Faut-il avoir peur… du plastique dans les océans ?

Des millions de tonnes de plastique s’accumulent dans les océans, au péril de l’écosystème marin. 

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On entend de plus en plus parler de la pollution des océans par du plastique, mais faut-il réellement s’en inquiéter? On ne connaît pas précisément les quantités exactes de plastique que contiennent les océans. Chose certaine, c’est énorme. En 2015, des chercheurs ont calculé, en compilant de nombreuses données, que de 4,8 à 12,7 millions de tonnes de plastique sont déversées dans les océans chaque année. Pour vous donner une idée, c’est environ l’équivalent en poids de 800 000 000 de bouteilles d’eau en plastique par jour qui terminent leur vie dans les mers du globe.

Depuis les années 1960, la production de plastique a augmenté exponentiellement dans le monde, étant passée de 15 millions de tonnes en 1964 à environ 320 millions de tonnes par an aujourd’hui. Malgré les améliorations apportées à la gestion des déchets, les quantités déversées dans les océans n’ont cessé d’augmenter année après année. Presque tout le plastique que l’on retrouve en mer est d’origine terrestre: il n’a pas été largué par des bateaux, mais s’est déversé principalement par le truchement des cours d’eau et des égouts. Comme les plastiques sont très peu biodégradables, ils s’accumulent au fil du temps dans les océans: la quasi-totalité des résidus qu’on a largués en mer depuis l’invention des matières plastiques y sont encore!

En 2016, un rapport de la fondation Ellen MacArthur, présenté au Forum économique de Davos, estimait que d’ici 2050 la production mondiale de plastique pourrait quadrupler. Si rien n’est fait pour diminuer les rejets, il y aurait alors plus de plastique que de poissons dans les océans.

Les scientifiques ont commencé à étudier l’effet du plastique sur le milieu marin dans les années 1960. Ils se sont d’abord intéressés à ce qui était le plus évident: l’impact des déchets visibles à l’œil nu — flottant à la surface ou déversés sur les plages — sur les animaux marins, particulièrement les tortues, les mammifères et les oiseaux.

Dans les années 1980 déjà, de nombreuses études avaient montré que les déchets pouvaient entraîner la mort des animaux. Certains restent pris dans des amas de déchets flottants, comme des filets de pêche, puis se noient, sont blessés par ces objets ou deviennent des cibles faciles pour les prédateurs. D’autres ingèrent les déchets et s’étouffent, ou les débris forment peu à peu un bouchon dans leur tube digestif et finissent aussi par les tuer. En 1997, on avait la preuve que le plastique affectait des représentants de 267 espèces marines. En 2015, on était rendu à 690 espèces touchées (et étudiées).

Par la suite, on a observé que les morceaux de plastique menacent aussi l’équilibre des écosystèmes marins, car ils servent de support à la croissance de toutes sortes d’organismes, des coquillages aux bactéries en passant par les algues, qui peuvent ainsi être transportés sur de grandes distances. Ces débris facilitent donc le déplacement d’espèces susceptibles de devenir invasives. Le biofilm de micro-organismes qui se forme à la surface des déchets de plastique peut aussi transporter des contaminants chimiques d’un bout à l’autre de la planète.

Dans les dernières années, les économistes se sont mis de la partie et ont examiné d’autres répercussions du plastique en mer. Ils ont notamment évalué les pertes pour l’industrie de la pêche (diminution des populations de poissons dans certaines régions particulièrement polluées, temps passé à séparer les récoltes des déchets et à nettoyer les filets…) ainsi que les coûts associés au nettoyage régulier des plages, une activité rendue nécessaire pour que la population et les touristes puissent encore jouir du bord de mer sans baigner littéralement dans des tas de déchets.

En 2014, le Programme des Nations unies pour l’environnement estimait à 13 milliards de dollars par an le coût global de la pollution des océans par les déchets de plastique.

C’est sans compter sur une nouvelle menace à laquelle les chercheurs ont commencé à s’intéresser au tournant des années 2000, quand ils ont découvert qu’une partie du plastique présent dans les océans était… invisible. Il se présente sous la forme de «microplastique», formé de petites particules de quelques millimètres tout au plus et parfois bien moins. Dans les dernières années, on a retrouvé des microbilles de plastique à de multiples endroits dans les eaux du monde, y compris, par exemple, dans le Saint-Laurent. Les quantités sont infimes, de l’ordre du nanogramme par litre, à la limite du seuil de détection des appareils de mesure, mais la contamination semble omniprésente.

Pour l’instant, on n’a qu’une très vague idée de la dangerosité de ces particules, qui n’ont pas les mêmes répercussions que les déchets plus gros.

Du fait de leur toute petite taille et de leur omniprésence, elles risquent d’être ingérées par la plupart des animaux marins, même les plus petits, et de s’accumuler dans leurs organismes. Or, bien des plastiques contiennent des additifs potentiellement toxiques, comme des perturbateurs endocriniens, qui pourraient avoir de nombreux effets pernicieux, par exemple sur les capacités de reproduction des espèces.

La plupart des animaux semblent survivre à cette contamination. Mais dans quel état, et pour combien de temps si les concentrations continuent d’augmenter? Quel sera l’effet cumulé sur les prédateurs, y compris sur les humains? Quelles autres surprises nous réserve cette contamination? On nage encore dans l’inconnu. Seule certitude: le problème ne peut qu’empirer, et rapidement, si on ne fait rien.

On en est à essayer d’estimer les quantités qui se retrouvent dans les eaux du globe et à tenter de trouver d’où elles proviennent. Et les nouvelles ne sont pas rassurantes.

Selon les études réalisées en 2014 et 2015, il y aurait actuellement de 100 000 à 300 000 tonnes de microplastique flottant à la surface des océans. On ne sait pas quelle quantité a pu couler progressivement dans les profondeurs.

On commence tout juste à comprendre d’où viennent toutes ces particules. On en distingue deux types: les microplastiques primaires, relâchés dans l’environnement sous forme de petites particules, et les microplastiques secondaires, qui résultent du fractionnement dans l’environnement de déchets plus gros.

Cette semaine, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a publié la première estimation des quantités de microplastiques primaires rejetées dans les océans. Son analyse porte uniquement sur les plastiques fabriqués à partir de produits pétroliers et exclut donc, par exemple, le caoutchouc naturel, qui entre dans la composition des pneus de voiture. L’UICN a calculé que, chaque année, de 0,8 à 2,5 millions de tonnes de microplastiques primaires fabriqués à base de produits pétroliers s’ajoutent dans les océans. C’est énorme.

Les microbilles de plastique utilisées dans les produits d’hygiène et de beauté, dont on a beaucoup parlé, ne comptent que pour 2 % de ces déchets. Environ le tiers des microplastiques primaires rejetés dans les océans proviendrait, selon l’UICN, du lavage de vêtements en matières synthétiques (qui font partie des plastiques). Un autre tiers résulterait de l’érosion des pneus des voitures (si on y ajoutait la portion «caoutchouc naturel», les pneus compteraient pour presque la moitié des rejets de microplastiques primaires en mer). Le reste proviendrait, par ordre d’importance, de la poussière des villes, de l’usure des routes, des revêtements des bateaux et, finalement, des émissions directes des usines de plastique.


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