Faut-il avoir peur… de la poussière?

La poussière de nos maisons renferme toute une variété de particules et de résidus pas toujours sympathiques. Mais avant de vous jeter sur votre aspirateur, lisez ceci!

Photo: iStockPhoto
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Tapie sous le canapé, la poussière de nos maisons contiendrait de multiples produits chimiques dangereux qui nous exposeraient à une kyrielle de maladies, peut-on lire un peu partout ces jours-ci, à la suite de la publication d’une étude de la chercheuse américaine Ami Zota dans la revue Environmental Science & Technology. Mais avant de se jeter sur son aspirateur, quelques précisions s’imposent.

La poussière des maisons est l’un des «vecteurs» par lesquels on s’expose à son environnement. Sans même s’en rendre compte, on passe sa vie à inhaler des particules en suspension dans l’air. On en ingère aussi de petites quantités, tandis que d’autres se déposent sur la peau. Les jeunes enfants qui jouent par terre, touchent à tout et mangent avec les doigts s’exposent à des quantités plus importantes que les adultes.

Contrairement à une idée reçue, la poussière des maisons n’est pas constituée majoritairement de squames de peau de leurs occupants. Elle renferme plutôt toute une variété de particules et de résidus, dont la composition dépend à la fois du lieu de résidence, de l’équipement de la maison et des habitudes de vie.

Une partie importante de la poussière (plus de la moitié, selon une étude menée en Arizona) provient de l’environnement extérieur et pénètre dans la maison par les ouvertures ou la semelle de nos chaussures: on y trouve par exemple des fragments de terre, de béton ou d’asphalte, des pollens, des résidus de pneus, des particules émises par les gaz d’échappement des véhicules ou des usines, des pesticides, du sable des déserts ou de la cendre des volcans transportés par voie aérienne; bref, de petits bouts de tout ce qui nous entoure!

Le reste de la poussière vient des activités intérieures: les particules issues du système de chauffage, de la cuisson des aliments ou de la fumée de tabac, des fragments de moisissures, d’insectes ou d’acariens, les fameuses squames de peau, les poils des animaux domestiques et tous les microrésidus, fibres et molécules semi-volatiles qui se détachent de la structure de la maison et des équipements et objets qui s’y trouvent au fur et à mesure qu’ils s’usent.

Sans surprise, on trouve donc dans la poussière, parmi bien d’autres choses, des traces des produits chimiques industriels qui entrent dans la composition des milliers d’objets présents dans une maison, du gel douche au téléviseur en passant par les tapis, les jouets, les stylos ou les casseroles. Le contraire aurait été surprenant!


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Ces dernières années, de nombreux chercheurs ont analysé la poussière à la recherche de certains contaminants jugés particulièrement inquiétants. Entre 2007 et 2010, par exemple, Santé Canada a mené une vaste enquête sur la teneur en plomb de la poussière domestique dans les maisons au Canada, pour vérifier si ce contaminant jadis largement utilisé dans la peinture et dans l’essence y était encore présent (la réponse est oui, mais pas partout…).

Ami Zota, professeure de santé environnementale à l’Université George Washington, à Washington, a pour sa part mené une méta-analyse de 27 études conduites sur le territoire américain qui s’étaient attardées à cinq grandes classes de contaminants chimiques susceptibles de se trouver dans la poussière: les phtalates, les retardateurs de flamme, les phénols (bisphénol, parabènes…), les perfluorés et les parfums.

On en parle beaucoup, car ces produits sont devenus de véritables épouvantails dans la presse populaire. Pourtant, leur toxicité fait l’objet d’innombrables débats sur le plan scientifique, car elle n’est pas facile à démontrer (contrairement à celle du plomb, qui ne fait plus aucun doute). Plusieurs de ces produits ont été jugés dommageables seulement dans des études animales ou à des doses des milliers de fois supérieures à celles auxquelles on s’expose. Certains ont cependant été interdits ou ont fait l’objet de limitations dans les quantités pouvant se trouver dans des objets (par exemple les jouets ou les biberons).

Au total, les 27 études analysées par Ami Zota ont rapporté la présence de 172 contaminants différents de ce type dans la poussière. Mais la compilation a permis d’établir que seulement 10 produits étaient présents dans la quasi-totalité des échantillons. En tête viennent les phtalates, présents en bien plus grandes quantités que les quatre autres classes de produits analysés.

La chercheuse a ensuite estimé quelles quantités de produits présents dans cette poussière pourraient être absorbées par une femme adulte et un enfant de trois à six ans (par inhalation, ingestion ou contact). Elle en a déduit que la poussière est une source non négligeable d’exposition à un retardateur de flamme, le TCEP, ainsi qu’à quatre phtalates.

Tout cela peut sembler bien inquiétant, mais plusieurs éléments devraient nous rassurer.

D’abord, rien n’indique que les quantités de ces contaminants trouvés dans la poussière soient suffisantes pour causer quelque problème de santé que ce soit. Les allergènes qu’on y trouve (pollens ou débris d’acariens, par exemple) pourraient être beaucoup plus dangereux!


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En 2013, une étude danoise menée auprès de 400 enfants de trois à six ans pour estimer leur exposition aux phtalates à la maison et à la garderie avait ainsi conclu que moins de 10 % de la dose de ces produits qu’ils absorbent par voie cutanée, par inhalation ou ingestion provient de l’air intérieur ou de la poussière. Ce qu’ils mangent et les objets qu’ils touchent ou portent à leur bouche ont une incidence bien plus importante que la poussière!

D’autre part, les mesures de la concentration en phtalates ou en bisphénol que l’on trouve dans le corps humain ne sont pas elles-mêmes si inquiétantes, comme le montre notamment l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé menée tous les deux ans par Santé Canada depuis 2007, et dont un bilan a été publié l’an dernier.

Les 5 700 Canadiens échantillonnés pour cette enquête ont en moyenne une concentration de 7,5 à 44 microgrammes de l’un ou l’autre des phtalates par litre d’urine, soit bien moins que les seuils jugés toxiques, de 610 à 31 000 microgrammes par litre (µg/l), selon les produits. Même chose pour le bisphénol A (1,2 µg/l pour un seuil de sécurité de 1000 µg/l). Même si les normes se resserrent, on a un peu de marge… En passant, les contaminants jugés les plus inquiétants par Santé Canada ne sont pas tous ces produits chimiques dont on parle beaucoup, mais plutôt l’arsenic et le cadmium, deux métaux provenant de sources naturelles ou industrielles que l’on absorbe entre autres par l’eau, l’air, le tabac ou certains légumes.

Quoi qu’elle renferme, la poussière joue indéniablement un rôle dans la qualité de l’air intérieur, dont on sait qu’il est souvent beaucoup plus pollué que celui qu’on respire dehors. En plus de la poussière, on peut y trouver des gaz nocifs, comme du monoxyde de carbone, de l’ozone ou du radon, ainsi que les composés organiques volatils émis par la maison et les objets que celle-ci renferme. Un bon coup d’aspirateur est très efficace pour diminuer la concentration de poussière… mais il ne dispense pas de suivre les autres consignes de santé (aérer régulièrement ou surveiller l’humidité, par exemple) pour garder un air sain à l’intérieur!