Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de l’émission STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran.
Alerte au divulgâcheur : ne lisez pas ce texte si vous n’avez pas encore regardé les épisodes de cette semaine de l’émission STAT !
Nos quatre valves cardiaques sont d’une incroyable robustesse, s’ouvrant et se refermant efficacement chacune près de trois milliards de fois dans une vie, presque sans jamais se plaindre ! Sauf qu’il arrive malheureusement qu’elles s’infectent, même si elles sont en général très bien protégées contre une telle menace, qui demeure ainsi exceptionnelle. C’est pourtant ce qui s’est passé avec un personnage de STAT cette semaine.
Une « ite » de la valve cardiaque
Pour beaucoup de problèmes médicaux, l’ajout du suffixe « -ite » à tel ou tel organe ou tissu veut dire que ça ne tourne pas rond. On aime mieux ne pas avoir de ces « -ite » en nous.
Plus précisément, un « -ite » signifie une inflammation, où sont engagées dans un combat nos défenses immunitaires, en général contre un intrus, souvent une bactérie. C’est ce qui survient en cas d’endocardite, infection située à l’intérieur du cœur et affectant directement l’une de nos valves cardiaques.
Dans l’émission, c’est la valve aortique du jeune homme qui est ainsi attaquée par une bactérie. On parle alors de « végétation », un terme curieux qui décrit en fait la lésion retrouvée sur la valve.
Il s’agit bien sûr d’une infection grave, à la fois pour la valve elle-même et en raison des conséquences parfois catastrophiques sur la valve, le cœur et les autres organes.
La première endocardite décrite
C’est le docteur Lazare Rivière, un médecin français, qui a documenté en 1646 le premier cas d’endocardite, chez une jeune patiente de 21 ans. Elle avait souffert pendant plusieurs mois d’une fièvre intermittente, accompagnée de douleurs thoraciques, de toux et de palpitations.
Après le malheureux décès de la patiente, Rivière en a examiné le cœur et a découvert des excroissances irrégulières sur les valves aortiques. Il a observé des dépôts noirs et grumeleux sur les valves mitrales.
Il a donc baptisé ces excroissances des « végétations » et émis l’hypothèse qu’elles étaient la cause de la maladie de sa patiente, des siècles avant la découverte des bactéries. On utilise toujours le terme aujourd’hui.
Des facteurs de risque
Si le cœur est aussi résistant aux infections, c’est parce que nous le défendons fort bien, notamment grâce à ce flot sanguin abondant qui le traverse nuit et jour et avec les innombrables globules blancs qui veillent à sa santé. Sauf quand certains facteurs augmentent le risque.

Ainsi, une malformation cardiaque congénitale où l’on naît avec une valve anormale, une maladie valvulaire rhumatismale acquise ou l’utilisation de drogues injectables constituent d’indéniables facteurs de risque.
L’endocardite touchant la valve aortique ou l’une des trois autres demeure bien rare, affectant environ de 1 à 6 personnes sur 100 000 chaque année dans les pays développés, même si on la retrouve plus souvent dans les autres pays, où les anomalies de valve non diagnostiquées sont plus courantes.
Lorsque les valves sont mal formées, l’anomalie engendre des turbulences dans le flot sanguin, qui les rendent plus sujettes à voir adhérer à leur paroi ces bactéries qui causeront l’infection, laquelle peut ensuite se développer à une vitesse variable, parfois très lentement, parfois de manière fulminante.
Des bactéries communes
Il demeure qu’une bactérie s’introduit au départ dans le sang, là où il ne s’en trouve normalement pas ou vraiment très peu. C’est par contre souvent le cas lors de certaines procédures dentaires ou digestives ou en cas d’infections cutanées, respiratoires ou urinaires, qui peuvent faire circuler quelques bactéries dans le sang, ce qui augmente le risque d’endocardite en cas de valve anormale.
Les bactéries en cause sont donc assez communes, notamment des streptocoques viridans (bactéries de la bouche), des staphylocoques (retrouvés sur la peau), des entérocoques (qui infectent parfois les urines) et d’autres streptocoques.
Quand elles entrent dans le flux sanguin à partir de sources infectieuses telles que les dents, les amygdales, les voies urinaires ou les plaies, ces bactéries sont habituellement éliminées rapidement par nos défenses immunitaires.
Lorsqu’elles réussissent à s’attaquer aux valves, c’est par la mince couche cellulaire qui les recouvre, appelée « endocarde », d’habitude très lisse et donc trop « glissante » pour ces bactéries. Sauf, justement, si la valve est anormale.
Diagnostiquer l’endocardite
Comme pour d’autres infections sérieuses, les signes et symptômes de l’endocardite de la valve aortique comprennent de la fièvre, des frissons, une grande fatigue, des douleurs articulaires, une perte de poids, un essoufflement et des douleurs dans la poitrine.
Ils peuvent apparaître plus ou moins rapidement, rendant souvent le diagnostic difficile lorsque les symptômes s’installent à bas bruit, parfois sur des semaines et des mois, comme pour la patiente du docteur Rivière.
Mais peu importe la gravité du problème ou sa vitesse d’installation, le diagnostic de l’endocardite est basé sur la même combinaison de signes et symptômes cliniques, d’analyses de sang et d’imagerie cardiaque.
Afin de traquer les bactéries elles-mêmes, on pratique d’abord plusieurs « hémocultures » : on examine le sang au microscope pour déceler les bactéries, puis on tente surtout de faire pousser les bactéries qui s’y trouvent potentiellement.
Les médecins réalisent ensuite dans tous les cas une échographie cardiaque, qui permet fréquemment de visualiser les « végétations » si elles sont assez grosses pour être visibles.
Traiter l’infection
Quand le diagnostic est posé, grâce aux symptômes, aux végétations vues à l’échographie et aux cultures de sang positives, le traitement consiste en une antibiothérapie intraveineuse prolongée, généralement pendant au moins de quatre à six semaines.
Tout peut alors bien se passer. Par contre, si la valve se dégrade sous l’effet de l’infection, sa dysfonction subséquente compromet parfois le fonctionnement même de la pompe cardiaque. Une intervention chirurgicale est alors nécessaire afin de remplacer cette valve infectée.
Les indications d’un tel traitement chirurgical comprennent notamment l’échec de l’antibiothérapie, une insuffisance cardiaque sévère (problème de pompe), une végétation de très grande taille ou la présence de complications neurologiques.
Dans ce dernier cas, pour les valves aortiques et mitrales, situées du côté gauche du cœur, les végétations se détachent de la valve et migrent dans la « grande » circulation sanguine, via l’aorte, notamment vers les artères nourrissant le cerveau, les carotides.

On comprend que si un amas de bactéries et de cellules inflammatoires se retrouve directement dans le cerveau, la situation devient critique, causant alors habituellement une méningite et même des abcès dans le fragile tissu cérébral.

La prévention
Bonne nouvelle, jusqu’à un certain point, comme pour bien des problèmes en médecine, la prévention de l’endocardite est possible. Elle repose sur l’utilisation d’antibiotiques préventifs dans certaines situations bien précises, quand une valve anormale risque d’être exposée à des bactéries.
Les recommandations actuelles suggèrent par exemple une prise d’antibiotiques avant les procédures dentaires ou respiratoires (comme une bronchoscopie) pour les patients à risque élevé d’endocardite ou si quelqu’un a déjà une valve cardiaque artificielle pour toute autre raison.
Notez par ailleurs qu’en l’absence de symptômes ou de signes à l’examen (comme certains « souffles » cardiaques à l’auscultation), il n’est pas souhaitable de rechercher systématiquement des anomalies de valves, puisqu’elles demeurent exceptionnellement « silencieuses ».
Mais si on vous a diagnostiqué certains problèmes de valves, vos médecins vous diront si une telle prise d’antibiotiques est appropriée et dans quels cas, sachant qu’on prescrit aujourd’hui bien moins d’antibiotiques qu’avant pour cette indication.
Le plus important reste d’éviter de se retrouver dans la fâcheuse situation du personnage de l’émission, ce qui demeure, heureusement, bien rare, surtout à cet âge.
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Benjamin Richer, chef de pupitre adjoint