Comprendre les cancers chez le chien bénéficie aux humains

Le chien peut être atteint spontanément de cancers qui ressemblent aux nôtres. Des traitements efficaces pour lui pourraient ainsi donner de bons résultats pour nous.

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Audrey Rousseau est professeure d’anatomie pathologique à l’Université d’Angers et Marie-Anne Colle est directrice de l’Unité mixte de recherche PAnTher à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Du poisson-zèbre au primate non humain, les chercheurs se tournent parfois vers des animaux dits « modèles » pour étudier certaines maladies humaines. Ce qui pose nombre de questions, éthiques mais aussi médicales : les rats ou souris de laboratoire sont-ils de bons modèles ? Un nouveau médicament efficace chez les rongeurs ne le sera pas nécessairement chez notre espèce… en tout cas pas aux mêmes doses ni sous la même forme.

D’où la pertinence de s’intéresser à des modèles plus grands, littéralement, tel le chien.

Le chien partage avec l’humain son environnement, mais aussi des caractéristiques génétiques. Le génome canin, c’est-à-dire l’ensemble de ses gènes, est entièrement connu depuis 2005. L’analyse, effectuée sur une chienne de race boxer, y a trouvé un peu moins de 20 000 gènes sur les 78 chromosomes répartis en 38 paires de chromosomes autosomiques (non sexuels) et une paire de chromosomes sexuels (X et Y). L’espèce humaine en compterait, elle, 23 000 pour 23 paires de chromosomes.

Pourquoi s’intéresser au génome du chien ? La faute à l’humain… En effet, en sélectionnant plus de 350 races de chiens pour la chasse, le gardiennage de troupeaux, la défense, le secourisme, l’assistance aux personnes ou tout simplement comme animal de compagnie, nous avons également sélectionné des gènes responsables de maladies. Aussi un grand nombre de races de chiens présentent une susceptibilité accrue à des maladies génétiques complexes comme les cancers.

Et comme pour nous, les altérations de son génome peuvent avoir des conséquences sur sa santé. Or, sur les 500 maladies génétiques qui peuvent l’affecter, la moitié sont analogues à celles qui nous touchent. Le chien peut ainsi en théorie être un bon modèle… Au point de jouer un rôle majeur dans l’identification de nouveaux gènes ou la mise au point de traitements innovants ? C’est ce que nous allons développer ici.

Quels cancers retrouve-t-on chez le chien ?

Animal de compagnie apprécié (même si le chat l’a récemment détrôné), le chien fait l’objet d’un suivi médical avancé. Les données recueillies montrent qu’il peut être atteint spontanément de maladies analogues à celles qui nous frappent : maladies cardiovasculaires, auto-immunes, neurologiques, etc. Ce qui est un atout par rapport aux souris par exemple, chez lesquelles elles sont souvent induites artificiellement et ne reflètent que très partiellement les maladies humaines.

Le cancer fait partie de ces maux qui affectent nos compagnons. De 25 % à 30 % des chiens domestiques seront en effet un jour atteints d’une tumeur maligne. Les plus fréquents sont les cancers de la peau tels que le mastocytome ou le mélanome, le cancer de la glande mammaire chez la femelle et le lymphome, soit le cancer des nœuds lymphatiques — qui sont tous également décrits au sein de notre espèce.

Certains cancers sont plus fréquents chez des races données : cancer de la glande mammaire chez le doberman ou tumeur du cerveau chez les races brachycéphales (chiens à nez court : boxer, bouledogue, carlin, etc.).

Au microscope, les cellules malignes des tumeurs canines et humaines se ressemblent beaucoup. Les similitudes existent aussi sur le plan génétique : les mêmes chromosomes ou les mêmes gènes peuvent être endommagés. Récemment, l’analyse comparée du génome d’un mélanome rare et mal caractérisé chez l’humain (mélanome muqueux) et du mélanome buccal chez le chien, beaucoup plus fréquent, a permis la découverte d’anomalies génétiques similaires entre les deux espèces. Cette découverte pourrait aider à trouver de nouveaux traitements pour l’un comme pour l’autre.

Ce qui est cancérigène pour nous l’est aussi pour notre compagnon

Un autre avantage du chien en matière de santé est qu’il partage notre environnement : le même lieu de vie, l’exposition aux mêmes agents chimiques, le même stress et, jusqu’à il y a peu, la même alimentation.

Les chiens de fumeurs en sont malheureusement un bel exemple. Fumer une cigarette expose son animal à 4 000 substances chimiques, dont une cinquantaine sont cancérigènes. Il peut s’intoxiquer directement par inhalation de la fumée de cigarette ou bien par le dépôt sur son pelage de substances nocives dérivées du tabac et secondairement ingérées.

La suite est une affaire de museau. Les races à museau long (colley, berger des Shetland, etc.) risqueront d’être atteintes d’un cancer du nez ou des sinus, car les particules cancérigènes resteront piégées dans le nez de l’animal. Les races à museau court ou aplati (bouledogue, pékinois, carlin, etc.), dépourvues de filtre nasal, verront les particules cancérigènes s’accumuler dans leurs poumons, ce qui pourra provoquer un cancer pulmonaire.

L’exposition aux toxiques environnementaux est évaluable chez le chien grâce à des colliers spéciaux qui captent les particules nocives, lesquelles peuvent être secondairement étudiées. Là encore, les analyses du côté du chien peuvent contribuer à une meilleure compréhension des cancers humains.

Les particularités du génome canin

L’intérêt pour les cancers canins a fait un bond après le séquençage du génome du chien, il y a une quinzaine d’années.

Sa « lecture » complète a montré une étonnante homogénéité, qui découle de la forte consanguinité au sein des races. D’une génération à l’autre, il n’y a donc que très peu de brassage des gènes, du fait des croisements prévus pour respecter les critères de chaque race. À l’opposé, les vagues migratoires et les divers flux de populations humaines ont facilité d’importants brassages et ont abouti à une population hétérogène au niveau mondial, composée d’individus très différents.

En faisant se reproduire entre eux les animaux d’une même race pour fixer des caractéristiques physiques, les éleveurs ont ainsi imposé une épuration de nombreux gènes. Mais la couleur des poils ou la taille n’ont pas été les seuls traits sélectionnés : la prédisposition à certaines maladies génétiques, dont les cancers, l’a également été.

Presque toutes les races de chiens sont atteintes de maladies génétiques. Ces maladies ont souvent une fréquence supérieure à celle observée chez l’humain, et elles peuvent toucher jusqu’à 10 % des animaux au sein de certaines races. Le chien représente ainsi un modèle unique pour l’étude de maladies spontanées d’origine génétique.

Mais ce n’est pas tout. L’homogénéité de son génome permet également de repérer plus facilement les gènes en cause.

Étudier une maladie monogénique (due à un seul gène anormal) demande 20 chiens malades et 20 chiens témoins (sains). Pour une maladie complexe, multifactorielle, telle que le cancer, quelques centaines d’animaux sont nécessaires — chez l’humain, plusieurs milliers de patients et de sujets témoins sont requis.

Un bénéfice pour tous

Ces chiffres soulignent tout l’intérêt du chien pour décrypter les bases génétiques de maladies rares et/ou complexes chez l’humain.

Ce concept de « chien-patient » bénéficie d’abord au chien par la mise au point de tests génétiques, voire de thérapies, efficaces, et à l’humain par la mise en place d’essais précliniques étudiant l’efficacité des traitements proposés… chez le chien.

Par ailleurs, l’espérance de vie de nos compagnons étant plus courte, les cancers apparaissent et donnent des métastases plus tôt chez eux, ce qui permet d’apprécier rapidement l’efficacité d’un nouveau médicament. De plus, l’adaptation ultérieure des doses à notre espèce est facilitée par leur taille plus grande que celle des rongeurs.

Cette approche repose sur une étroite collaboration entre chercheurs, vétérinaires, médecins et généticiens. Les données acquises lors des différentes études croisées peuvent ensuite être appliquées aux maladies humaines homologues, avec un intérêt direct pour les deux espèces.

Selon le concept « One Health » (une seule santé), garantir la santé de l’humain implique de protéger celles de l’animal et des écosystèmes. Dans ce contexte d’interdépendance, nos animaux de compagnie offrent un miroir de notre santé globale. Le chien est le meilleur ami des humains à plus d’un titre.

Cet article est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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