Depuis que le monde de la santé est ce qu’il est et qu’on se pose autant de questions quotidiennes sur les soins, on observe grosso modo deux écoles de pensée : celle de « faire plus » et celle de « faire mieux ». La première demande plus de ressources et la seconde, une amélioration de la gestion. Bien sûr, ce n’est pas mutuellement exclusif. Notez en passant qu’on n’a jamais vu une école où l’objectif avoué est de « faire pire ».
On connaît aussi de nombreuses variantes, comme le trop fameux « faire plus avec moins », revenu périodiquement au fil des aléas budgétaires. Le meilleur exemple de cela fut sûrement quand, dans les années 1990, le Dr Jean Rochon, brillant ministre de la Santé, opérait un virage ambulatoire bienvenu pendant que son gouvernement virait de l’autre bord vers le déficit zéro — inutile de dire que ça crissait passablement (je parle des pneus).
Une autre version en est le lean, l’idée de « faire maigre », qui a connu un fort engouement ces dernières décennies. J’ai d’ailleurs côtoyé dans ma vie des gens très fréquentables — j’ai même milité avec eux — qui tenaient ce lean pour rien de moins que le diable en personne. Apparu durant les années 1980, le concept vise globalement à appliquer au public certaines recettes controversées issues du privé.
Mes fréquentations n’avaient pas tort, dans la mesure où l’objectif est alors souvent de presser le citron — faire plus — pour voir jaillir la substantifique limonade organisationnelle, chaque goutte étant ensuite soigneusement mesurée, parfois sans trop se soucier de l’avenir des citrons.
À ces façons de « faire maigre » succède régulièrement, comme après un régime prolongé, le non moins populaire — ou populiste — réinvestissement, qui consiste à remettre ce qui a été enlevé quand ce qui restait ne suffisait plus. Peut-être pour nous rappeler le trop bon vieux temps où on investissait vraiment, qui remonte à quelques décennies déjà.
Continuer son petit bonhomme de chemin comme d’habitude ne peut être suffisant, même avec plus de ressources, parce que les vastes défis actuels sont sans précédent.
Au cours de mes 30 années passées à travailler dans les hôpitaux, j’y ai appris deux ou trois autres choses, notamment qu’on peut toujours faire mieux, et pas qu’un peu quand on se donne réellement.
Parce qu’il est effectivement possible de mieux gérer, mieux organiser, mieux coordonner et même améliorer les soins sans pour autant les dénaturer, ce qui s’applique aussi à la relation avec les patients. Pourvu qu’on investisse en même temps dans le changement, un double défi pour les organisations amaigries, mais qui en vaut la peine.
J’ai également observé maintes fois une certaine opposition de principe entre les tenants du « faire mieux » et ceux qui répondent qu’avec plus de moyens, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles — ce dont il m’arrive de douter.
Sauf que voilà, durant ces 30 années, l’univers de la santé s’est aussi métamorphosé, comme tout le reste de la société : les patients ont vieilli, les maladies chroniques ont explosé, la médecine a profondément changé, les technologies n’ont pas fini de nous surprendre et les soignants ne sont plus — et ne seront plus jamais — les mêmes.
Dans ce contexte, continuer son petit bonhomme de chemin comme d’habitude ne peut être suffisant, même avec plus de ressources, parce que les vastes défis actuels sont sans précédent. Et parce que les solutions ne se trouvent plus dans le passé, mais plutôt dans un avenir encore incertain.
Même si l’argent se remettait à couler à flots, nous ne disposerons probablement jamais plus des ressources humaines abondantes de jadis. Nous sommes au contraire condamnés, comme pour bien d’autres secteurs de la société, à un régime minceur de ce côté.
Vu l’ampleur et la complexité des défis, il nous faut donc réussir à transformer les façons de faire, pour améliorer la manière d’organiser et de prodiguer les soins, ce qui est tout sauf une mince tâche.
Et on pourra y arriver seulement si toutes les personnes qui souhaitent que le réseau progresse travaillent main dans la main — ce qui inclut le ministre Christian Dubé, les syndicats, les gestionnaires, les professionnels, les médecins, le personnel, les patients eux-mêmes et la population.
Tout ce beau monde qui est condamné à examiner conjointement les tâches à accomplir, à appliquer les solutions maintenant bien connues, et ce, pour de bon, pour le mieux — espère-t-on du moins.
Il s’agit de s’investir à fond, jusqu’à ce que le paquebot de la santé retrouve enfin la marée haute — ce qui signifie au bas mot 10 années de travail acharné. Non pour faire plus avec moins, ça, jamais plus, on l’espère, mais plus avec mieux. De toute manière, ça peut difficilement être pire, n’est-ce pas ?
Cette chronique a été publiée dans le numéro de juin 2023 de L’actualité.
Comme société nous devrions nous poser une question: Quels sont les soins essentiels à la santé? Aussi, nous devrions miser massivement en prévention. Comme l’exige les enjeux climatiques, là aussi consommer moins, travailler moins et vivre plus heureux aiderait à la santé publique. Je suis vieille et me rappelle que dans ma petite ville de province avec peu de ressources en soins mėdicaux, les gens vivaient tout de même en santé et vieillissait jusqu’à des âges raisonnables. Sortons de ce consumérisme en santé. Mourir, nous y viendrons tous et toutes et vivre jusqu’à 95 ans en perte d’autonomie, il n’y a rien de glorieux dans cette situation. La simplicité et la sobriété nous devons y retourner. Dans quel monde d’enflure vivons-nous ?
Bien d’accord avec vos deux affirmations d’entrée: il faut appliquer les soins essentiels (ceux qui fonctionnent vraiment) et miser sur la prévention. Nous faisons assez mal les deux. La première idée rejoint celle de la pertinence des soins, un champ en plein essor dans lequel je suis impliqué, et le second a toujours constitué le parent pauvre de la médecine, malgré son efficacité. Deux chantiers pour les 20 prochaines années. 😉 Merci pour le commentaire!
Au début des années 80, j’ai fait dans un grand hôpital universitaire d’une autre approche japonaise, les cercles de qualité. C’est une méthode toute simple et rationnelle où les employés d’un secteur analysent ensemble le problème de travail qui les brime le plus, en trouvent les causes et proposent eux-mêmes les solutions les plus utiles et faisables. Cela marchait très bien que de faire ainsi résoudre à la base un oroblème important. J’ai quitté cet emploi et n’ai pu poursuivre l’exoérience. Mais c’était efficace, pas lean ni faire plus avec moins. Oublié?
Lorsque j’entends dans 10 ans….
Pendant la pandémie , j’ai dû retarder deux opérations prévues: cataractes et prothèse complète du genou droi.
Ce changement fut obligatoire puisque j’ai eu le cancer de l’intestin chimiothérapie réclamant deux protocoles de recherches.Mon œil gauche pendant ce temps déclinait plus que mon œil droit.
Je ne pouvais plus lire. J’ai reçu ma prothèse mais pour la physio par manque de personnel j’ai dû la défrayer à la maison.
Je ne pense pas en dizaine d’années…je pense à aujourd’hui, maintenant ,j’ai 75 ans.
Je veux vivre chez-moi.
Aide à domicile manque de personnel et ces services coûtent une fortune.
Nous sommes d’une génération qui ne veut pas déranger.
À quoi doit-on espérer avant de demander AMM.
C’est désespérant ce que nous entendons.
Les objectifs pour ne pas nous détruire avec ce que nous prévoyons pour notre planète et ses écosystèmes sont reportés…pourtant la science parle.Nous continuons à faire la sourde oreille.
C’est aujourd’hui et maintenant que nous avons besoin….
À quand??