Ebola : les urgences en alerte

Si le virus Ebola devait faire son apparition en sol québécois, les hôpitaux seraient beaucoup plus efficaces que durant les épisodes du SRAS et du H1N1. Mais les défis resteraient nombreux pour tout le personnel, explique le docteur Alain Vadeboncœur.

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Photo : Getty Images

Le déclenchement des alertes maximales ne s’est pas fait attendre : notamment aux États-Unis, dès le 6 août, avec une «Alerte de niveau 1», puis à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le 8 août, où l’on a décrété l’épidémie Ebola «urgence de santé publique mondiale» (1).

Nous sommes donc entrés dans la crise Ebola. En conséquence, la Dre Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, a demandé une réponse internationale coordonnée.

Sante_et_scienceEn parallèle, le réseau de la santé s’est déjà mobilisé — chez nous comme un peu partout dans le monde — pour mettre en place les précautions requises.

La pire épidémie en 40 ans

En avril dernier, j’ai écrit un billet à propos de l’épidémie actuelle, qui touchait alors un nombre limité de patients, mais qui traversait déjà de manière inhabituelle certaines frontières africaines. Je vous réfère à ce texte pour réviser l’information sur la nature de l’infection, les symptômes et les complications.

Depuis avril, l’épidémie a pris l’expansion qu’on connaît en Afrique, ce qui a mené au rehaussement des niveaux d’alerte. Il s’agit actuellement de la plus importante épidémie d’Ebola depuis 40 ans, comme le montre ce graphique animé.

On a depuis décrété l’état d’urgence dans les pays d’Afrique de l’Ouest touchés : le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée et le Nigeria (le pays le plus peuplé d’Afrique). La situation à Lagos, métropole et plaque tournante des transports de près de 10 millions d’habitants, augmente substantiellement les inquiétudes. Des mesures sévères de prévention de la propagation sont notamment appliquées chez les voyageurs.

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Dans le dernier bilan de l’OMS, on approchait 1 000 décès et 2 000 cas confirmés. C’est beaucoup. Même si, à l’échelle du globe, il faut comparer ces chiffres avec d’autres infections qui font des millions de morts — par exemple, le VIH, qui a tué 1 500 000 de personnes en 2012.

Mais c’est suffisant pour mettre à risque les milieux des soins, qui doivent être prêts à réagir pour recevoir tout patient potentiellement contaminé.

Toutefois, sauf pour les Américains qui ont été rapatriés, aucun patient n’a encore été confirmé en Amérique du Nord. En Grande-Bretagne, le décès subit d’une femme provenant de la Gambie a causé la frousse à l’aéroport de Gatwick, mais les tests subséquents se sont avérés négatifs. Cela donne une idée de l’inquiétude qui règne.

Chez nous, des cas suspects sont en évaluation, comme ce patient, actuellement en quarantaine en Ontario. Au moins un autre cas suspect a aussi été évalué dans une urgence de Montréal. Mais aucun n’a été déclaré positif.

La réponse du réseau

En raison de l’expérience acquise lors des crises précédentes (l’épisode H1N1, par exemple), la réaction des responsables des agences et du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) est structurée et conduit à des actions ciblées, sans doute mieux que par le passé.

Comme pour le SRAS, en 2003, et comme pour la pandémie H1N1, en 2009, le réseau se met en alerte, ce qui est une bonne nouvelle. D’autant plus que l’habitude engendre plus d’efficacité.

Sur le terrain et dans les instances du réseau, les derniers jours ont été forts occupés. Les urgences et les hôpitaux ont diffusé des guides de pratiques qui tracent les grandes lignes de l’approche demandée.

Même si ce risque de transmission locale demeure très faible chez nous (en raison des mesures qui peuvent être mises en place pour limiter la propagation), le risque qu’un patient en provenance d’un des foyers actuels consulte est significatif.

Il s’agit donc de guider les équipes de soins afin de permettre la réception sécuritaire des patients, leur orientation au sein de l’urgence et de l’hôpital et le diagnostic. L’objectif est centré sur la détection des cas et les mesures d’isolement requises.

Ainsi, on ne craint ni une transmission large dans la population ni l’arrivée massive de patients (comme c’est le cas lors d’une épidémie de grippe), puisqu’il ne s’agit pas d’un virus facilement transmissible par la voie des airs, contrairement à celui de la grippe.

Il faut plutôt un contact direct avec des sécrétions humaines contaminées, pour lesquelles de grandes précautions doivent être prises. Une contamination pourrait toutefois survenir si le patient tousse beaucoup, ce qui est moins fréquent, étant donné qu’il ne s’agit pas a priori d’un virus respiratoire.

Par contre, il s’agit d’un des virus les plus meurtriers qui soient. Le taux de mortalité tourne autour de 60 % pour ce qui est du virus actuellement en cause.

Des défis à relever dans les hôpitaux

Pour ceux qui travaillent dans nos urgences et notre réseau de la santé, la donne vient de changer. Dans les faits, tout patient fiévreux qui provient des régions à risque et qui consulte pour de la fièvre sera désormais pris en charge en conséquence.

Puisqu’on ne peut aisément savoir a priori si le virus Ebola est vraiment en cause, il faut appliquer des mesures poussées de protection et rechercher ensuite la cause des symptômes du patient.

Un triage rapide et précoce des patients permet de distinguer ceux qui viennent à l’hôpital pour des conditions courantes de ceux qui sont à risque de maladies virales potentiellement graves, afin de bien les orienter au sein de l’urgence.

La détection est en effet une clef fondamentale, beaucoup mieux intégrée depuis les épisodes du SRAS et du H1N1. Les patients susceptibles d’avoir été en contact avec des foyers d’infection, essentiellement parce qu’ils proviennent de pays à risque et qu’ils ont des symptômes compatibles, doivent être rapidement identifiés.

Une fois qu’on a confirmé le risque (et non le diagnostic), ces patients sont placés en isolement à l’urgence, et le personnel doit revêtir des combinaisons imperméables spéciales pour effectuer les soins. Un des défis pratico-pratiques des hôpitaux : s’assurer que ce matériel de protection inhabituel sera toujours disponible.

Les analyses sanguines requises seront éventuellement effectuées. Il faudra assurer un très haut niveau de protection pour le transport et l’analyse de ces échantillons, ce qui ne sera pas sans difficulté.

Les précautions à prendre pourraient en effet avoir des répercussions sur le fonctionnement hospitalier, puisque l’analyse du sang suspect peut obliger à dédier les appareils pendant deux ou trois heures, afin de procéder à un nettoyage suffisant après coup. Regrouper les tests dans un milieu dédié ou même un laboratoire mobile a été proposé pour pallier ce défi.

Même si le risque d’avoir des cas positifs reste minime, l’évaluation et la prise en charge des patients potentiels représenteront un défi pour les urgences et les hôpitaux, en raison du principe de précaution qui doit s’appliquer face à une maladie aussi grave.

Mais retenons que d’autres infections sérieuses (moins graves que l’Ebola, toutefois) demeurent beaucoup plus fréquentes chez les voyageurs : c’est le cas, par exemple, de la malaria, de la fièvre typhoïde ou d’autres virus, sans parler de la grippe elle-même — qui tue plusieurs centaines de milliers de personnes par année dans le monde.

S’il y a fort à parier que le nombre de cas jugés «suspects» va croître dans les prochaines semaines et qu’il faudra évidemment prendre au sérieux chacun des cas, il est essentiel d’éviter la panique, puisque les mesures mises en place permettront d’endiguer la propagation subséquente. Mais nous en reparlerons sûrement.

(1) L’OMS affirme dans son communiqué du 8 août 2014 que :

«La flambée de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest constitue un “événement extraordinaire” et un risque pour la santé publique dans d’autres États» ;

«Les conséquences possibles d’une poursuite de la propagation internationale sont particulièrement graves compte tenu de la virulence de ce virus, de l’intensité de la transmission au niveau communautaire et à celui des établissements de santé, ainsi que de la faiblesse des systèmes de santé dans les pays actuellement touchés et ceux les plus exposés au risque» ;

«Une action internationale coordonnée est jugée essentielle pour renverser la tendance et mettre un terme à la propagation internationale du virus Ebola.»

* * *

À propos d’Alain Vadeboncœur

Le docteur Alain Vadeboncœur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, il enseigne l’administration de la santé et participe régulièrement à des recherches sur le système de santé. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter : @Vadeboncoeur_Al.

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Compte tenu de l’absence d’un traitement « homologué », qu’est-ce qui fait que les malades, ceux qui vont constituer le 40% restant, s’en sortent ? Chance ? Génétique ? Cas de « force de la nature » ? Intervention médicale, peut-être à l’aveugle, qui tombe à point à un moment donné mais pas à un autre ? Intervention à temps ? Virus au comportement genre tout-ou-rien ?