La laitue romaine inspire la plus grande méfiance, alors que les États-Unis connaissent une éclosion d’infections à E. coli possiblement liée à la consommation de cette salade. Et ce, quelques mois après que l’est du Canada a été frappé par une éclosion similaire. Y a-t-il quelque chose de spécial dans la romaine qui la rend particulièrement dangereuse ?
En 2013, des chercheurs des Centers for Disease Control and Prevention américains ont publié une étude très poussée, dans laquelle ils ont compilé toutes les notifications de maladies, hospitalisations et décès aux États-Unis dus à des micro-organismes présents dans la nourriture de 1998 à 2008, et tenté d’en trouver les causes. C’est la dernière grande enquête dont on dispose à ce sujet.
Environ 48 millions d’Américains, soit une personne sur six, tombent malades chaque année à cause d’un virus, d’une bactérie ou d’un parasite présent dans un aliment, selon les CDC. Au Canada, une personne sur huit y goûterait aussi chaque année, selon Santé Canada. La plupart des cas ne sont pas strictement recensés, car les gens les moins malades ne consultent pas.
L’analyse des chercheurs américains a porté sur les 9,5 millions de cas repérés, en moyenne, par an. Plus de la moitié sont causés par des virus qui ont contaminé la nourriture, alors que les différentes souches d’E. coli pathogènes provoquent 200 000 maladies par an et 21 décès.
Selon l’analyse des CDC, les légumes feuilles sont, de très loin, principalement en cause dans les maladies associées aux 13 000 éclosions survenues durant cette période. À eux seuls, ces légumes — surtout les laitues, verdures et épinards — ont causé le cinquième des maladies. Les produits laitiers, pour leur part, sont les premiers à l’origine des hospitalisations, juste devant les légumes feuilles, alors que les décès sont surtout causés par la consommation de volailles. Le poulet et la dinde contaminés par des Listerias ou salmonelles tuent en moyenne 260 personnes par an.
En 2011, les États-Unis ont resserré les règles sur la salubrité dans les fermes et usines de transformation et sur l’eau d’irrigation au moyen du Food Safety Modernization Act. Mais ces nouvelles règles viennent tout juste d’entrer en vigueur, et les petits producteurs ont encore deux ans avant de s’y conformer.
La région de Yuma, en Arizona, montrée du doigt
Tous les légumes feuilles peuvent être contaminés dans les champs. Des études ont montré que les bactéries E. coli et les salmonelles, qui peuvent être présentes dans des amendements à base de fumier ou dans l’eau d’irrigation, peuvent survivre à la surface du légume du stade de la semence jusqu’à celui de la plante prête à être récoltée. On sait aussi que les périodes de sécheresse accroissent le risque de contamination. Or, en hiver, 90 % des laitues consommées aux États-Unis, et une très grande partie de celles consommées au Canada, proviennent de la région de Yuma, au sud de l’Arizona, qui a justement connu une sécheresse intense en février dernier.
Pas étonnant que l’enquête de la Food and Drug Administration ait lié l’éclosion actuelle à une ferme de Yuma, qui s’est avérée être l’unique productrice des laitues romaines qui ont intoxiqué plusieurs personnes dans un pénitencier de l’Alaska. La plupart des cas recensés (121 personnes dans 25 États au dernier bilan), cependant, n’ont pas été reliés à cette ferme.
Cependant, les autorités n’ont pas encore trouvé à quel moment, précisément, la bactérie E. coli est entrée en contact avec les laitues de cette ferme, car la saison est désormais terminée. Impossible aussi de savoir si d’autres fermes étaient concernées. Par ailleurs, les enquêteurs n’ont trouvé aucun lien entre les produits de cette ferme et les autres malades. Bref, les chances qu’on trouve le ou les coupable(s) de cette éclosion semblent bien minces !
Les autorités canadiennes n’ont pas eu plus de chance avec les 42 cas d’infections à E. coli, dont un décès, repérés dans l’est du pays en novembre et décembre derniers. Les malades avaient en commun d’avoir mangé de la romaine, mais les analyses n’ont pas permis de trouver la source de la contamination. La même souche d’E. coli a été retrouvée aux États-Unis, où les 25 personnes touchées — une est décédée — avaient mangé des légumes feuilles, dont, mais pas seulement, de la romaine.
Dans les dernières années, les éclosions d’E. coli liées à des légumes feuilles ont été causées autant par la laitue romaine que par des épinards et des mélanges de salades.
Outre leur possible contamination dans les champs, plusieurs autres éléments pourraient expliquer pourquoi ces légumes sont fréquemment incriminés.
Faut-il bouder la romaine ?
D’une part, ils font l’objet de beaucoup de manipulations : le découpage, l’ensachage, le mélange avec d’autres légumes feuilles. Tout cela accroît le risque qu’une contamination se produise, à partir de la machinerie ou des mains mal lavées d’un employé, et qu’elle se répande à grande échelle.
D’autre part, le fait que ces aliments soient souvent offerts en version prêt-à-manger n’aide pas : même s’il est inscrit sur les emballages de laver le contenu, consommateurs et restaurateurs ne suivent certainement pas tous et toujours cette consigne. Les légumes feuilles sont aussi mangés le plus souvent crus, ce qui ne permet pas à la cuisson d’assainir ces aliments (alors que la salmonelle, par exemple, ne résiste pas à la cuisson du poulet).
Ensuite, il faut bien comprendre que les Nord-Américains mangent en moyenne plus de cinq kilos de laitue par an et par personne, ce qui représente donc un très grand nombre de repas, car les légumes feuilles ne constituent souvent qu’une petite partie de l’assiette. Un petit carré de romaine dans le fond d’un hamburger, ça ne pèse pas lourd ! Mais pour peu qu’il soit particulièrement contaminé et que la personne qui le mange ait un système immunitaire affaibli, cela peut suffire à la rendre malade.
En raison de tout cela, enquêter sur une éclosion provoquée par un légume feuille est particulièrement difficile, ce qui rend les enquêtes longues. Les consommateurs et les médecins sont donc sensibilisés à ce risque pendant une longue période de temps, ce qui fait qu’ils sont plus vigilants… et qu’on trouve donc plus de cas.
Au final, faut-il bouder la romaine ? Pas nécessairement. Ne pas en consommer quand les autorités le conseillent paraît sensé : il y a tant d’autres aliments dans les épiceries qu’il serait idiot de faire exprès de courir un risque !
L’Agence de la santé publique du Canada donne une série de conseils pour minimiser les risques. Les plus importants ? Laver systématiquement les légumes feuilles en les passant sous l’eau du robinet (inutile de mettre un quelconque détergent) et laver les contenants dans lesquels on les a conservés ainsi que les ustensiles utilisés pour les préparer avant de les réutiliser pour autre chose, même s’ils n’ont pas l’air sale. Ne vous fiez pas seulement à votre nez ou à vos yeux : la bactérie E. coli est invisible, inodore, et ne donne pas de goût particulier aux aliments.
Vous voulez limiter encore plus les risques ? Plusieurs légumes feuilles sont faciles à cultiver dans un potager maison. Les laitues aiment particulièrement la fraîcheur du printemps et poussent bien à la mi-ombre. Vous bénéficierez ainsi de légumes plus frais, moins manipulés (et moins chers !). Ce qui ne dispense toutefois pas de bien les laver avant consommation, car la terre contient toutes sortes de micro-organismes potentiellement pathogènes.
Bon jardinage !
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