
Les sels d’aluminium présents dans certains déodorants peuvent-ils favoriser le cancer du sein? Une nouvelle étude publiée dans l’International Journal of Cancer relance la controverse, même si rien n’indique jusqu’à présent qu’il y ait là un réel danger.
Au Canada, on trouve dans les magasins trois catégories de produits destinés à mater les odeurs sous les aisselles: des déodorants (aussi improprement appelés désodorisants, un anglicisme) et des antisudorifiques, qui sont considérés comme des cosmétiques dans la Loi sur les aliments et drogues, ainsi que certains antisudorifiques considérés comme des médicaments.
L’odeur de transpiration que tous tentent de combattre est due à la présence sous les aisselles de glandes sudoripares particulières, qui sécrètent de la sueur dite «apocrine» contenant diverses molécules (lipides, protéines) absentes de la sueur secrétée presque partout ailleurs sur le corps. Les bactéries vivant sur la peau des aisselles transforment ces molécules et engendrent ainsi la typique et impopulaire odeur.
Déodorants et antisudorifiques n’agissent pas de la même manière.
Les déodorants peuvent combiner plusieurs modes d’action. Ils peuvent masquer l’odeur par d’autres molécules odorantes, limiter la quantité de sueur accessible aux bactéries en l’absorbant avec, par exemple, du talc, ou bien tuer les bactéries avec, par exemple, de l’alcool. Ou une combinaison de tout ça.
Les antisudorifiques, eux, agissent en plus sur la production de sueur. Ils contiennent des sels d’aluminium ou, dans une moindre mesure, des sels de zirconium, qui font se contracter les glandes sudoripares et bloquent l’excrétion de la sueur. Santé Canada distingue deux types d’antisudorifiques.
Ceux qui contiennent des concentrations de sels d’aluminium inférieures à certains seuils, dont l’effet disparaît en 24 heures ou moins, sont considérés comme de banals cosmétiques.
Ceux qui en contiennent plus, qui promettent une protection prolongée au-delà de 24 heures ou sont censés lutter contre l’hyperhidrose (une sudation anormalement élevée qui toucherait environ 3 % de la population) doivent être approuvés comme des médicaments sur la base d’études plus poussées que pour les cosmétiques.
Dernière précision: la pierre d’alun que l’on trouve dans les antisudorifiques dits «naturels» est un sel d’aluminium comme les autres, qui n’a aucune raison d’être moins toxique que les sels de synthèse.
À lire aussi:
Faut-il avoir peur… de bousiller son microbiome?
Au départ, l’idée que l’aluminium des antisudorifiques puisse causer le cancer était une rumeur basée sur rien d’autre que des spéculations: certaines personnes se sont imaginé que le fait qu’environ la moitié des cancers du sein se déclarent dans le quart du sein situé le plus près de l’aisselle, que les sels d’aluminium bloquent l’excrétion de «toxines» par la sueur et que l’aluminium soit soupçonné, à tort ou à raison, de toutes sortes d’effets nocifs sur la santé indiquait forcément qu’il y avait là une source cachée de maladie. Simple supposition!
De nombreuses études se sont intéressées à cette question depuis le début des années 2000 et ont conclu à l’innocuité des sels d’aluminium présents dans les antisudorifiques, faute d’une quelconque preuve de danger. Selon la Société canadienne du cancer, dont l’avis rejoint celui des autres autorités dans le monde, aucune des innombrables études sur les facteurs de risque de cancer du sein n’a jamais relié cette maladie à l’emploi d’antisudorifiques.
Qu’environ la moitié des cancers du sein soient situés près de l’aisselle s’explique plutôt par le fait que c’est cette partie du sein qui contient le plus de cellules mammaires, explique-t-elle.
Par ailleurs, bloquer l’excrétion de sueur sous les aisselles n’a pas grand effet sur l’élimination des fameuses toxines, dont le corps se débarrasse plutôt par le travail du foie et des reins. La sueur sert avant tout à faire baisser la température corporelle.
Les effets toxiques de l’aluminium ont tous été observés après une forte exposition chronique à des doses bien supérieures à celles auxquelles on s’expose quotidiennement par l’alimentation, les cosmétiques, certains médicaments comme des antiacides ou l’eau du robinet. On a cru un temps que l’aluminium pouvait engendrer la maladie d’Alzheimer, mais on n’a jamais pu démontrer un quelconque lien entre les deux.
L’étude qui relance le débat a été menée par l’oncologue suisse André-Pascal Sappino et le biologiste Stefano Mandriota. En 2012, ces chercheurs avaient montré que des cellules mammaires humaines mises en culture in vitro et exposées à de faibles quantités de sels d’aluminium subissaient une modification génétique.
Cette fois, ils ont exposé des cellules mammaires de souris à des quantités de sels d’aluminium semblables à celles que l’on trouverait typiquement dans les cellules mammaires de femmes utilisant des antisudorifiques. Puis ils ont injecté ces cellules mammaires exposées à l’aluminium sous la peau de trois lignées de souris utilisées pour la recherche sur le cancer, qui ont la caractéristique d’être plus ou moins immunodéficientes (ce qui fait qu’elles résistent peu aux cancers). Ils ont aussi injecté des cellules mammaires non exposées à l’aluminium à d’autres animaux des mêmes lignées.
Bilan: des tumeurs et métastases se sont mises à apparaître chez les souris ayant reçu les cellules exposées à l’aluminium, alors que parmi celles qui avaient reçu des cellules mammaires non exposées à l’aluminium, seule la lignée la plus immunodéficiente a été atteinte de cancers.
Ce résultat peut paraître inquiétant, et les auteurs de l’étude appellent à la plus grande prudence.
Cependant, il y a un monde entre cette expérience et ce qui se passe vraiment sous les bras d’une femme, ou d’un homme, qui utilise régulièrement des antisudorifiques. Tout ce qu’on observe sur des souris de laboratoire ne s’applique pas nécessairement à l’humain! En laboratoire, par exemple, bien des substances réussissent à débarrasser des rongeurs de cancers dans des études dites pré-cliniques. Or, au grand désespoir des chercheurs, la plupart d’entre elles n’ont pas cet effet chez les humains…
Cette étude suffira-t-elle à relancer véritablement la recherche sur les dangers des antisudorifiques? Ce n’est pas certain du tout. Pour l’instant, plusieurs chercheurs se sont montrés plutôt sceptiques devant la «preuve» avancée par leurs collègues suisses, jugée très indirecte. Une seule étude ne suffit d’ailleurs jamais à affirmer quoi que ce soit, surtout pas sur un sujet maintes fois étudié. Le débat n’est cependant pas complètement clos.
Que faire dans l’immédiat? D’abord, se rassurer: si les antisudorifiques représentaient un risque significatif de cancer du sein, on l’aurait sans aucun doute déjà observé dans les nombreuses études épidémiologiques menées jusqu’à présent. Au pire, le risque n’est peut-être pas complètement nul, mais s’il existe, il risque fort d’être très très minime!
Il y a donc peu de chances qu’il justifie de renoncer à son antisudorifique préféré, au nom du principe de précaution. Ceci dit, on peut aussi très bien vivre en utilisant un simple déodorant pour les aisselles… ou rien du tout!
« Désodorisant » n’est pas un anglicisme. C’est plutôt « déodorant » — qui s’écrit de la même façon en anglais —, qui l’était jusqu’à ce qu’il soit accepté comme néologisme. «Désodorisant » désigne un produit qui sert à masquer ou à éliminer les odeurs d’un lieu. Merci pour l’article. Très intéressant.
Je ne trust pas les déodorant
L’unique produit que j’utilise depuis plusieurs années pour appliquer sous les aisselles est la lotion après-rasage Aqua Velva. Ça rafraichit et ça sent très bon. Petit détails, je n’ai jamais rasé les poils des aisselles. Aussi, ça coute moins cher que les produits en bâton ou autres et c’est sans risque.
Merci pour cet article qui tente de rester objectif ! J’ai moi même fait pas mal de recherche sur la question car je souffre d’hyperhidrose des aisselles (transpiration excessive). Je n’aime pas trop utiliser des molécules chimiques qui bloquent les fonctions naturelles du corps. J’ai fini par résoudre mon problème de sueur et d’auréoles sous les bras en découvrant les tshirt laulas qui évitent l’apparition de transpiration sous les bras. La philosophie de ce tshirt suisse est de laisser couler ! Et en effet grâce à cela je n’utilise plus qu’un déodorant naturel contre les odeurs. Par principe de précaution je ne veut pas me tartiner d’anti-transpirants sur la peau…