
La Commission de l’écofiscalité du Canada, formée d’un groupe d’économistes indépendants, a récemment proposé de ceinturer Montréal de péages sur les ponts pour diminuer la congestion routière. Cette annonce a provoqué une levée de boucliers parmi les automobilistes, qui y voient une nouvelle taxe déguisée.
Dans l’imaginaire populaire, un péage évoque encore les longues files devant des cahutes où un préposé ou une machine quelconque réclame petite monnaie ou carte de crédit sans qu’on sache trop où s’en va cet argent. Mais il existe des moyens beaucoup plus modernes et efficaces de procéder, de manière que toute la population, automobilistes y compris, y gagne.
Avant de crier au scandale contre ce remède hautement impopulaire, analysons donc la maladie.
La congestion routière est, pour une région, l’équivalent d’un problème cardiaque. Elle se répand sournoisement jusqu’à devenir de plus en plus invivable.
Elle dépend d’une multitude de facteurs. Pour diagnostiquer ce qui se passe, la méthode la plus courante consiste à réaliser des enquêtes «origine-destination», dans lesquelles on demande à un très grand nombre de gens où et comment ils se déplacent chaque jour.
Montréal se livre à cette démarche tous les cinq ans depuis 1970. Son dernier bilan a confirmé un pronostic assez sombre.
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Environ 188 000 personnes représentatives des 4,2 millions d’habitants de Montréal et de sa région ont été interrogées sur leurs déplacements à l’heure de pointe du matin entre septembre et décembre 2013. Le questionnaire a été conçu et analysé en collaboration avec des chercheurs de l’École polytechnique de Montréal.
De 2008 à 2013, la population de la région a augmenté de 5 % et le nombre total de voitures de 11 %. Le vieillissement de la population, l’urbanisation et le déplacement des secteurs d’activité ont aussi contribué à modifier les habitudes.
Résultat: à l’heure de pointe du matin, les habitants de la région sont de plus en plus nombreux à devoir se déplacer. Comparativement à 2008, le nombre de déplacements en transports motorisés a augmenté de 11 %.
La part du transport collectif est restée stable, alors que le nombre de déplacements en voiture a crû de 15 %. On peut en déduire que les autorités responsables des transports en commun n’ont pas réussi à rendre ceux-ci suffisamment pratiques, confortables et abordables pour qu’ils attirent des automobilistes.
L’évolution des entraves à la circulation, elle, est plus difficile à quantifier. Mais les grands chantiers qui ont déjà commencé laissent entrevoir des années pénibles.
Reconstruire l’échangeur Turcot et le pont Champlain revient pour ainsi dire à réaliser un double pontage alors que le malade a déjà un taux de cholestérol et une pression artérielle très inquiétants. Même si ces travaux sont nécessaires, le malade en souffrira.
Les automobilistes s’imaginent souvent que des militants écologistes sont derrière ces inquiétudes sur la congestion, mais ce sont les économistes qui s’en inquiètent le plus.
Les gens coincés dans les embouteillages perdent un temps fou à ne rien faire d’autre que de maudire la ville entière et à imaginer toutes sortes de ruses pour s’en sortir, le plus souvent en vain. Ils perdent du temps à se déplacer et peinent à planifier efficacement leurs déplacements, arrivant en avance ou en retard à la maison, au travail ou à l’aéroport puisque la congestion rend le moindre accident de parcours susceptible de blocages conséquents.
La congestion nuit aux entreprises, dont les marchandises et les travailleurs se retrouvent coincés sur les routes. Elle les incite à aller s’installer ailleurs.
Les études chiffrent en milliards de dollars ces conséquences économiques.
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La congestion a aussi de nombreuses répercussions sur l’environnement et la santé. Les voitures forcées de rouler au ralenti ou en accordéon émettent plus de gaz à effet de serre par kilomètre parcouru qu’à une vitesse fluide, et elles s’usent plus rapidement. Elles produisent plus de particules et d’autres polluants qui rendent plus malades les asthmatiques ou les cardiaques. Le stress des embouteillages nuit aussi à la santé des conducteurs, qui ont moins de temps à consacrer à leur famille, aux loisirs et au sommeil. Tous ces petits désagréments, multipliés par le nombre de personnes touchées, finissent par en faire un gros problème de santé publique.
De nombreuses stratégies ont déjà été testées dans le monde pour lutter contre la congestion. La réussite du «traitement» dépend elle aussi de nombreux facteurs et rien ne prouve qu’un remède qui a marché à un endroit fonctionnera à un autre.
On sait en revanche que la solution a priori la plus évidente, qui consiste à agrandir le réseau routier, ne fonctionne pas. Plus on fait de place aux voitures, plus elles en prennent, et la congestion soulagée temporairement finit toujours par revenir, impliquant de plus en plus de véhicules sur de plus en plus d’espace.
On sait aussi que les solutions efficaces ont en commun de faire payer les automobilistes qui participent à la congestion pour les dissuader de prendre leur voiture quand et là où ça fait mal.
Au Québec comme dans le reste de l’Amérique du Nord et dans une bonne partie du monde, les automobilistes ne paient qu’une toute petite fraction des dépenses publiques occasionnées par les déplacements en voiture.
Les taxes sur l’essence, les droits d’immatriculation et les frais de stationnement ne compensent pas les coûts liés à la congestion, à la construction et à l’entretien des routes, au traitement des maladies et à la dégradation de l’environnement et des bâtiments associés à la pollution et à l’étalement urbain.
Globalement, la société subventionne donc massivement l’usage de l’automobile. Logique, car ce mode de déplacement donne une fantastique liberté de mouvement à tout un chacun. Mais quand la congestion rend les gens prisonniers de ce système plutôt que de les affranchir de contraintes, on doit corriger le tir.
Dans son rapport, la Commission de l’écofiscalité du Canada examine en détail cinq stratégies qui pourraient, selon elle, servir de modèle pour lutter contre la congestion à Montréal, Toronto et Vancouver.
Pour Montréal, compte tenu des caractéristiques du réseau routier, de la population et de la géographie, elle suggère de tester le principe de la «tarification fondée sur les zones», autrement dit des péages, pour lequel a notamment opté la ville de Stockholm.
Elle explique comment concevoir un bon péage anticongestion.
D’abord, les revenus doivent servir à lutter contre la congestion, c’est-à-dire principalement à améliorer le transport en commun pour offrir une solution de rechange aux automobilistes.
Rien à voir, donc, avec le péage envisagé sur le pont Champlain par le gouvernement Harper, qui visait plutôt à financer cette infrastructure.
Ensuite, il ne doit pas déplacer le mal. Si une seule voie d’accès vers Montréal était tarifée, les autres connaîtraient rapidement une congestion accrue. D’où la nécessité d’un «cordon», dans le jargon des spécialistes. Sur une île, des péages sur les ponts peuvent très bien jouer ce rôle.
Un bon péage, enfin, doit s’appuyer sur des données fiables et tirer parti des progrès technologiques pour minimiser les tracas.
Il faut faire en sorte que des tarifs variables ne pénalisent pas les automobilistes qui ne participent pas à la congestion, parce qu’ils se déplacent à d’autres heures ou dans d’autres directions.
Des technologies fiables et éprouvées doivent aussi aider à fluidifier le trafic en évitant aux automobilistes de s’arrêter pour payer leur dû. Il existe de multiples modèles de transpondeurs à installer à bord des véhicules ou de systèmes de lecture de plaques d’immatriculation que l’on peut coupler à des modalités pratiques de paiement par facture ou débit automatique.
De même qu’il ne sert à rien de prescrire des médicaments à une personne qui ne veut pas les prendre, le traitement de la congestion doit être bien présenté à ceux qu’il vise.
Dans son rapport, la Commission de l’écofiscalité insiste lourdement sur la nécessité de bien planifier cette intervention et d’avancer en douceur.
En résumé, cafouillages et cachotteries n’ont aucune place dans ce processus. Au contraire, il faut d’abord bien expliquer à la population pourquoi on doit lutter contre la congestion et comment on entend le faire. Il faut ensuite implanter graduellement les mesures, avec des projets-pilotes bien évalués. On peut commencer par imposer des tarifs très bas, et ajuster le traitement au besoin. Puis communiquer les résultats.
Bref, faire les choses comme Montréal ne les a pas faites avec ce fameux «flushgate».
Tout cela exigera beaucoup de doigté de la part des politiciens et des autorités de transports, qui devront affronter des réactions épidermiques de certaines personnes.
Espérons qu’ils sauront y opposer un discours éclairant et rassembleur, mais ferme.
La Commission de l’écofiscalité leur a montré l’exemple. Dans son rapport, elle est très claire sur la gravité de la congestion, mais elle présente ce cordon de péages comme une option à discuter et à tester avant d’aller plus loin.
Les Montréalais ont tout à gagner à l’écouter. Car, au final, même si personne n’aime changer ses habitudes, Montréal moins étouffée par les embouteillages serait beaucoup plus agréable à vivre pour tous!
Une question pour poursuivre le débat: si vous faites partie de ceux qui se retrouvent régulièrement dans des bouchons, combien accepteriez-vous de payer pour y passer 15 minutes de moins par jour?
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Il aurait été intéressant de traiter du transport de marchandise dans votre article qui est lui aussi un facteur contributif très important à la cogestion depuis que le transport par wagon à diminué au Canada.
tout d’abord personne ne parle du problem principal qui n’est pas le traffic mais le lieu de travail ! pourquoi le Quebec continue de promouvoir l’ile de montreal au détriment des banlieus ? pourquoi faire expres de générer encore plus de trafic quand il y a d’autres solutions plus economiques ?
aussi pourquoi il n’est pas fait mention d’obligations pour les entreprises ? par exemple, obliger les entreprises a offrir du télétravail a tous les postes le permettant ? pourquoi taper sur le travailleur et non sur l’employeur ? imaginez si tous les postes de bureaux se font de la maison, disons 3 jours sur 5, on reduirait le traffic de maniere significative. Telus vise d’Avoir 70% du travail fait a distance, bel objectif qqui permet d’avoir plus de temps pour sa vie.
finalement… cela fait quoi… 20 ans? que l’on promet un meilleur transport en commun. et il y a rien. partir de sainte Julie quand on travaille a montreal nord ou dans l’est prends 3h par jour en transport en commun. cela n’a pas changé depuis 20 ans… les seules solutions envisagées de transport collectif ne font que rallonger le temps de déplacement, il faudrait 20 a 30minutes (de plus par jour) en train qu’en bus pour aller en ville.
alors quand on demande combien etes vous pret a payer pour faire le trajet en 15 minutes de moins,quand il sera demontré que cela me prendra 15min de moins et pas 30 minutes de plus…
À mon avis ,le problème principal est que le pont Champlain est usé à la corde et qu’ il faut en construire un autre! Alors quand bien même on changerait le modèle travail; ça prendrait quand même un pont n’ est-ce pas? Juste pour les autres là qui ne vivent pas là, là et pour la livraison là sur l’ île là !!
Personnellement je serais favorable à l’implantation de péages sur toutes les autoroutes du québec pour financer la construction de ce projet : http://www.trensquebec.qc.ca/
Vous posez la mauvaise question.
Personne ne croira que les péages vont diminuer l’attente. On ne croit plus aux promesses. Surtout si on doit payer d’abord et que l’argent s’en va va dans le fonds commun du gouvernement…
Pour que la congestion diminue il n’y a qu’une solution: augmenter considérablement l’offre de transport en commun.
Quand les gens vont réaliser que leur trajet prend 15 minutes de moins en transport en commun, ils vont laisser tomber l’auto avec ses coûts et ses frustrations.
Pourquoi croyez-vous que le transport en commun est aussi populaire en Europe?
Par ce que le transport collectif est rapide, efficace et très accessible.
Si la technologie permet aujourd’hui aux compagnies d’assurances-automobile de suivre les comportements du conducteur, on pourrait faire de même pour la tarification selon le kilométrage et les destinations, et taxer en conséquence. Pourquoi se contenter de mesures transitoires alors que l’on peut déjà s’offrir une méthode pratique et susceptible d’être adaptée dans l’avenir aux comportements des publics cibles ? À cela il faudrait appliquer une taxe sur le carbone, qui est une solution universelle et équitable. Le système retenu par le Québec, celui du marché du carbone, peut fonctionner mais il m’inquiète en ce qui concerne le Québec, parce que nos gouvernements successifs ont amplement démontré par le passé leur extrême sensibilité aux pressions des lobbyiste et leur inclination à se plier à leurs demandes. D’ailleurs, c’est déjà commencé: les producteurs d’aluminium demandent d’être exemptés ou épargnés, alors que le prix du carbone est à peine douloureux.
Pourquoi avoir peur du péage? C’ est tout à fait logique! Dans l’ histoire le péage existe depuis des lunes! Il y a seulement au Québec que le péage devrait être réparti sur l’ ensemble de la population dont les 7/8 ne passeront jamais sur ce pont!!!!!!!!!!!!!!!
La gestion du changement sera beaucoup plus efficace si le gouvernement commence à améliorer le transport en commun AVANT d’installer les péages. Qu’il démontre enfin sa volonté à doter la grande région métropolitaine d’un réseau de transport en commun pratique, confortable et abordable – comme vous le dites – et à utiliser l’argent des péages uniquement pour ce développement. Qu’il investisse donc d’abord et se rembourse ensuite !