Le jour où Anthony Kavanagh annonçait qu’il souffrait d’une embolie pulmonaire, annulant du coup une partie de sa tournée, je diagnostiquais le même problème chez deux de mes patients à l’urgence : des caillots dans les poumons. Des caillots qui bloquent le passage du sang dans certains lobes de l’organe de la ventilation, causant de la douleur — souvent vive — et un essoufflement.

Mais l’embolie pulmonaire, pourtant grave, demeure méconnue dans la population (sauf chez ceux et celles qui en ont souffert… !). Peut-être parce qu’on en parle bien moins que de l’AVC ou de l’infarctus, deux troubles apparentés où l’interruption de la circulation artérielle dans le cerveau ou le cœur cause parfois les ravages souvent graves que l’on sait. Peut-être aussi parce que l’embolie pulmonaire est plus mystérieuse et tout de même moins fréquente.
Mais d’où viennent ces caillots ? Par où passent-ils ? Où vont-ils se loger exactement ? Quels dommages causent-ils ? Peuvent-ils ensuite monter au cerveau ? Comment vont-ils se résorber ? C’est le genre de questions que mes patients me posent régulièrement. Si elles sont toutes pertinentes, elles montrent aussi le degré d’inconnu lié à un des problèmes de santé les plus graves qui soient.
Un caillot dans les veines
Un caillot qui se loge dans les poumons est nécessairement passé par le cœur droit, cette moitié de cœur qui reçoit le sang veineux — mal oxygéné — des veines du corps entier pour le diriger vers la circulation pulmonaire, justement, qui se chargera d’en extraire le CO2 toxique pour le remplacer par l’oxygène salvateur. Pourvu bien sûr que la fonction respiratoire ne soit pas trop altérée par un caillot !
Ces caillots se forment dans une veine quelque part dans le réseau veineux du corps humain, le plus souvent dans les jambes. Ils peuvent également provenir d’autres veines, celles des reins par exemple, de la grande veine cave (veine centrale du ventre), voire même de celles des bras.

Dans ce dernier cas, le risque de migration aux poumons est possible, mais les caillots, de moindre taille, sont d’autant moins dangereux. De même, ceux qui se forment loin, dans les veines plus petites sous les genoux, causent rarement de graves problèmes, contrairement à ceux qui proviennent des veines des cuisses (veines fémorales). Bref, plus la veine est grosse, plus les répercussions risquent d’être grandes.
Pour leur part, ces caillots qui se forment dans les veines superficielles des jambes et des bras, juste sous la peau, peuvent causer de la douleur. On parle alors de phlébite superficielle, qui apparaît souvent à la suite de la pose d’un soluté, mais ne migrent pas et ne posent donc pas de risque… à moins que de proche en proche ces caillots ne se forment jusque dans les veines profondes (un phénomène peu fréquent).
Quand le sang caillote
Les caillots ne se forment pas (seulement) par hasard : les facteurs de risque sont de trois ordres. D’abord, l’immobilité, qui favorise la stase veineuse. Le sang est un fluide qui doit circuler. Immobile, il peut former un caillot, agrégat de cellules sanguines, surtout des plaquettes, qui adhèrent les unes aux autres, et de fibrine, une protéine, formant une masse plus ou moins compacte.
Toute immobilisation comporte donc un risque, que ce soit un séjour prolongé dans un lit d’hôpital, un plâtre, ou même un très long voyage en avion (pas trois ou quatre heures, mais plus de six heures, par exemple). Voilà pourquoi il faut se lever régulièrement quand on vole de longues heures.
Le sang lui-même peut se trouver plus ou moins prompt à coaguler. Par exemple, chez les personnes souffrant de cancer, le sang a davantage tendance, en raison de substances circulantes « procoagulantes », à former des caillots. Plusieurs problèmes de coagulation héréditaires favorisent également la formation de tels caillots.
Certains médicaments augmentent aussi ce risque, comme une hormonothérapie ou la pilule contraceptive. Même la grossesse, en raison de la stase qu’elle provoque, mais aussi de changements hormonaux, accroît le risque. De même que le tabagisme. Ces risques se multiplient entre eux.
Un bémol : même si le risque est influencé par la prise de contraceptifs, le risque de base reste très faible chez les femmes en âge de procréer. De sorte que l’augmentation du risque est minime, dans l’absolu. Une grossesse engendre par exemple un risque plus élevé de caillots que la pilule contraceptive.
Enfin, tout traumatisme à une veine (exemple : un cathéter) entraîne une réaction qui peut mener à un caillot. Ainsi, une blessure à une jambe peut se compliquer par une thrombose (blocage) profonde, qu’on appelle aussi thrombophlébite.
D’abord une douleur
La formation d’un caillot dans une jambe ou ailleurs entraîne généralement de la douleur, progressive, sur le trajet de la veine, puis dans toute la région (par exemple le mollet) qui se trouve engorgée de sang.
Mais ce blocage, qui perturbe aussi le retour du sang vers le cœur, augmente la pression dans les veines et provoque ainsi une enflure plus ou moins importante, selon la taille et la position de la veine affectée. Si le blocage est situé haut dans la cuisse, c’est toute la jambe qui enflera.

Bien souvent, les personnes me consultent à ce moment. À l’examen, on trouve la douleur à la palpation du membre, de même que l’œdème (enflure). Si les signes sont francs, un examen Doppler (qui s’apparente à l’échographie) est demandé, et repère généralement le caillot qui en est à l’origine (ou bien une autre cause pour expliquer la douleur et l’enflure, comme un hématome dans un muscle).
Par contre, il arrive que ces caillots ne causent pas de symptômes, ce qui expose la personne à un délai diagnostique qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses. Ce caillot entraînera souvent des complications locales de la jambe, en plus de la douleur, puisque les veines, de fragiles conduits, contiennent aussi des valvules qui empêchent le reflux de sang vers le bas. À la suite d’une thrombophlébite profonde, elles pourraient être détruites, ce qui favorisera l’accumulation de sang par gravité, des douleurs plus ou moins prolongées et de l’enflure chronique. C’est le syndrome postphlébitique, qui peut survenir même si la thrombose est bien traitée.
Mais la principale complication de la thrombophlébite ne se passe pas tant dans la jambe ou sa veine que si le caillot migre. D’abord adhérent à la veine, il peut en effet s’en détacher, pour flotter librement dans la circulation veineuse. Il ne restera pas en place, les veines drainant continuellement le sang vers le cœur droit. Emporté par ce flot, un caillot passera dès lors par la veine cave, remontera jusqu’à l’oreillette droite, puis le ventricule droit, d’où il sera propulsé dans une artère pulmonaire.
Arrivée dans les poumons
On peut voir les poumons comme un grand filtre pour le sang veineux, qui doit nécessairement le traverser. Les artères pulmonaires s’y ramifient en vaisseaux de plus en plus petits, qui forment finalement un maillage serré de capillaires ultrafins, accolés aux alvéoles, dont la fonction principale est d’assurer un contact presque direct entre le sang et l’air, assurant les échanges gazeux vitaux.

Ce filet de tuyauterie forme un maillage d’une incroyable finesse, qui attrape tout ce qui tente de passer, dont les caillots. D’ailleurs, les poumons filtrent ainsi, régulièrement, une multitude de petits agrégats sanguins — de minuscules caillots —, les retirant de la circulation et les « digérant » pour les éliminer. Ce rôle est vital, parce que sinon, le moindre caillot se retrouverait ensuite dans le cœur gauche, et serait envoyé dans l’aorte vers les organes desservis, dont le cerveau… causant ainsi un AVC. Nous ne pourrions donc pas survivre sans ce filtre.
De sorte qu’à la question qui m’est souvent posée sur la possibilité pour ces caillots de continuer à se déplacer dans le corps, notamment jusqu’au cerveau, il n’en est rien : une fois bloqué dans ce filet pulmonaire, le caillot ne peut plus bouger, et surtout pas se rendre dans le cerveau.
Une très rare exception est le passage direct d’un caillot provenant d’une veine du cœur droit au cœur gauche, par exemple par un orifice appelé « foramen ovale», d’où il peut monter directement au cerveau, mais sans passer par les poumons. À ce moment, ce n’est pas vraiment l’embolie pulmonaire qui est en cause. L’AVC était donc la bonne réponse à ma question posée sur Twitter :
Une embolie pulmonaire peut causer tout cela sauf…
( la réponse dans mon prochain blog)
— Alain Vadeboncoeur (@Vadeboncoeur_Al) December 20, 2017
Des dommages pulmonaires
Mais le caillot cause son lot de dommages et de symptômes dans les poumons. On s’imagine que ces vaisseaux ne sont pas conçus pour recevoir de gros caillots, qui bloquent alors une partie de la circulation acheminée vers les poumons.
D’abord, c’est un problème de circulation, comme un camion en panne à l’heure de pointe : un bon caillot, provenant par exemple de la cuisse, prend beaucoup de place, et peut bloquer une artère pulmonaire au complet, compromettant le passage du sang.
C’est d’ailleurs la première menace de l’embolie pulmonaire : si le blocage est suffisamment important, le sang ainsi bloqué n’arrive plus à atteindre le cœur gauche, ce qui peut causer une baisse du débit cardiaque, une chute de pression, voire une syncope et un arrêt circulatoire dans les cas extrêmes. Heureusement, le blocage est rarement aussi extrême. Mais il demeure qu’un caillot de bonne taille mènera tout de même à des dommages en bloquant une ou plusieurs artères pulmonaires, avec deux conséquences principales.
D’abord, cet arrêt local de circulation compromet les échanges gazeux dans ce secteur, ce qui entraîne le premier symptôme de l’embolie : cet essoufflement causé par une baisse de l’oxygène et une augmentation du travail respiratoire conséquent.
Mais l’embolie compromet également la circulation dans le délicat tissu pulmonaire lui-même, qui doit aussi être nourri, causant ainsi parfois ce qu’on appelle un infarctus pulmonaire, soit une atteinte directe d’une portion du poumon, qui va mener à une réaction inflammatoire qui explique le second symptôme principal de l’embolie pulmonaire : la douleur.

Cette douleur est souvent dite « pleurétique », parce qu’elle varie avec les mouvements de la respiration, donc de la plèvre, l’enveloppe des poumons. En comparaison, la douleur cardiaque de l’infarctus ne varie habituellement pas à la respiration. À chaque respiration, la douleur augmente donc, une caractéristique importante pour déceler le problème.
Trouver le caillot
Devant tout patient se présentant pour une douleur thoracique, le diagnostic d’embolie pulmonaire doit flotter quelque part dans la tête de l’urgentologue, à l’image du caillot qui flotte dans les veines en cause. Parce que si on ne pense pas à ce diagnostic, une des six grandes urgences thoraciques se manifestant par une douleur, on ne le trouvera pas.
Ainsi, si une personne qui consulte pour une telle douleur présente des facteurs de risque pour une thrombose (mentionnés plus haut) et des symptômes compatibles (douleur pleurétique et essoufflement), il est temps d’aller à la recherche de l’embolie pulmonaire, une quête pas toujours facile. Lorsque le doute est faible chez un patient de moins de 50 ans, certains éléments d’information permettent souvent d’« éliminer » ce diagnostic avec une confiance suffisante.
Pour les autres patients, il faut parfois aller loin. À moins que l’on ne dispose d’une autre explication évidente pour sa douleur (traumatisme au thorax, par exemple), on effectuera d’abord un électrocardiogramme, qui montre dans 60 % des cas certaines anomalies plus ou moins subtiles de l’embolie pulmonaire.
Mais c’est surtout par le dosage sanguin des D-dimères, un test accessible dans toutes les urgences, que l’on peut orienter le diagnostic. Reliquat formé à partir de la dégradation de la fibrine, une protéine impliquée dans la coagulation, le dosage des D-dimères permet d’exclure raisonnablement l’embolie pulmonaire des diagnostics possibles s’il est normal, sauf pour le patient à risque élevé d’embolie (comme après une intervention chirurgicale).
Si le test est anormal, le doute augmente d’autant. Mais ce genre de test est dit « non spécifique », en ce sens qu’il est souvent aussi anormal chez les personnes en bonne santé, sans embolie pulmonaire (ni autre caillot). En cas d’anomalie, le diagnostic n’est toujours pas confirmé, mais il faut approfondir.
Confirmer le diagnostic
On parle alors d’imagerie diagnostique. Une simple radiographie pulmonaire ne donnera habituellement rien, à moins de voir l’image du fameux « infarctus pulmonaire » important, ce qui est peu fréquent et demeure non spécifique. Il faudra aller plus loin, soit par un test de médecine nucléaire appelé scintigraphie ou encore par un examen appelé angioscan pulmonaire.

Dans le premier cas, on peut observer qu’une section de poumon ne reçoit plus de sang, signant le blocage. Dans le second cas, on peut visualiser directement les artères avec un colorant, ce qui montre l’interruption de la circulation, et bien souvent le caillot lui-même s’il est de taille suffisante. Ces deux examens permettent également de mesurer l’ampleur des dégâts.
Amorcer le traitement
Une fois le diagnostic posé, le traitement reste assez simple. Dans la plupart des cas, il suffit de laisser la nature agir, les poumons étant plutôt efficaces pour nettoyer les caillots… pourvu qu’on n’en rajoute pas. Il s’agira donc essentiellement de débuter par un anticoagulant à cette fin, médicament qui empêchera la formation de nouveaux caillots et préviendra leur migration vers les poumons. Bien souvent, ces anticoagulants seront pris sur une longue période.
Restent cependant les séquelles potentielles de tous ces caillots. J’ai déjà parlé des problèmes dans les jambes. Dans les poumons, l’amputation d’une partie de la circulation pulmonaire peut aussi entraîner des conséquences à long terme, plus fréquentes en cas d’embolie majeure : la circulation pulmonaire pourrait être partiellement compromise, ce qui diminuera la capacité d’oxygénation du patient et augmentera la résistance circulatoire pulmonaire, ce qui peut avoir à long terme des effets sur le cœur.
De sorte qu’il vaut tout de même mieux prévenir que guérir. Comment ? Relisez simplement le paragraphe sur les causes. Cessez de fumer si vous prenez la pilule contraceptive. Bougez régulièrement quand vous prenez un vol de longue durée. Rendez-vous mobile le plus possible en cas d’hospitalisation. Gardez une vie active pour favoriser la circulation veineuse.
Ces actions simples vous permettront peut-être d’éviter de recevoir un jour un caillot dans les poumons, comme ceux qui ont conduit mes deux patientes à l’urgence et Anthony Cavanagh à l’hôpital. On lui souhaite d’ailleurs un prompt rétablissement !
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Merci Dr. Vadeboncoeur. Vos explications vulgarisées sont toujours très claires et complètes. Continuez à faire notre éducation. Vous êtes très intéressant à lire et à écouter.
ui me Dr Vadeboncoeur, Vous avez là un article très intéressant qui me rappelle ma propre situation dans un événement quoi différent. Dans mon cas, j’ai eu une douleur intense dans le mollet de ma jambe droite qui m’a conduit en urgence. A l’arrivé, je me souviens de rien, je me suis éveillé dans une chambre médicamenté avec un soluté accroché à mon bras. Le chirurgien a remis au lendemain son intervention, et là a commenté des manipulations à la jambe, on a ouvert le côté de la jambe et à trois tentatives pour débloquer l’artère, la finalité a été l’amputation au niveau de la cuisse. On n’a pas réussi à débloquer l’artère.
D’avoir remis au lendemain l’intervention a t’elle pu amener le résultat ? On m’a dit déjà : on t’a coupé la jambe pour ça…quoi répondre, mais oui..voilà..cela s’est passé en 2004.
Bonjour
Merci pour cet article, mais je trouve pas beaucoup de renseignement sur quoi faire après une thrombose profonde de la jambe et embolie pulmonaire chronique due a une fracture du plateau du tibia externe.
Je prend des anticoagulants à vie et porte mes bas de compressions et on m’a conseiller de reste en forme.