Après des années de débats acrimonieux sur la rémunération des médecins, après bien des empoignades et autant de rebuffades, après des mois de questionnements, la plupart du temps légitimes, j’ai l’impression que nous tournons en rond.
Peut-être parce que le débat public est souvent fondé sur des arguments flous — paradoxalement exprimés de manière intransigeante — basés sur des analyses rudimentaires, teintés de corporatisme ou empreints de partisanerie politique. C’est assez pour que monte la température de l’opinion publique, mais sans rien régler. Et honnêtement, le sensationnalisme à propos des primes, on en a plutôt fait le tour. Puisque personne ne semble réussir à prendre le sujet à bras-le-corps et à discuter assez pertinemment pour avancer, à quand une vraie réflexion, approfondie, constructive et non partisane ?
Le gouvernement, c’est son rôle, doit agir mieux que ses politiciens, parfois trop populistes, pour qu’émerge enfin un débat éclairé sur les questions de fond. Attention, ces questions sont aussi costaudes que nombreuses ! Je ne me ferai pas d’amis : peu importe ce que croient certains de mes confrères, comme il s’agit d’une masse d’argent considérable, il est difficile de ne pas y voir un enjeu public de taille. D’autant plus que les dépenses en santé sont influencées non seulement par le salaire qui est versé aux médecins, mais davantage par leurs décisions cliniques, ce qui n’est pas sans lien avec le mode de rémunération.
Si la médecine est chez nous une profession libérale, comme un peu partout dans le monde, le paiement à l’acte est pourtant loin d’être l’unique manière de la rémunérer, surtout dans les établissements de santé. Mais en raison du faible nombre de médecins en Amérique du Nord, toute autre proposition de rémunération doit tenir compte de ses effets documentés sur la productivité. On ne peut donc pas seulement répéter : « Les médecins à salaire ! » Les chercheurs du domaine le confirment, c’est une question bien trop complexe.
D’ailleurs, les médecins ne répondent pas à la définition de salariés, notamment parce que le payeur principal, la Régie de l’assurance maladie du Québec, est un assureur et non un employeur. Leur statut par rapport à l’État s’apparente plutôt à celui d’un travailleur autonome. Un statut qui n’est pas si absurde, pour quelques raisons : même s’il pousse parfois les médecins à jouer la partie un peu en dehors des cadres, il leur permet aussi d’agir comme contre-pouvoir d’un système qui ne se prive pas de décisions douteuses pour les patients qu’il soigne.
Il faut comprendre mieux les modes de rémunération possibles et bien en évaluer les conséquences dans le contexte de notre système de santé, mais en prenant soin de comparer des pommes avec des pommes. Par exemple, quand on parle des revenus des médecins, n’oublions pas qu’ils comprennent des dépenses professionnelles parfois élevées (qui autrement seraient assumées par l’État) et qu’ils ne comportent pas d’avantages sociaux.
Mais la plus difficile des questions, le niveau de rémunération, engendre également les plus vives polémiques. Si on peut s’époumoner sans fin sur l’évidence que les médecins utilisent un pourcentage élevé des budgets investis en santé, cette réalité est rarement abordée sans partis pris ou omissions. L’équivalent salarié de ce revenu devrait toujours tenir compte des heures travaillées, des vacances payées, des assurances variées, des congés de maternité et de paternité, et de l’âge — et du niveau des prestations ! — de la retraite. Et aussi du fait que, pour certaines spécialités, les médecins entament leur pratique à l’aube de la trentaine. Il ne faut pas non plus oublier de réfléchir aux phénomènes du rajeunissement et de la féminisation de la profession, parce que les médecins d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier.
Quant aux comparaisons avec d’autres pays, ne choisissons pas seulement certains éléments en les transposant ensuite maladroitement dans notre réalité, sans considérer la perspective d’ensemble. Il est d’ailleurs décevant de ne pas lire à ce propos d’analyses plus sérieuses dans le foisonnement des opinions diffusées.
Personne ne sort gagnant de la situation actuelle, ni les médecins, ni la population, ni le gouvernement, ni surtout les patients. Le temps est venu d’élever le débat en se donnant les moyens d’une réflexion de fond à propos de la rémunération médicale. Pour poser les bonnes questions et en arriver, peut-être, à de vraies réponses plutôt qu’à une foire d’empoigne. Dans notre société, on appelle ça une commission indépendante.
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2018 de L’actualité.
Pour élever le débat encore faut-il éviter l’obscénité du « mais nous sommes payés par un assureur », « mais nous on n’a pa de fond de pension » ! UNE PETITE GÈNE SVP
Pour élever le débat, je pense qu’il faut surtout éviter de déformer les arguments. Par exemple, il n’y a de « mais » dans les deux phrases que vous citez, et je ne formule aucune plainte ou revendication à cet égard, il s’agit simplement de faits. Bien entendu, on peut choisir de contourner les faits quand on discute, mais c’est généralement plus productif de partir de la réalité. Bonne soirée à vous aussi.