L’autrice est psychiatre à Victoria, professeure agrégée de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique et journaliste indépendante.
Être gentil et faire plaisir aux autres — bien qu’il s’agisse de traits de personnalité socialement applaudis et généralement reconnus comme positifs — peuvent en fait nuire à notre santé, affirme Gabor Maté.
Des décennies de recherche aboutissent à la même conclusion : repousser notre colère, faire passer le devoir et les besoins des autres avant les nôtres et s’efforcer de ne pas décevoir autrui sont les principales causes des maladies chroniques, soutient l’auteur de l’essai The Myth of Normal : Trauma, Illness and Healing in a Toxic Culture.
« Notre physiologie est inséparable de notre existence sociale », explique le médecin de Vancouver. Ignorer ou refouler ce que nous ressentons et ce dont nous avons besoin — que cela se fasse consciemment ou inconsciemment — active notre réponse au stress, poussant notre corps vers l’inflammation, au détriment de notre système immunitaire, dit-il.
« Si nous travaillons comme des forçats, si nous sommes debout toute la nuit pour servir nos clients, si nous sommes toujours disponibles, sans jamais prendre de temps pour nous, nous sommes récompensés financièrement et nous suscitons beaucoup de respect et d’admiration, note Gabor Maté. Mais nous nous tuons à petit feu. »
Des signes qui ne mentent pas
Lorsque le spécialiste a passé en revue les recherches sur les maladies chroniques qu’il soignait depuis plus de 30 ans, il a découvert des traits de personnalité récurrents chez les gens atteints de ces maux :
- Préoccupation automatique et compulsive pour les besoins émotionnels des autres, tout en ignorant ses propres besoins ;
- Identification rigide au rôle social, au devoir et à la responsabilité ;
- Responsabilité excessive, axée sur l’extérieur, fondée sur la conviction que l’on doit justifier son existence par l’action et le don ;
- Répression d’une colère saine et autoprotectrice ;
- Entretien de deux croyances et leur mise en pratique de manière compulsive : je suis responsable de ce que ressentent les autres et je ne dois jamais décevoir quiconque.
« La raison pour laquelle ces caractéristiques et leur prévalence frappante dans la personnalité des malades chroniques sont si souvent négligées, voire totalement ignorées », est qu’elles font partie des « manières d’être les plus normalisées dans notre culture… principalement parce qu’elles sont considérées comme des forces admirables plutôt que comme des boulets potentiels », explique Gabor Maté.
Ces caractéristiques n’ont rien à voir avec la volonté ou avec un choix conscient, affirme le médecin.
« Personne ne se réveille le matin en se disant : “Aujourd’hui, je vais faire passer les besoins du monde entier en premier, sans tenir compte des miens.” Ou : “J’ai hâte d’étouffer ma colère et ma frustration et d’afficher un visage heureux.” » Nous ne sommes pas nés avec ces traits de caractère. Il s’agit plutôt de mécanismes d’adaptation visant à préserver notre lien avec les autres, parfois au détriment de notre propre vie, prévient-il.
Nous acquérons ces traits pour être acceptés, dans ce que Gabor Maté décrit comme une lutte acharnée entre nos besoins concurrents d’attachement et d’authenticité. Nous avons besoin d’attachement pour survivre, car nous sommes une espèce tribale qui recherche le lien, nous conformant aux besoins et aux règles des autres pour garantir notre appartenance à des groupes.
Les émotions négatives sont utiles
Mais nous avons également besoin d’authenticité pour rester en bonne santé. Nous sommes conçus pour ressentir et agir en fonction de nos émotions, en particulier les émotions « négatives ». C’est notre système d’alarme pour survivre au danger. Le psychiatre Randolph Nesse, directeur fondateur du Centre for Evolution and Medicine de l’Université d’État de l’Arizona, explique que nous avons évolué pour survivre, pas pour être heureux ou calmes.
La mauvaise humeur, la colère, la honte, l’anxiété, la culpabilité et le chagrin sont des réactions utiles qui nous aident à relever les défis de nos environnements particuliers. Le fait d’avoir des émotions qui déclenchent des alarmes lorsque nous sommes menacés, moyens de protection bruyants et sensibles, n’est pas un défaut de conception. C’est un succès de conception.
Selon Randolph Nesse, nos émotions agissent comme des détecteurs de fumée en fonction des menaces perçues autour de nous. Cela semble évident dans le cas de sentiments comme la peur, qui nous préviennent du danger. Mais des expériences émotionnelles encore plus subtiles nous aident à gérer les menaces et les récompenses, pour notre survie. L’inconfort d’une humeur dépressive nous indique que notre environnement n’offre pas suffisamment de récompenses pour contrebalancer les risques auxquels nous sommes exposés, ce qui nous incite à rechercher des situations plus gratifiantes ou à conserver notre énergie dans un endroit sûr — comme un lit où l’on regarde compulsivement Netflix — jusqu’à ce que les récompenses reviennent.
La colère est également une réponse nécessaire pour lutter contre les inégalités, les violations diverses et le blocage de nos besoins. C’est notre outil le plus efficace pour mobiliser les énergies contre l’injustice. Le plus grand obstacle à la justice sociale n’est pas une opposition passionnée, mais l’apathie. Et pourtant, la société a enseigné à beaucoup d’entre nous à supprimer la colère. Même le ressentiment, cette forme vilipendée et plus discrète de la colère, est utile. Lorsque notre corps et notre cerveau perçoivent des signaux subtils indiquant que nos limites ne sont pas respectées, l’alarme du ressentiment crie haut et fort qu’il faut affirmer ces limites avant même que nous ayons le temps de réfléchir à la situation.
Pourtant, la nécessité de rester membres de nos groupes nous a conduits à supprimer ces signaux émotionnels vitaux, ce qui a désarmé notre capacité à nous protéger, explique Gabor Maté. Non seulement nous ne recevons pas les signaux qui nous avertissent des dangers immédiats, mais nous ne pouvons pas non plus nous prémunir contre les méfaits du stress chronique, dit-il. « Si vous êtes stressé sans le savoir, il n’y a pas grand-chose à faire pour éviter les conséquences physiologiques à long terme », dit le médecin.
Réprimer ses émotions nuit à la santé
Ce qui est encore plus problématique, selon Gabor Maté, c’est que la suppression consciente des émotions accentue notre réponse au stress et entraîne des conséquences néfastes sur la santé. « Nous savons que le stress chronique, quelle que soit sa source, met le système nerveux à rude épreuve, déforme l’appareil hormonal, nuit à l’immunité, favorise l’inflammation et mine le bien-être physique et mental », explique-t-il. Et de nombreuses études montrent qu’un corps bloqué dans une réponse de stress chronique demeure dans un état d’inflammation, précurseur de nombreuses maladies chroniques telles que les maladies cardiaques, le cancer, les maladies auto-immunes, l’alzheimer, la dépression et bien d’autres, poursuit l’expert.
Et pourtant, dès le plus jeune âge, la société récompense la suppression de nos émotions et de nos besoins dans la conformité, la complaisance et le conformisme. L’enfant va comprendre que le fait d’exprimer trop de colère, par exemple, menace l’attachement qui le lie à ses parents, dit Gabor Maté. « Pour survivre, l’enfant va apprendre à réprimer sa colère pour être acceptable aux yeux de ses parents. Ainsi, il vit une tension fondamentale entre l’attachement, c’est-à-dire la relation avec ses parents, et son vrai moi, soit l’authenticité, le contact avec ses émotions. »
Le Dr Maté prend bien soin de ne pas considérer les gens comme responsables de leur maladie. « Personne n’est sa maladie, et personne ne se l’est infligée — pas dans un sens conscient, délibéré ou coupable, dit-il. La maladie est le résultat de générations de souffrance, de conditions sociales, de conditionnements culturels, de traumatismes infantiles, d’une physiologie subissant le poids du stress et de l’histoire émotionnelle des gens, le tout en interaction avec l’environnement physique et psychologique. Il s’agit souvent de manifestations de traits de personnalité profondément ancrés, certes — mais cette personnalité n’est pas ce que nous sommes, pas plus que ne le sont les maladies auxquelles elle peut nous prédisposer. »
Notre personnalité et nos façons de nous adapter reflètent les besoins du groupe social plus large dans lequel nous nous développons, explique Gabor Maté. « Les rôles qui nous sont attribués ou refusés, la manière dont nous nous insérons dans la société ou en sommes exclus et le regard que notre culture nous porte à avoir sur nous-mêmes déterminent en grande partie la santé dont nous jouissons ou les maladies qui nous accablent. » Selon lui, la maladie et la santé sont des manifestations de notre macrocosme social.
Il n’est donc pas surprenant que les inégalités de la société affectent profondément notre santé, les personnes les plus privées de pouvoir politique ou de droits économiques étant obligées de façonner ou de supprimer leurs émotions et leurs besoins viscéraux pour survivre, selon le Dr Maté. Cela signifie qu’un changement systémique visant à lutter contre les inégalités et à mettre l’accent sur la justice sociale est le fondement de l’amélioration de notre santé, un fil conducteur dans The Myth of Normal.
Parallèlement, nous pouvons nous efforcer de désapprendre ces habitudes comportementales en prenant davantage conscience de nos émotions, des signaux que nous envoie notre corps et de nos besoins, plutôt que de les ignorer automatiquement en ne pensant qu’aux autres.
« La personnalité est une adaptation, dit Gabor Maté. Ce que nous appelons la personnalité est souvent un enchevêtrement de traits authentiques et de mécanismes d’adaptation conditionnés, dont certains ne reflètent pas du tout notre véritable moi, mais plutôt la perte de celui-ci. »
Le spécialiste décrit la guérison comme le fait de s’ouvrir aux vérités de nos vies, passées et présentes. « Après une bonne prise de conscience, des choix réels s’offrent à nous avant que nous trahissions nos véritables désirs et besoins, dit-il. Il se peut que nous soyons maintenant capables de faire une pause et de nous dire : “Hmm, je me rends compte que je suis sur le point d’étouffer ce sentiment ou cette pensée — est-ce vraiment ce que je veux faire ? Y a-t-il une autre option ?”
« L’émergence de nouveaux choix à la place des anciennes dynamiques préprogrammées est un signe infaillible du retour en ligne de notre moi authentique. »
La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur Healthy Debate, sous licence Creative Commons.
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La colère gronde de plus en plus fort! Il faudrait bien s’en occuper!
J’ai beaucoup aimé ce texte qui correspond entièrement avec ma conception de la santé. J’aurais aimé que l’auteur fournisse également de l’information sur l’expression de la colère et autres émotions, malheureusement dites négatives, pour ne pas que celles-ci nous grugent de l’intérieur.
Tout le monde parle de « Gestion de la colère ». Je pense que la colère ne doit pas être gérée!!! C’est comme ça qu’on la refoule! Elle doit, comme toutes les autres émotions, être exprimée, pour soi-même par soi-même, pour se faire du bien et sans faire de mal à personne, comme le disais feu le Dr Daniel Dufour avec sa technique OGE.
Nous avons appris à exprimer la joie et toutes les émotions dites positives alors pourquoi ne pas nous apprendre à exprimer correctement les émotions dites « négatives » plutôt que nous montrer à refouler les émotions dites négatives : » C’est pas beau la colère, surtout pour une femme!!! » On est encore bien loin de l’égalité!
Si on veut vraiment améliorer la santé des gens sur le long terme, j’estime que notre système de santé (Oups! on devrait dire plutôt système de maladie) devrait beaucoup plus se préoccuper de cette question qui est majeure. La non expression de la colère peut conduire des gens à poser des gestes extrêmement négatif. On le voit partout dans les médias et plus on en montre plus il y en aura, ça fait boule de neige! Il faut s’en inquiéter!
La prévention bien en amont de la maladie, avec l’accès gratuit dès le jeune âge aux professionnels tels que psychologues, travailleurs sociaux, massothérapeutes, ostéopathe, etc., autres que médecins, infirmières et avocats, pourrait être une solution. Les résultats ne seraient pas immédiats mais on y gagnerait tous.
Cela permettrait, en plus d’aider les gens à être plus heureux, de réaliser beaucoup d’économies car ces professionnels coûtent beaucoup moins cher que les médecins et les hôpitaux ne seraient pas remplis à craquer de gens qui sont souvent malades parce que leur corps n’arrive pas à vivre avec tout ce stress accumulé. Tout le monde y gagnerait et aurait un « Break » : citoyens, système de santé (qui porterait vraiment bien son nom) et système de justice, incluant les avocats et les policiers.
La colère gronde de plus en plus fort! Il faudrait bien s’en occuper!
Le stress implique-t-il vraiment un potentiel inflammatoire si important? En réponse au stress, l’organisme sécrète le cortisol -un stéroïde- qui est un anti-inflammatoire.