivés.

Quelques jours plus tard, nous nous rendons un peu à reculons à une énième réunion de planification. En entrant, je remarque des visages inconnus, notamment celui d’un architecte de 25 ans, Simon Tremblay, qui vient de recevoir son permis d’exercice ! Benoit Laforest, le concepteur principal, ouvre la rencontre, cette fois l’œil pétillant : « Nous allons vous présenter une nouvelle proposition. »

Simon déroule ses plans. « Nous pensons avoir trouvé la solution pour réaliser une circulation externe », dit-il. Grâce à une modification mineure, les architectes sont parvenus à placer l’ensemble des 16 civières requises dans 16 box entourant un vaste poste interne fermé, avec deux superbes salles de choc installées en prolongement du poste. Et bien sûr, un grand corridor de circulation externe ! Ils ont réussi !

Mon « non » a ouvert la porte à un jeune architecte pour trouver une solution que plus personne n’attendait. Bon, il a fallu encore beaucoup d’efforts, par une équipe de passionnés, architectes, médecins, gestionnaires et autres membres du personnel de l’hôpital, pour en arriver aux plans finaux, mais cela en a valu la peine. Sans compter l’énorme travail pour ensuite construire cette urgence, l’organiser, l’équiper et finalement lui donner vie !

C’est ainsi qu’après des retards accumulés en raison de la pandémie, la nouvelle urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal a été inaugurée le 11 mars 2023. Elle est magnifique, voire plus belle que ce que nous avions pu imaginer. Et vous savez quoi ? Il y a même un peu de Corian !

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J’adore . J’ai beaucoup circulé dans les salles d’urgence d’établissements que j’ai dirigées , et j’ai toujours été sidéré par le bruit ambiant . Et quand jlai du y séjourner , j’ai trouvé ça encore pire . Il faut faire de la place aux concepts qui permettent aux gens d’être biens , avec la touche de bons architectes

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Quand je suis entré dans l’unité verte du Jewish, ça été comme un choc, ou l’inverse d’un choc: le silence dans une urgence bondée. Au bout de 10 secondes, je savais que c’est ce que ça nous prenait. Merci pour le commentaire et bonne fin de semaine!