C’est une publication Facebook d’Aurélie Lanctôt qui m’a lancé sur la piste. Elle compte parler prochainement de la détresse des étudiants, parce qu’un sur cinq vit des signes de dépression et que près d’un sur 10 a des idées suicidaires. Il s’agit d’un sujet important, et comme Aurélie fait de bons papiers, ce thème sera sûrement traité de manière pertinente.
Son intention dérive notamment d’articles publiés quelques jours plus tôt, mentionnant les travaux des fédérations étudiantes pour endiguer les phénomènes de détresse. Les constats sont apparemment assez clairs sur les causes : « Plusieurs étudiants souffrent d’isolement. Ils subissent une grande pression de performance et ils ont une grande charge de travail. »
Tout le monde en détresse ?
Mais cet article recoupe plusieurs autres lectures récentes. La veille, j’ai par exemple parcouru un texte sur la détresse des vétérinaires, qui souffrent d’un taux de suicide trois fois plus élevé que celui de la population générale. L’euthanasie des animaux serait une cause importante : «La vocation, le stress et le syndrome du sauveur comptent pour beaucoup, mais je crois que l’euthanasie, la mise à mort, ce qu’on appelle le «caring-killing paradox», est un élément central», avance Mme Cardinal.
J’en ai lu un autre à propos de la détresse des jeunes avocats, tout juste une semaine avant : « Les jeunes sont dans une période de leur vie ou l’anxiété est très grande. C’est aussi une génération plus prête à aller consulter et c’est socialement plus accepté qu’avant. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas à la hauteur .

Quant à celle des infirmières et des paramédics, elle vient d’être soulignée avec justesse par Francine Pelletier dans Le Devoir : « Mais toute cette souffrance, ce chapelet de douleurs humaines, il faut bien la mettre quelque part, non ? Qu’est-ce qui fait que le drame est recevable à certains moments, mais pas à d’autres ? »
D’ailleurs, la détresse dans le réseau de la santé fait bien souvent la une, comme dans cet article consacré au personnel clinique oeuvrant sur la Côte-Nord : « Au-delà de la fatigue qu’ils ressentent à cause de la surcharge du travail, ils déplorent les demandes patronales sur les horaires et la mobilité. »
Dans le réseau de la santé, les médecins ne sont pas en reste, notamment dans la foulée des articles et textes parfois très critiques ayant suivi les hausses de rémunération, mais aussi de leurs relations tendues avec leur ministre médecin depuis quelque temps : « Cet événement malheureux ramène à l’avant-plan toute la question de la détresse chez les médecins. Ils sont de plus en plus nombreux à avoir eu recours à un soutien ponctuel du Programme d’aide aux médecins au Québec (PAMQ) »
Sans oublier un autre portant sur la détresse des routiers, surtout chez les victimes d’un état de stress post-traumatique suite à un accident : « Un organisme pourra mettre de l’avant un projet pilote pour aider les chauffeurs de poids lourds impliqués dans une tragédie routière. »
En fouillant un peu, j’ai même trouvé ces derniers jours un article traitant de la détresse des patrons en France : « Dans notre activité consacrée aux procédures collectives, nous nous retrouvons très souvent en face d’un chef d’entreprise en détresse psychologique importante. Ça frôle parfois la dépression, qui n’est pas sans conséquence sur la vie familiale. »
Ce qui m’a mené à un dernier papier, venant de la Guadeloupe, à propos de la détresse des enfants causée par la fermeture de la piscine municipale : « Dix mois après la fermeture de la piscine intercommunale, à deux mois de la clôture de cette année scolaire, 40 000 enfants scolarisés de la maternelle à l’université, sont toujours privés de l’activité natation. Tous les programmes obligatoires préconisés par l’Éducation nationale sont donc en stand-by. »
Bref, en moins d’une dizaine de jours, je suis tombé sur une foule de textes décrivant chacun la détresse d’un groupe particulier. Alors je me pose cette question : est-ce que tout le monde souffre de détresse ?
Qu’on me comprenne bien, je ne minimise rien : je suis persuadé qu’il y a bien de la détresse dans tous ces témoignages, certaines pratiquant des métiers à risque. Mais s’il y a de la détresse dans tous ces groupes, c’est qu’il y en a presque partout, non ? Et j’ai toujours pensé que les phénomènes largement répandus sont d’une tout autre nature que ceux qui sont ponctuels ou contextuels. Qu’en est-il de la détresse?
Si je ressasse mes souvenirs récents, je ne me trompe pas beaucoup en affirmant qu’on a retrouvé de la (vraie) détresse chez tous les groupes suivants et bien d’autres: les étudiants (comme mentionné), les enseignants (surcharge de travail, élève en difficulté), le personnel hospitalier (suicide d’une infirmière récemment), les médecins même (haut taux de suicide depuis longtemps), les résidents en médecine (suicide d’une résidente il y a quelques années), les employés précaires (impacts de l’austérité, les employés en général (stagnation des revenus réels), les chômeurs, les autochtones (multiples crises), les allochtones aussi (craintes de l’étranger), les journalistes (perte d’emploi et de la stabilité), les jeunes en général (perte de sens et précarité d’emploi), les femmes (#metoo, violence, etc.), les hommes (crise de la masculinité), chez les immigrés (chômage et racisme), chez les utilisateurs des réseaux sociaux (dépendance), chez les personnes âgées (solitude et pauvreté), chez les policiers (difficulté d’adaptation face aux nouveaux contextes), etc.
À lire tout cela, on peut aussi penser que c’est l’époque secrète la détresse. Qui sait, peut-être que les transformations qui affectent nos sociétés ont comme effet secondaire d’accroître le niveau général de détresse?
Ce n’est pas impossible, bien que j’en doute un peu, puisqu’elle semble aussi affecter des personnes qui, a priori, ne souffrent pas trop du contexte économique actuel, comme les vétérinaires ou les dentistes.
Définir la détresse
Je me suis ensuite demandé si on utilisait le bon mot. J’ai comme l’impression que l’expression est parfois galvaudée, comme c’est souvent le cas dans nos médias. Par exemple afin de pimenter une nouvelle (comme celle de la piscine).
Antidote me fournit donc cette définition pour « détresse » : « Désarroi, sentiment d’abandon et d’impuissance » et pour « désarroi » : « Trouble moral intense, angoisse. » Soit, je constate que c’est assez clair et que ça colle avec ce qu’on exprime généralement dans ces articles.
En contrepartie, cela soulève un certain nombre de questions : qu’est-ce qu’on mesure exactement quand on parle de signe de détresse ? Et à quoi compare-t-on le niveau de détresse ressenti ? Est-ce que la détresse constatée a augmenté dans le temps ? Est-ce qu’elle se compare à la détresse retrouvée ailleurs ?
Vivre la détresse
Comme on retrouve autant de détresse dans nos sociétés plutôt stables et relativement riches, il faut tenter de l’expliquer. De manière générale, je vois deux possibilités: soit que la détresse est plus largement répandue à notre époque et touche davantage même des sociétés comme la nôtre; soit qu’elle fait plus généralement partie de l’expérience humaine et qu’elle affecte toutes les sociétés. Et peut-être toutes les époques, d’ailleurs.
Si la perception de la détresse est stable dans le temps et l’espace, c’est peut-être qu’elle est relative au contexte? J’ai souvent pensé que pour l’être humain, qui s’adapte à bien des situations, la détresse est corrélée à celle de son environnement social. Comme si une sorte de baromètre nous mettait au diapason des autres et conduisait à percevoir notre détresse (ou notre bonheur) du point de vue de notre groupe (plutôt que dans « l’absolu »).
Pour illustrer cette relativité apparente de la détresse, je prends parfois comme exemple mon arrière-grand-père, Ulric Gaboury, médecin de son métier, ayant pratiqué la médecine jusqu’à 89 ans, soit deux ans avant sa mort. On l’a décrit comme un bon vivant sa vie durant et jusqu’à la toute fin. Pourtant, de ses dix enfants, il en avait perdu six en bas âge, soit entre 0 et 5 ans, de causes diverses.
Je dois admettre que je n’aurais sans doute jamais passé à travers de telles épreuves. Que mon niveau de détresse aurait été extrême. Que je n’aurais pu continuer à travailler, voire même à vivre. Mais à l’époque, perdre un enfant faisait partie de la réalité courante, et n’entrainait pas – j’imagine – de détresse prolongée.

Peut-être que ce que nous appelons « détresse » ne désigne pas non plus la même chose lorsqu’on est au Québec, en Chine ou au Burkina Fasso. On pourrait d’ailleurs renverser la perspective en se demandant comment des observateurs provenant de Chine ou du Burkina Fasso évalueraient les détresses décrites plus haut, notamment si on leur proposait de comparer avec eux. Est-ce que quelqu’un qui n’a peut-être pas accès à l’éducation peut comprendre que des étudiants se plaignent d’une surcharge de travail ? J’en doute un peu. La relativité jouerait donc dans le temps comme dans l’espace.
Comparer la détresse
Évidemment, comme les définitions et méthodes d’évaluation changent, il est plutôt difficile de mesurer l’évolution de la détresse à travers les âges ou les lieux, surtout quand on parle de troubles assez récemment catégorisés comme la dépression et l’anxiété. Mais il est tout de même possible de comparer certains paramètres.
On le sait, la grande détresse personnelle conduit parfois au suicide, un choix terrible de la personne désespérée, qui s’extrait ainsi de la réalité pour cesser de souffrir et laisse meurtris ses proches. Peut-on utiliser le suicide comme un marqueur de la détresse, du moins dans sa manifestation la plus grave, celle qui attire souvent les regards sur tel ou tel groupe en difficulté?
On pourrait donc s’attendre, puisqu’on parle beaucoup de détresse actuellement, que le taux de suicide augmente avec les années. Pourtant, quand on examine les données disponibles, on observe plutôt le contraire. Le taux de suicide diminue au Canada depuis le sommet des années 1970-1980, passé de près de 15 pour 100 000 de population par année à 10 pour 100 000. En 1950, il était de 8 pour 100 000.
Bref, durant 40 dernières années, le taux de suicide est en baisse constante. C’est un peu la même situation en France, tandis que dans d’autres pays européens, la baisse s’étale sur une encore plus longue période. Aux États-Unis, le taux est très stable pour la période (1).

De manière plus générale, si on regarde les taux de suicide dans l’ensemble des pays où les données sont disponibles (sachant que dans sur certains continents comme l’Afrique, ces données sont peu fiables), on observe une lente régression tout au long du XXe siècle. C’est d’ailleurs le cas pour tous les groupes d’âge.

Si les suicides sont bien un reflet de la détresse (en acceptant qu’il y a beaucoup de variables en cause), on peut raisonnablement penser que le niveau de grande détresse est stable ou même s’améliore.
Enfin, sur une bien plus longue période, si on observe le taux global d’homicides dans le monde, sûrement une autre expression de diverses formes de détresse sociale, on constate l’effondrement de ces taux dans les pays européens où les données sont disponibles à long terme. Bref, de ce point de vue également, ça va bien mieux qu’avant.

Pour ce qui est des données québécoises, et malgré les perceptions, le taux de suicide a baissé de 17.6 à 13.5/100000/an entre 1981 et 2015, après une remontée à la fin des années 1990.

La baisse actuelle touche d’ailleurs tous les groupes d’âge, notamment les plus jeunes, pour qui des programmes de prévention ont été appliqués avec succès ces dernières décennies, une autre bonne nouvelle. On parle tout de même d’une réduction des 2/3 des suicides chez les 10 à 25 ans, un gain énorme.

Agir sur la détresse
Peu importe les causes de la détresse, qu’elle soit ou non contextuelle ou qu’elle soit en croissance ou en régression, il demeure qu’il s’agit d’un phénomène réel, qui conduit parfois au pire.
On sait aussi qu’on peut agir sur elle, ce qui est une bonne nouvelle. Nos actions ont des effets favorables, celles des proches autant que celles des institutions (écoles, centres d’aides ou hôpitaux) ou des gouvernements (programmes de prévention du suicide).
Mettre l’accent, comme dans certains articles, sur un groupe particulier, me paraît moins utile que de disposer dans tous les milieux d’une approche adaptée à la situation. D’une part en ayant en place des conditions pour éviter la détresse; d’autre part en la décelant rapidement et en intervenant sur ses manifestations les plus extrêmes, comme le suicide.
*
(1) Ajout (9 juin 2018). On m’a fait remarquer que des données plus récentes que celles présentées dans le tableau des pays (1950-2005) montrent une remontée des suicides aux États-Unis, de l’ordre de 30% depuis 1999. Voici le rapport récent qui décrit le triste phénomène: https://www.cdc.gov/vitalsigns/suicide/index.html. Je suis retourné dans les données de l’OCDE pour avoir des données plus précises sur les 25 dernières années (1990-2015). https://data.oecd.org/fr/healthstat/taux-de-suicide.htm. Dans la plupart des pays parcourus, les taux sont effectivement à la baisse, sauf pour quelques pays, dont les États-Unis. Les tendances mondiales demeurent en baisse, comme le montre le graphique général plus haut.

AV.
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Voici un article exemplaire. Pas mal mieux que le bullying fait par certains journalistes qui cherchent les scandales et la sensation. Hypothèse, serait-il possible que la masse d’information disponible étant si grande il faille utiliser des justification comme la détresse et le suicide pour se faire entendre? Est-il possible que notre désir humain de communiquer et de ressortir de la masse nous fasse parler plus des problèmes qu’avant? Avant nos enfants mourraient et c’était normal, on ne pouvait rien y changer. Serait-il possible que devant les innovations et le progrès auquel l’humanité fait face on cherche à se perfectionner à un point tel qu’on voit beaucoup plus qu’avant tous les petits problèmes à régler. Là où je vois un problème avec la détresse c’est si on attend que les autres règlent les problèmes pour nous. Communiquer le problème et attendre c’est très infantile.
Comme c’est souvent le cas, nous faisons usage de mots sans prendre le temps de regarder ce qui se trouve à l’intérieur du mot. Les aides lexicales sont utiles, mais ne règlent probablement pas toutes les questions. Toutes les détresses sont-elles égales, identiques, de même essence ou de même nature ?
Faut-il attendre qu’une personne soit prête au suicide pour considérer le bienfondé d’une intervention ? Une fois de plus, comme c’est toujours le cas au Québec, on fait de la gestion de crise pour parer (à coût toujours plus élevé) au plus pressé. — La médecine de proximité, on sait pas c’que c’est.
On peut souffrir de diverses formes de stress, éprouver des symptômes différents, voire cycliques et être astreints à quelques choses de différent selon les individus. C’est cela qu’il faut trouver : la différence.
Ce qui manque justement selon-moi, c’est cette approche systématique et personnalisée. Ce qui manque c’est l’empathie. Il ne suffit pas de diagnostiquer que cette personne est dépressive, anxieuse ou malheureuse pour pouvoir régler quelque problème que ce soit. Tout ce qu’on fabrique, ce sont de nouvelles et constantes dépendances. Les problèmes encourus sont bien réels. Comment diminuer ou atténuer ces problèmes bien réels lorsque les ressources sont limitées ?
Ce que j’observe ici, c’est qu’on parle aussi de toutes choses, ici regroupées sous le substantif « détresse » et qu’on essaye de le marier à toutes sortes de choses en passant par le prisme de l’électronique des médias. Un prisme dans lequel tout le monde peut s’improviser comme une spécialiste de la question.
Mais fichtre, des personnes en détresses j’en ai croisées depuis mon plus jeune âge. Et damnation cela fait plus de soixante ans que je rencontre et que je croise des personnes en détresses, que j’ai connu diverses périodes de détresse, que parce que je vis et j’accepte ma condition humaine avec tout le côté misérable qu’elle comporte pour moi-même comme pour l’humanité toute entière, je suis plus à risque de tomber dans les affres de la détresse.
Alors la question est de savoir s’il faut secourir cette détresse pour tous avec les moyens dont nous disposons. S’il faut donner à chaque être humain un petit « kit » de survie. S’il faut seulement aider les gens à vivre (mécaniquement), surtout au détriment de ceux (ou celles) qui n’ont rien ou presque rien. S’il faut plutôt donner aux êtres humains le goût et la force de survivre quelque soient les circonstances de la vie.
Il semblerait que nous eussions au passage oublié que tout compte fait, nous sommes des êtres sensibles et que toutes les conditions de vies réclament pragmatiquement plus de solidarité.
Finalement, je suis surpris dans ce texte que le docteur Vadeboncoeur s’amuse entre autre choses à comparer les « homicides » à la simple expression d’une forme de détresse. Nous savons tous pertinemment que l’immense majorité des personnes en détresse ne prennent pas la vie d’autrui lorsque celles et ceux qui en prennent (des vies), souffrent de problématiques plus complexes.
— Je ne sais si je devrais vous poser la question : Auriez-vous, vous aussi besoin d’aide docteur ? Et comment pourrais-je me rendre utile à fin de pouvoir vous aider en toute humilité ?
Je ne dis évidemment pas qu’il faut être prêt au suicide pour recevoir de l’aide, mais je pense qu’il est difficile de comparer les époques et les réalités très différentes en terme de détresse. Je l’utilise simplement pour tenter d’avoir une comparaison. Et le suicide semble d’ailleurs en régression un peu partout dans le monde, une excellente nouvelle. Est-ce que la détresse est en croissance? J’en doute. Est-ce qu’elle affecte davantage tel ou tel groupe, on dirait que non, ou en tout cas qu’elle affecte des groupes très variés. Pour ce qui est de « s’amuser » à comparer à la détresse, je voulais simplement établir un parallèle avec une autre réalité qui représente sans doute aussi une forme de détresse sociale. Je n’ai pas dit que les personnes en détresse prenaient la vie d’autrui. Pour le reste, je vous remercie, mais je vais bien. Bonne journée.
Je me réjouis que vous alliez bien.
En Guadeloupe, la mer est réservée aux touristes?
Je dis ça comme ça…
Je dois avouer avoir eu le sentiment, en lisant votre article, d’être le témoin d’une ‘occasion manquée’; une occasion manquée dans la manière dont on peut traiter, dans un média populaire, de la détresse. Ce sentiment était d’autant plus fort que le début de votre article, en égrainant le chapelet des détresses qui tiraillent les différentes régions du corps social, promettait une réflexion plus sociale, voire même politique, de la détresse. Surtout que vous mentionnez qu’Aurélie Lanctôt fut l’un des catalyseurs de cette réflexion…
Or le détour par l’affirmation, à la fois, d’une certaine universalité de la détresse humaine, et à la fois de la relativité et de la multiplicité des formes de détresses, était, malheureusement, un premier (mauvais) pas. La tentative de quantifier ensuite la détresse de par l’extrême moyen qu’elle peut trouver pour se manifester (le suicide, l’homicide) en était un autre. Il faut certes se réjouir de ces chiffres et de la réalité qu’ils suggèrent. Mais cette quantification d’un progrès, autant réel et important ce dernier puisse-t-il être, est ici une distraction, puisque cela suggère quelque chose comme: ‘la manière de faire les choses socialement, politiquement et économiquement a fonctionné; regardez le progrès! Suffit d’ajuster ici et là et tout ira pour le mieux!’
Plus pertinent comme démarche aurait été de tenter de politiser ces différentes sphères de souffrance; et de voir si certaines d’entres elles, loin de n’être que des anomalies malheureuses, sont en fait le produit (ou le sous-produit) nécessaire de nos modes d’organisation sociale et économique. Et ainsi de suggérer que la racine de certains de ces maux est-elle peut-être un peu plus profonde que nous le croyons normalement.
De relativiser ces souffrances, de les rattacher à ce qui serait la condition universelle de l’humanité, c’est malheureusement participer au renforcement de l’idée qu’elles sont en quelque sorte inévitables, bien que soulageables. Cette idée, bien qu’elle ait la vertu d’être porteuse d’une empathie sincère et créatrice (après tout, la détresse, il faut la soulager et donc créer les moyens de le faire); cette idée donc est une espèce de pompier pyromane qui ne se reconnaît pas comme tel.
Un sincère lecteur,
Patrick
Vous noterez que je ne suis pas sociologue. La détresse, celle que je connais bien comme médecin, j’en ai parlé largement dans d’autres écrits, notamment mon livre Les acteurs ne savent pas mourir. Je n’ai fait ici qu’explorer quelques questions qui me sont apparues à la lecture de la question posée par Aurélie: la détresse est-elle universelle (c’est-à-dire largement répandue)? Est-elle relative à notre environnement? Est-elle en croissance ou pas?
Je ne saisis pas exactement par votre commentaire quelles sont les « erreurs » soulignées, d’ailleurs vous n’expliquez pas les deux « faux pas », vous ne faites que l’affirmer, je ne peux donc discuter de vos arguments. Merci de me les expliquer.
Pour la quantification, j’imagine qu’avant de discuter un problème, on peut essayer de mesurer ce dont on parle, ce qui n’est pas nécessairement réducteur. On peut aussi tenter de savoir si l’accroissement apparent de la détresse est un phénomène en soi ou bien un effet de ce que nous mesurons ou rapportons. Je ne vois pas non plus au nom de quoi on ne pourrait pas poser ces questions, comme bien d’autres.
Si je dis que la détresse est peut-être un phénomène universel, vous ne pouvez me faire dire qu’il s’agirait « d’anomalies malheureuses », idée qui est plutôt opposée. Pour ce qui est du rôle de notre organisation sociale et politique, je mentionne que c’est une explication possible, mais je pense que de soulever le point qu’elle touche (par le suicide) aussi des groupes nantis et en position de pouvoir comme les médecins, les vétérinaires et les dentistes permet de soulever d’autres questions.
Pour ce qui est de rattacher l’idée de détresse à la « condition universelle de l’humanité », un phénomène largement répandu comme la détresse (et le suicide) est peut-être, comme bien d’autres (l’amour, l’empathie, le pouvoir, la joie, l’envie, la violence etc.), transversal à toutes les aventures humaines, peu importe l’organisation sociale, politique et économique en cause. Bien sûr, cette idée mériterait un approfondissement. Mais peut-être que ces questions n’ont rien à faire dans un « média populaire », comme vous dites. Bonne journée à vous.
https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit/segments/entrevue/75384/yvon-rivard-longue-entrevue-biographie-anecdotes-
Cette longue entrevue avec Yvon Rivard laisse entrevoir quelques réponses, non ?
GC
Il faut relire Albert Camus. Le mythe de Sisyphe, L’Homme révolté.
Selon Camus, une seule question est incontournable, la question du suicide. Il y répond en énonçant que malgré l’absurdité de la vie, il faut vivre.
Sisyphe remontait sa pierre chaque fois qu’elle glissait … et il faut accepter de croire qu’il était heureux.
Voilà qui est très bien dit. Bravo !
Bien que la détresse ne soit pas nouvelle, pourquoi devrait-on se contenter de médiocrité. Je me souviens avoir dit ce n’est pas parce quelqu’un est en chaise roulante que je me sens mieux. Je me déleste de tout ce qui m’entrave psychiquement et c’est un travail de longue haleine…
Quand le personnel devient universel, on ne voit pas éteindre les feux comme une condition suffisante au bien être. Il y a tellement de conditionnements qui nous permettent d’accepter la médiocrité ou plus encore la détresse comme normale!
Il faut pas trop « charier » ou s’appitoyer sur le sort de tout un chacun. Vivre a toujours été difficile. Je me rappelle temps de la pompe à eau qu’il fallait dégeler l’hiver pour nourrir les animaux, la bécosse ou le pot de chambre à vider le matin, la course aux conserves pour arriver à passer l’hiver, les voyages à la « beurrie » pour vendre la crème et obtenir un peu de « cash », l’absence de téléphone et d’électricité (les lampes à l’huile pour s’éclairer l’hiver à l’heure du souper), les soins médicaux absents ou très éloignés et $$$, le bois à bucher et à sécher pour chauffer la « truie » et ne pas geler, le gel qu’on grattait aux fenêtres (pas de fenêtres doubles), les 10 enfants de ma famille, les 20 de celles de mon père, mon père qui allait bucher (pour les jobeurs anglais) ou pelleter « sur la track » (pour que les trains puissent circuler en cas de tempêtes, l’obligation de quitter le foyer jeune (trop de « bouches à nourrir »), à 16 j’étais sur un « barrage » au NB pour arriver à payer mes études ou à « couper de la tourbe » à la bêche à 13-14 ans, les filles qui devaient se marier rapidement (souvent selon les « souhaits » des parents) et n’avaient pas d’avenir (ni d’instruction) à part celle de procréer, au bon vouloir ou sous la pression des curés, … Et je ne parle de ce dont j’ai été « témoin » ou que j’ai vécu. Et il y avait aussi de suicides à cette époque … mais pas de journaux ou TV pour en faire la publicité. La vie a toujours été et restera toujours dure pour « le monde ordinaire ». Aujourd’hui on parle de la drogue pour les « éclopés de la vie ». Dans le temps, on noyait aussi la « misère » dans la boisson, souvent « frolatée » (j’ai appris à en faire avec mon père, mes oncles et mon grand-père). Mon père est devenu alcoolique, j’ai des frères qui l’ont été … et qui en sont même décédés. Heureusement, j’ai quitté la maison pour « l’école de réforme » à 11-12 ans et je n’ai pas eu à vivre dans ce « jus ». Je n’ai pas eu d’enfance en « milieu » familial (9 ans pensionnat) … mais ça m’a épaissi la « couenne » et m’a permis de passer à travers. J’en ai même remercié mon père qui se demandait si « je lui en voulais ». Forme de « suicide » à long terme, la boisson! Mais on a aussi écrit abondamment sur « la misère des riches », les « pauvres ». Ça suffit … bonne vie. Cherchez le bonheur, les petits, jour après à jour.
Bonjour Monsieur Vadeboncoeur,
Tristement fascinant votre article.
Si je peux ajouter au débat, L’Actualité à publié un de mes textes dernièrement portant sur la croissante difficulté des gens à trouver un sens à leur existence. Un de nos indicateurs, le fait de ne pas avoir des buts dans la vie , est passé au pays de 16% à 30% de 2004 à 2018 (de 14% à 28% au Québec)
Or je ne sais pas jusqu’à quel point la détresse est indissociable de l’existence humaine, mais l’époque actuelle en détermine certainement un bonne part.
Au plaisir.
(https://lactualite.com/societe/2018/05/01/un-tiers-des-canadiens-na-pas-de-butdans-la-vie/)
Alain Giguère
Président, CROP inc.