Diminution de 28 % de la mortalité des traumatisés au Québec

Les patients traumatisés meurent de moins en moins — une excellente nouvelle due, en bonne partie, à l’amélioration de notre réseau de traumatologie. Le Dr Alain Vadeboncœur explique en quoi consistent ces progrès.

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J’observais la scène en salle de choc. Ma collègue avait beau stimuler la jeune femme, elle ne réagissait pas à la douleur. Le coup reçu à la tête avait d’ailleurs causé des dommages visibles au scan : des zones de contusion, un peu de saignement, de l’œdème. Le cerveau était amoché. Pas étonnant, alors, qu’elle eût demeuré dans un coma profond.
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Elle se laissait ventiler par le tube que j’avais inséré dans sa trachée trois heures plus tôt. Elle n’avait aucune autre lésion ni fracture — l’impact latéral contre la fenêtre du passager avait été violent.

En 1991, j’étais jeune urgentologue à l’hôpital Pierre-Boucher, sur la Rive-Sud. Notre urgence recevait encore des traumatisés de la route ; c’était donc avant la mise en place du réseau de traumatologie québécois, une avancée majeure dans les soins d’urgence, mais qui allait retirer à notre hôpital le statut de centre de niveau intermédiaire en traumatologie.

J’aurais dû m’occuper des autres patients, mais je poireautais plutôt au téléphone depuis au moins deux bonnes heures.

«Comment, vous n’avez pas de place ?
– Aucune : les soins intensifs sont pleins.
– Mais elle a 22 ans, trauma crânien sévère !
– Il va falloir essayer ailleurs.
– Ça fait déjà cinq hôpitaux qui refusent le transfert, les autres ne rappellent pas.
– Je suis désolé, je ne peux rien faire.»

Je rageais : il n’y avait aucun moyen de transférer cette patiente, dont l’état neurologique s’aggravait pourtant à vue d’œil, et qui devait recevoir des soins spécialisés.

Finalement, lors d’une ultime tentative, un neurochirurgien montréalais a accepté, en maugréant. Nous avons appelé l’ambulance, préparé la patiente et libéré une infirmière pour l’accompagner, malgré la soirée occupée.

La patiente a quitté l’urgence quatre longues heures après son arrivée. Je n’en ai jamais eu de nouvelles, mais j’imagine qu’elle s’en est plutôt mal tiré. L’histoire se passait en 1991.

*

Tout cela est aujourd’hui bien loin : nous avons maintenant un réseau de traumatologie intégré, et il fonctionne fort bien. Une telle scène ne pourrait pratiquement pas se reproduire.

Une nouvelle étude publiée dans le World Journal of Surgery par des chercheurs l’Université Laval et du CHU de Québec, dirigée par la Dre Lynn Moore, vient d’ailleurs de prouver cette réussite : la mortalité des traumatisés s’est encore améliorée — on parle ici de 28 %, puisqu’elle est passée de 5,8 % à 4,2 %.

Simultanément, les durées de séjour à l’hôpital ont aussi diminué, passant de 9,5 à 8 jours, sans changement dans les taux de complication ou de réadmission. On estime les économies consécutives à 6,3 millions de dollars pour 2012 seulement. Il faut savoir que 162 000 blessés graves ont été transportés dans un des centres de traumatologie québécois entre 1999 et 2012, dont 13 000 pour 2012. C’est énorme.

Ce n’est pas la première fois qu’on note les qualités de notre réseau. Une étude antérieure avait déjà montré une baisse majeure de la mortalité des grands traumatisés au Québec en 2004 et noté en conséquence l’amélioration de la survie des plus graves traumatisés (passée de 51,8 % en 1992 à 8,6 % en 2002, mais je ne suis pas certain qu’il s’agisse de patients comparables à ceux de l’étude Moore).

La science de la traumatologie

On parle donc de traumatologie, c’est-à-dire des soins particuliers offets aux accidentés ; notamment — mais pas exclusivement — ceux de la route. Or, qu’est-ce que ça prend pour bien soigner ces patients ? Une chaîne de survie traumatologique.

D’abord, rien ne peut être laissé au hasard. Il fallait donc mettre en place un vrai continuum de soins intégrés, couvrant toutes les phases — de la prise en charge, à partir de la réponse initiale (911), jusqu’à la réhabilitation. Tout cela est bien décrit par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), qui chapeaute les évaluations (cliquez sur l’image ci-dessous pour la faire afficher en format plus grand) :

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Que comprend cette chaîne ? On peut détailler les éléments suivants :

  • Les services d’urgence, activés par le 911
  • La sécurisation des lieux et l’accès aux traumatisés par les policiers et les pompiers
  • L’évaluation, la stabilisation et l’immobolisation des patients par les paramédics
  • Le transport vers des centres désignés (en fonction de la gravité des traumas) : centres primaires, secondaires et tertiaires (hôpitaux Sacré-Cœur, général de Montréal et Enfant-Jésus)
  • La réception par des équipes à l’urgence
  • La stabilisation initiale protocolisée
  • Le transfert au besoin dans un centre de niveau supérieur
  • L’accès rapide à l’imagerie (par exemple : échographies, radiographies, scans)
  • L’orientation rapide au bloc opératoire des patients devant être opérés (urgences abdominales, surtout)
  • La prise en charge subséquente par des équipes dédiées en traumatologie, notamment aux soins intensifs
  • Le traitement des autres problèmes (fractures et autres) et des complications
  • La réhabilitation (précoce)
  • La prise en charge à long terme des séquelles et des limitations

Il faut tout planifier dans le détail, seule façon d’obtenir un niveau de soins acceptable et constant. Il est aussi essentiel de travailler sur la capacité d’apprendre des erreurs constatées, afin d’améliorer les processus.

Cela suppose un recueil de multiples données et une évaluation approfondie des résultats, notamment par des équipes de recherche comme celle de la docteure Moore.

Les percées québécoises en traumatologie

Notre réseau de traumatologie ne s’est toutefois pas fait en criant «ciseau» : ce fut un travail patient et méthodique, visant à mettre en place chacun des maillons. Le gros du travail s’est déroulé durant les années 1990.

Il s’agissait de régler ce qui pouvait avoir des conséquences terribles pour les patients et plutôt pénibles pour les soignants. L’exemple donné plus haut est bien réel, et j’en garde un douloureux souvenir. Ce genre de problèmes, le réseau de traumatologie les a réglés. Les transferts sont non seulement plus rapides, ils sont dorénavant automatiques, alors qu’aucun refus n’est possible.

J’ai moi-même eu la chance de côtoyer plusieurs des pionniers ayant mis au point la traumatologie québécoise — des médecins comme le chirurgien Léon Dontigny, qui a rapporté des expériences américaines une vision claire des étapes à franchir et qui a formé de nombreux chirurgiens de Sacré-Cœur, ou encore les urgentologues Marcel Boucher et Pierre Fréchette, qui ont contribué à dessiner le réseau, à visiter puis désigner les centres, à établir les corridors de services et à amorcer son évaluation.

Grâce à des personnes dévouées comme eux, le réseau s’est amélioré de manière continue au cours des deux décennies qui ont suivi. C’est donc une belle réussite.

Malgré les difficultés et le manque de ressources, il y a partout des employés dédiés — paramédics, infirmières et médecins d’urgence, chirurgiens-traumatologues, intensivistes, physiothérapeutes — qui ont à cœur d’offrir les meilleurs soins possibles à ces patients.

Et surtout, il y a ces résultats probants. Des résultats qui touchent aussi à la prévention, puisque la meilleure manière de soigner un accidenté… c’est tout de même encore d’éviter l’accident. Mais la prévention des accidents, est-ce que ça fonctionne bien aussi ?

Comme partout, le nombre d’accidents graves ou mortels diminue régulièrement, en fonction des campagnes de promotion qui, elles aussi, ont des effets positifs. Les règles d’utilisation des pneus d’hiver, tout comme les amendes pour utilisation du texto au volant (ou pour omettre de porter sa ceinture) et l’amélioration des normes de sécurité des voitures, ont beaucoup aidé. Tout cela, c’est de la prévention efficace.

Et c’est tant mieux, parce que personne ne souhaite avoir à soigner une jeune femme qui ne répond pas à l’appel et qu’il faut intuber parce que son cerveau est trop endommagé pour assurer le maintien des fonctions vitales. Continuons à travailler en ce sens.

* * *

À propos d’Alain Vadeboncœur

Le docteur Alain Vadeboncœur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, où il enseigne, il participe aussi à des recherches sur le système de santé. Auteur, il a publié Privé de soins en 2012 et Les acteurs ne savent pas mourir en 2014. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter (@Vadeboncoeur_Al), et il a aussi son propre site Web : alainvadeboncoeur.com.

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