
Au sein d’un groupe d’une quinzaine de patients de la région de Rouyn-Noranda, une dame âgée et malade peinait à rencontrer son médecin, alors qu’un homme en bonne santé obtenait ses rendez-vous sans problème.
Après quelques échanges, l’homme lui avait alors spontanément lancé : «Mais c’est vous qui devriez voir le médecin plus souvent, pas moi !»
C’est le souvenir que j’ai d’une conversation tenue à bâtons rompus dans un café avec le sympathique médecin chercheur Antoine Boivin, il y a déjà quelques années.
Son objectif était déjà clair : les patients peuvent contribuer à établir les priorités collectives de santé. Il entendait le démontrer.
J’ignore si l’anecdote en question fait partie des résultats de l’intéressante étude du docteur Boivin (1) publiée ces jours-ci dans la revue Implementation Science, mais quoi qu’il en soit, c’est pari tenu : les conclusions corroborent tout à fait ses intuitions. L’étude a d’ailleurs fait le tour de monde, mettant en lumière la qualité de cette recherche produite en collaboration avec les Pays-Bas.
Justement, c’est un coin du monde que le docteur Boivin connaît bien, puisqu’il en a étudié le système de santé et qu’il a complété son doctorat dans ce pays. Nous pourrions certainement nous en inspirer pour améliorer l’organisation et l’accès à notre première ligne, comme j’en avais d’ailleurs parlé dans Privé de soins.
Il m’avait expliqué que les cliniques d’une région se coordonnent pour assurer l’ouverture d’au moins l’une d’entre elles 24 heures sur 24, tout en partageant les informations et le dossier médical — un exemple lumineux dont nous sommes, hélas, bien loin !
Intégrer le patient dans les décisions de soins
Mais au fait, quelle est la place du patient, dans notre médecine ? Probablement meilleure qu’avant, même s’il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Ça commence bien simplement : est-ce que votre médecin vous écoute ? Prend-il assez de temps, ou bien commence-t-il à vous interrompre après seulement 18 secondes d’entrevue, comme cela a déjà été mesuré ? Vous laisse-t-il poser vos questions ?
On manque de temps, en médecine comme en tout, semble-t-il. Pourtant, prendre un peu plus de ce temps est important, non seulement pour assurer la qualité du lien, mais aussi pour bien comprendre la raison de la consultation, établir un bon diagnostic et surtout, planifier un plan de traitement qui intègre adéquatement les attentes mutuelles.
Et votre avis, quand vient le temps de prendre la décision thérapeutique, votre médecin en tient-il compte ? Ce qui ouvre plus la porte à une question plus large : qui doit décider des soins ?
C’est le patient, bien entendu. Bien informé, ayant pesé le pour et le contre, sachant ce qui l’attend et libre de ses choix.
En pratique, je vous garantis que ça se fait beaucoup mieux qu’à l’époque où j’ai commencé à apprendre la médecine, il y a 30 ans.
Les règles du jeu ont changé : les médecins sont moins paternalistes, l’information circule mieux, les jeunes médecins sont plus adéquatement formés.
Bref, l’opinion du patient est beaucoup mieux prise en compte. Et c’est essentiel, nous rappelle d’ailleurs le docteur Boivin dans la mise en contexte de son étude : plus de 200 recherches montrent que l’on soigne mieux quand on implique les patients dans les choix de soins.
Le patient et les choix collectifs de santé
L’intérêt de l’étude publiée est différent. Ça va pour les choix de santé personnels, mais qu’en est-il des choix de santé collectifs — ceux des organisations de soins, par exemple, et ceux des communautés ?
Cette étude du docteur Boivin serait la première à explorer rigoureusement cette hypothèse que l’intégration des patients dans les processus décisionnels peut influencer favorablement les décisions.
Après avoir évalué les besoins exprimés par les patients et les professionnels, le docteur Boivin et son équipe ont comparé ces deux démarches : l’une où les professionnels de la santé déterminent collectivement, mais sans apport direct des patients, les priorités de soins ; et l’autre où les patients participent à la démarche, par l’intermédiaire d’échanges structurés qui se déroulent sur deux pleines journées.
Les résultats sont clairs : la présence de patients influence judicieusement les choix effectués.
En fait, on devrait plutôt dire que les patients et les professionnels s’influencent mutuellement, ce qui permet d’en arriver à des choix plus équilibrés — prenant en compte les deux réalités — et tendant à se rapprocher des approches validées par la science, tel que l’accès à la première ligne, les autosoins, la participation des patients dans les décisions cliniques et le partenariat.
Comme le docteur Boivin me le confiait justement ces derniers jours :
«Ce qui est frappant pour moi se situe à deux niveaux. D’abord, les patients et les professionnels ont des priorités différentes. Les professionnels seuls réussissent mal à présumer de ce qui compte réellement pour la population. Ensuite, une participation publique efficace permet aux patients et aux professionnels d’apprendre les uns des autres et de s’influencer mutuellement. En travaillant ensemble, les professionnels ont pris conscience des problèmes d’accès vécus par les patients, alors que les patients ont réalisé le rôle actif qu’ils peuvent jouer pour améliorer leur propre santé et celle de leur communauté.»
De patient à expert
Ces résultats ne sont pas surprenants : les patients sont vraiment des experts, et il faut mieux utiliser cette expertise.
Encore hier, une femme dans la cinquantaine expliquait avec moult détails à mon externe éberluée les multiples fonctions de son défibrillateur implantable, décrivant chacune des phases du traitement de ses arythmies.
Mais «expert» ne veut pas dire «savant» : être expert, ça peut simplement vouloir dire bien se connaître face à la maladie, comprendre la nature de ses choix et bien pouvoir les exprimer.
L’idée du «patient expert», c’est d’ailleurs un nouveau champ d’exploration pratique et théorique pour les facultés de médecine, qui leur ouvrent actuellement les portes, afin qu’il contribue à tous les niveaux aux activités médicales, de la planification à la formation des futurs médecins en passant par la recherche, la communication et l’accompagnement.
Ainsi, à l’Université de Montréal où j’enseigne, des dizaines de «patients experts» sont déjà bien intégrés aux activités de la faculté, ce qui donne un sens tout à fait novateur à l’idée qu’il faut que les patients participent davantage à leurs soins.
Dans ce cas, il s’agit même de participer à la formation des médecins, une idée qui est loin d’être banale. On y a même créé une direction dédiée à ces partenariats :
«La Direction collaboration et partenariat patient (DCPP), qui relève du vice-décanat au développement continu des compétences professionnelles, a pour principal objectif d’orchestrer une transformation profonde de la philosophie et des modèles de soins et services à partir d’une vision innovante du partenariat qui lie le patient et les intervenants de la santé dans le cadre du processus de soins.»
Au Comité facultaire des patients, 12 membres permanents travaillent ensemble aux meilleures stratégies pour développer de nouveaux rôles pour les patients dans notre système de santé. Personnellement, je trouve cela fascinant.
On peut faire nettement mieux
Et c’est surtout beaucoup mieux que ce que nous faisons actuellement, alors que de rares patients siègent sur certains de nos comités hospitaliers, comme «représentants des patients».
Pour que cette stratégie soit fructueuse, il faut viser plus large, en intégrant plusieurs patients et en mettant en place, comme dans le projet du docteur Boivin, un cadre propice à l’échange constructif — ce qui permet d’amener de vraies réflexions pour résoudre de vrais problèmes. Cela me donne plein d’idées pour la gestion de notre urgence.
Et pourquoi ne pas commencer par utiliser aussi les médias sociaux, comme à Roberval, où un groupe Facebook aurait permis de proposer des solutions pour améliorer le séjour l’urgence des patients — des propositions que la direction de l’hôpital aurait bien reçues. C’est un début !
Au fait, nous sommes en période électorale, période où les patients peuvent bien entendu voter, comme tout le monde. Le docteur Boivin me disait toutefois, avec beaucoup d’à propos, que «la participation du public en santé devrait pouvoir s’exprimer plus fréquemment qu’à travers le bulletin de vote.»
Alors que s’élèvera bientôt la clameur des promesses en santé, je ne peux qu’être pleinement d’accord avec lui. Patients, manifestez-vous !
(1) Boivin et coll.: Involving patients in setting priorities for healthcare improvement: a cluster randomized trial. Implementation Science 2014 9:24.
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À propos d’Alain Vadeboncœur
Le docteur Alain Vadeboncoeur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, il enseigne l’administration de la santé et participe régulièrement à des recherches sur le système de santé. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter : @Vadeboncoeur_Al.
Dr Vadeboncœur, on a besoin de quelqu’un comme vous à la tête du ministère de la santé!
Vous êtes bien gentil mais ça tombe mal, je ne suis pas candidat. 🙂
Bonjour Dr Vadeboncoeur, de quelle façon pouvons nous (les patients) nous manifester? Serez-vous présent les 3-4 avril prochain à la Conférence nationale pour vaincre le cancer? Merci de votre opinion si bien présentée.
C’est une bonne question. En en parlant, d’abord. En demandant aux établissements de santé d’être mieux représentés. En faisant modifier la législation pour impliquer davantage les patients. En informant votre médecin. Bref, en vous manifestant!