L’hiver dernier, Épigrippe, le réseau de surveillance de l’influenza au Canada, a détecté seulement 69 cas de grippe dans tout le pays, soit environ 800 fois moins que lors d’un hiver normal. Une forte diminution a été observée dans tous les pays qui ont appliqué des mesures sanitaires strictes contre la COVID au cours des saisons où le virus de l’influenza sévit habituellement le plus, soit à partir de décembre dans l’hémisphère Nord et de juillet dans l’hémisphère Sud. La distanciation, le lavage des mains, les masques et les confinements ont assurément permis de mater temporairement ce virus.
Les vaccins contre la COVID ne protègent évidemment pas contre la grippe. Et le relâchement des mesures sanitaires qu’ils autorisent fait craindre un retour de l’influenza. Certains experts s’inquiètent particulièrement du fait qu’après un hiver sans grippe, l’immunité naturelle contre le virus de l’influenza, ou celle due à d’anciens vaccins, puisse avoir fléchi, surtout chez les jeunes enfants.
Une grosse épidémie cet hiver ?
Jusqu’à présent, le nombre de cas de grippe au Québec, comme partout en Amérique du Nord, reste très peu élevé, contrairement aux autres virus respiratoires tels que le virus syncytial, qui est revenu en force dès la fin de l’été.
Prédire ce qu’il adviendra de la grippe cet hiver est quasiment impossible. « Deux forces opposées vont jouer : d’une part, après une année sans grippe, on risque d’avoir plus de personnes vulnérables ; d’autre part, on voit que les mesures sanitaires actuelles semblent encore bloquer le virus de la grippe, qui est moins contagieux que le virus syncytial », explique le Dr Gaston De Serres, épidémiologiste à l’INSPQ et membre du Comité sur l’immunisation du Québec. Si les mesures sanitaires sont relâchées dans les prochaines semaines, est-ce que l’influenza reviendra en force ? On ne le sait pas.
Une équipe du Public Health Dynamics Laboratory de l’Université de Pittsburgh a quand même tenté une prédiction basée sur une modélisation mathématique, avec deux études en prépublication et un article publié dans The Conversation (sans révision par les pairs). Les chercheurs concluent que si les Américains conservaient cet hiver la même distanciation qu’en 2020, le taux de grippe dans la population s’établirait à 53 infectés pour 100 000 personnes. Mais si plus aucune distanciation n’était appliquée, alors environ 20 % des Américains auraient la grippe cette saison, soit bien plus que d’habitude. Ils ont aussi calculé qu’il suffirait que le taux de vaccination contre l’influenza augmente de 25 % chez les enfants par rapport à ce qu’il est normalement pour que la saison de la grippe ne soit ni plus ni moins sérieuse que celles vécues avant la COVID, même sans distanciation.
Qui devrait prendre le vaccin ?
La grippe n’est pas dangereuse pour tout le monde, même si elle n’est jamais agréable. Dans une saison habituelle de l’influenza, environ 6 200 personnes au Québec sont admises à l’hôpital à cause de ce virus, dont 80 % sont atteintes de maladies chroniques. La moitié des personnes hospitalisées ont plus de 75 ans, 1 sur 5 est un enfant. La grippe tue en moyenne 420 personnes par an, dont 92 % sont atteintes de maladies chroniques et 88 % ont plus de 75 ans. Les résidants en CHSLD comptent pour la moitié des décès associés à la grippe.
Le Programme d’immunisation contre l’influenza au Québec a été mis à jour en 2018, pour voir s’il était toujours pertinent. Il vise à diminuer les hospitalisations et la mortalité. Le vaccin est recommandé — et payé par l’État — seulement aux personnes très susceptibles d’être hospitalisées ou de décéder, et à celles qui font partie de leur entourage. N’importe qui d’autre peut se faire vacciner, mais à ses frais (ou à ceux de son assureur). Chez les gens en bonne santé, estime le Comité sur l’immunisation du Québec, le vaccin ne diminue pas beaucoup les risques de complications, déjà très faibles. L’offrir gratuitement à tout le monde coûterait beaucoup trop cher par rapport au bénéfice attendu.
En septembre 2020, le Comité a décidé de maintenir cette recommandation malgré la pandémie, et son avis n’a pas changé depuis, note Gaston De Serres. « Quand bien même il y aurait une forte circulation du virus de l’influenza cet hiver, ce sont toujours les mêmes personnes qui présentent le plus grand risque d’hospitalisation et de décès. L’important, c’est que ces personnes soient vaccinées, et leur entourage aussi. Les autres peuvent prendre le vaccin si elles le souhaitent, mais elles ne risquent pas plus que d’habitude de tomber gravement malades de la grippe », explique le spécialiste.
Le Comité consultatif de l’immunisation du Canada, lui, recommande le vaccin à toutes les personnes âgées de plus de six mois qui n’ont pas de contre-indications, comme il le fait chaque année. Il part du principe que toute réduction du nombre de cas de grippe est bienvenue, même si ce ne sont pas des cas graves. Il ne prend pas en considération les coûts. Même s’il fait cavalier seul en Amérique du Nord, le Québec est loin d’être l’unique région du monde où le vaccin est recommandé seulement aux personnes les plus vulnérables, soit celles qui appartiennent aux groupes suivants :
– Les personnes âgées de plus de six mois et atteintes de certaines maladies chroniques, y compris celles qui sont enceintes ;
– Toutes les femmes enceintes de plus de 14 semaines (à cause des risques de la fièvre pour le bébé à naître) ;
– Les personnes âgées de 75 ans et plus.
La grippe étant tout de même assez contagieuse, le vaccin est aussi recommandé aux gens vivant avec des enfants de moins de 6 mois (pour lesquels il n’y a pas de vaccin même s’ils sont vulnérables) ou avec des personnes des catégories précédentes, ainsi que leurs aidants naturels. Enfin, il est fortement conseillé aux travailleurs de la santé.
Au Québec, aucune de ces personnes n’a à payer son vaccin, qui est aussi offert gratuitement aux enfants de 6 à 23 mois, même sans maladie chronique, et à tous les gens de plus de 60 ans, pour limiter la propagation du virus dans ces tranches d’âge.
Habituellement, cependant, de nombreuses personnes faisant partie de ces catégories ne se font pas vacciner. Avant la pandémie, par exemple, quelque 60 % des travailleurs de la santé, et plus d’un malade chronique sur deux, boudaient le vaccin contre la grippe. Cette année, tous ces gens devraient faire un effort, au cas où la grippe sévirait fort, pour se protéger, mais également pour préserver la capacité du système de santé à traiter les malades de la grippe ou d’autre chose.
Chez ceux qui sont peu susceptibles de souffrir de complications, la grippe dure habituellement de cinq à sept jours, mais de la fatigue et une toux résiduelle peuvent subsister pendant environ deux semaines de plus.
Un antiviral sur prescription comme l’oséltamivir pris dès l’apparition des symptômes pourrait raccourcir leur durée de quelques heures à peine. Il n’y a pas d’autres traitements, la seule chose à faire demeure de boire beaucoup et souvent, et au besoin de faire baisser la fièvre avec des médicaments comme l’acétaminophène ou l’ibuprofène. Consulter un médecin n’est pas nécessaire, sauf si la fièvre dure plus de cinq jours ou si respirer cause une douleur dans la poitrine. Si l’état général de la personne malade s’aggrave brusquement, il est conseillé de l’emmener aux urgences.
Si ces consignes ne sont pas respectées, que beaucoup de gens consultent même quand ce n’est pas nécessaire, et que les personnes vulnérables ou leurs proches ne se font pas vacciner, une grosse épidémie de grippe pourrait avoir des effets dramatiques sur le système de santé déjà à bout de souffle, et encore plus si par malheur une cinquième vague de COVID pointait son nez durant l’hiver.
La grippe vous inquiète, et vous êtes du genre à aller voir le médecin après deux ou trois jours de fièvre ? Même si vous n’êtes pas vulnérable, c’est une bonne année pour vous faire vacciner !
Le vaccin vaut-il la peine ?
La perception que le vaccin contre la grippe ne sert pas à grand-chose est une des principales raisons qui expliquent les réticences. Chaque année, la recette des vaccins est revue par l’OMS, en fonction des principales souches en circulation à la saison de la grippe précédente dans l’autre hémisphère. Pour l’hémisphère Nord, le choix se fait en février, pour laisser le temps aux fabricants de préparer les vaccins avec les quatre souches considérées comme les plus susceptibles de se transmettre. Pendant ce temps cependant, le virus continue de muter, et les souches présentes pendant la saison de la grippe ne sont pas toujours celles contenues dans les fioles. Même sans cela, l’efficacité du vaccin est loin d’être parfaite. Elle varie, en moyenne, entre 40 % et 60 % chez les adultes en bonne santé, et encore moins chez les personnes âgées, quand les souches sélectionnées sont celles qui circulent. Les pires années, l’efficacité n’atteint parfois pas 10 %. C’est très peu, mais mieux que rien pour les gens très susceptibles d’avoir des complications. Puisqu’on ne peut pas savoir à l’avance si le vaccin sera efficace à 10 % ou à 60 %, ces personnes ont tout intérêt à le prendre.
Comme il y a eu très peu d’influenza cette année, la recette choisie par l’OMS est basée sur un nombre limité de prélèvements. Le vaccin sera-t-il pour autant moins performant que d’habitude ? « Pas forcément, car le virus a aussi eu moins d’occasions de muter », croit Gaston De Serres.
Le vaccin contre la grippe est très sécuritaire, engendrant un nombre extrêmement faible d’effets indésirables sérieux. Le syndrome de Guillain-Barré, qu’on lui associe fréquemment, touche en réalité une personne sur un million de vaccinés. On ne sait pas pourquoi certains se retrouvent avec ce problème neurologique, qui disparaît souvent en quelques mois. La grippe augmente largement plus le risque d’être atteint de ce syndrome que le vaccin. Qu’on soit vacciné contre la grippe, contre la COVID ou contre les deux, un test de dépistage de la COVID reste nécessaire en cas de fièvre ou de toux (voir les détails ici), car aucun de ces deux vaccins ne protège complètement contre l’infection.
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