Et si votre épicerie vous incitait à mieux manger ?

Plus les aliments sains sont offerts, plus les consommateurs ont tendance à en acheter. Une récente étude qui le prouve pourrait inciter les experts en santé publique à s’intéresser de près aux rayons des supermarchés.

Noel Hendrickson / Getty Images

La nutritionniste Marie Le Bouthillier est titulaire d’une maîtrise en recherche marketing et termine actuellement un doctorat en nutrition à l’Université Laval. Elle agit notamment comme consultante auprès d’entreprises du domaine de l’alimentation pour vulgariser la science de la nutrition et les aider à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits.

Qui n’a jamais acheté une barre de chocolat parce qu’elle se trouvait directement au niveau des yeux, près de la caisse ? Si les friandises sont à cet endroit où les gens font la file, et les céréales sucrées à portée de main des enfants assis dans les chariots, ce n’est pas par hasard. En épicerie, l’emplacement des produits est pensé de manière à optimiser les ventes.

La technique permettant d’influencer les consommateurs a même un nom : l’architecture des choix. Dans les épiceries, on expérimente avec différents facteurs pour en vérifier l’effet sur les achats des clients : produits offerts, façon de les présenter sur les étagères, hauteur de certains produits par rapport à d’autres, etc.

Le professeur d’économie Richard H. Thaler, de l’Université de Chicago, et le professeur de droit Cass R. Sunstein, de l’Université Harvard, ont déjà écrit en 2008 que cette technique pourrait être utilisée pour contribuer, à grande échelle, à améliorer la santé de la population. Il restait toutefois à prouver qu’une plus grande présence de produits sains sur les étagères d’une épicerie entraînerait un changement de comportement des clients. Et c’est justement ce que viennent de confirmer les chercheuses Carmen Piernas, Georgina Harmer et Susan A. Jebb, de l’Université d’Oxford, après avoir observé les achats des consommateurs devant quatre différentes stratégies d’architecture des choix. 

L’étude s’est déroulée en collaboration avec trois grandes chaînes de supermarchés au Royaume-Uni, pour un total de plus de 500 magasins dispersés dans tout le pays et couvrant des quartiers aux situations socioéconomiques diverses. Avec une combinaison de magasins choisis pour des interventions d’une durée de trois à huit mois et de magasins sans intervention, c’est-à-dire un groupe témoin, des données sur les ventes ont été collectées de janvier 2018 à janvier 2020. Cette méthodologie a permis aux chercheurs de prouver, pour la première fois et à grande échelle, cette hypothèse.  

Les stratégies utilisées dans l’étude 

Stratégie 1 – Offre : Augmenter l’offre d’aliments sains par rapport aux aliments moins sains, soit en ajoutant de nouveaux produits santé à côté d’options moins santé, soit en faisant varier la proportion d’aliments sains et non sains déjà en rayon. Par exemple, les auteurs ont mis des frites à teneur réduite en matières grasses à côté de frites ordinaires, alors qu’auparavant, seules les ordinaires étaient proposées. 

Stratégie 2 – Emplacement : Modifier l’emplacement des produits, c’est-à-dire placer les produits plus sains à la hauteur des yeux et les produits moins sains à des endroits moins visibles. Tous les produits sont à la portée des consommateurs, mais les moins santé sont désavantagés. Par exemple, les auteurs ont mis les céréales à déjeuner riches en fibres au niveau des yeux, et déplacé les autres céréales ailleurs sur l’étagère. 

Stratégie 3 – Promotion : Utiliser des promotions, c’est-à-dire réduire le prix des produits plus sains ou associer les produits santé à des personnages connus (par exemple, installer des affiches avec des personnages de Disney autour du présentoir à fruits et légumes).

Stratégie 4 – Étiquetage : Indiquer aux consommateurs les produits les plus sains, à l’aide d’étiquettes sur les rayons. Par exemple, désigner les boissons à faible teneur en sucre ou sans sucre, au lieu de les laisser sans information.

Chaque stratégie a été appliquée à une catégorie de produits précise : la stratégie 1 à des frites et des biscuits, la stratégie 2 à des céréales à déjeuner, la stratégie 3 à des fruits et légumes et à des haricots cuits, et la stratégie 4 à des boissons ordinaires non alcoolisées. 

Et la gagnante est…

La stratégie 1, qui consiste à augmenter l’offre d’aliments plus sains, a été associée à une hausse notable des ventes de ces produits. En effet, pendant la période d’étude, la vente de frites surgelées ordinaires a baissé de 14 % en valeur monétaire dans les magasins où des options réduites en gras étaient proposées. Dans les magasins témoins, la vente de frites ordinaires a plutôt augmenté de 8 %, une différence statistiquement significative par rapport aux commerces avec la stratégie.

Dans les magasins avec interventions, les auteurs ont observé une diminution de 23 % du nombre de sacs de frites surgelées ordinaires vendus hebdomadairement, laquelle a été compensée par la vente de frites à teneur réduite en gras de la même marque. Dans les autres magasins, les ventes de cette marque de frites surgelées ordinaires étaient restées quasiment stables. 

L’effet de la stratégie 3 a été fort, mais de courte durée. Les clients ont acheté davantage pendant les premiers mois de la promotion ou de la réduction de prix, mais les ventes sont revenues aux mêmes niveaux qu’en l’absence d’interventions de deux à trois mois plus tard, même avec la poursuite de la stratégie.  

Les stratégies 2 et 4, pour leur part, n’ont eu aucun effet notable sur le comportement des consommateurs.  

Éclairer les politiques publiques

Cette étude fournit d’importantes preuves que les stratégies d’architecture des choix peuvent influencer la santé de la population, plus particulièrement lorsque l’on fait varier l’offre de certains aliments en épicerie. Ces résultats pourraient bien sûr intéresser de nombreux organismes de santé publique et paliers de gouvernement, étant donné le fardeau économique croissant de l’obésité et du surpoids au Québec. Pour les auteurs de l’étude, les autorités pourraient certainement devenir de nouveaux architectes des choix chargés d’assurer une meilleure offre de produits sur les étagères des épiceries.

Mais une stratégie encore plus efficace, croient les chercheurs, serait de ne pas placer les produits riches en gras, en sucre et en sel en tête de rayon, ce qu’ils n’ont pas eu le loisir de tester dans cette étude.

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