Faut-il une charte des valeurs cyclistes?

Beaucoup de vélo ces jours-ci au Québec. 24h de Tremblant cette fin de semaine, pour une bonne cause. Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal les 13 et 15 septembre avec d’excellentes équipes. Tant mieux : ça roule, ça spinne même. Au fait, aimez-vous le vélo culture ou nature?

Mais souhaitons d’abord bonne chance à tous les athlètes : la majorité réussira « proprement » et mérite notre admiration. Ça coûte en sacrifices, en douleur et en travail acharné de se rendre à ce niveau, un incroyable effort qui doit être soutenu par une volonté de fer.

Vraiment rien de comparable, je ne suis pas maniaque de vélo, mais j’en ai fait pas mal, plus jeune. De longs voyages, jusqu’à des milliers de kilomètres. Dont celui-ci, durant les vacances: de Montréal au Lac-Saint-Jean à Baie-Comeau, à Matapédia, au Nouveau-Brunswick, à l’IPE, et aux Iles-de-la-Madelaine. Puis retour, bien entendu, en faisant un petit croche par l’Acadie, avec mon ami Patrick Nantel.

Le vélo, c’est vraiment la plus belle façon de voyager. Le plaisir de découvrir le Québec à hauteur et vitesse humaine. Avec pas de casque, malgré les descentes folles des immenses côtes de Charlevoix. Je me suis calmé depuis. Je ne le ferais plus comme ça, j’ai tout de même été chanceux. Et mon vélo était nature, bien sûr.

La culture du dopage

Qui nierait qu’il y a aujourd’hui, dans le cyclisme de haut niveau (comme en d’autres sports d’ailleurs), une vraie culture du dopage, dévoilée en long et en large pas de multiples scandales juteux? Je ne vise pas du tout les compétitions mentionnées, je n’ai aucune idée de leur réalité quant au dopage. Mais quand on pense vélo, difficile de ne pas penser EPO.

Même chez nous. On se souvient de l’affaire Geneviève Jeanson. C’est d’ailleurs un des problèmes: à ce point, comment faire confiance?

Alors vous, nature ou culture? Nature, comme dans : j’ai toujours été propre. Culture, comme dans : j’ai failli et je le regrette.

Pour le cyclisme, c’est en effet une vaste culture: cette page établit la liste de plus de 200 cas.Et fort ancienne d’ailleurs, des traces durant tout le 20e siècle: des stimulants, amphétamine et cocaïne pour accélérer la machine; des analgésiques puissants pour calmer la douleur; des hormones, alors pas nécessairement interdites. De beaux mélanges.

La mort médiatisée du cycliste Tom Simpson, en 1967, suite aux abus d’amphétamines et d’autres substances, sonne la fin de la récréation et le début d’une action plus concertée pour mettre fin au fléau.

Ce qui n’est pas facile, en raison de l’omerta et de complicités complexes: du coureur aux soigneurs aux entraineurs aux médecins et bien au-delà.

Parce que c’est aussi une culture médicale. On imagine qu’il y a des spécialistes du dopage comme il y en a pour la transplantation du foie.

Les médecins aussi

C’est que le dopage sophistiqué d’aujourd’hui demande une complicité médicale. Les stéroïdes, ça passe encore, tout le monde peut apprendre à se les injecter, comme un diabétique s’injecte pour l’insuline vitale. Il s’agit surtout d’accroître la masse musculaire, donc la capacité brute. Avec les effets secondaires d’un traitement hormonal.

Mais on parle aujourd’hui de soins, beaucoup plus complexes: l’EPO, par exemple, médicament que je prescris parfois pour traiter l’anémie des grands malades du rein, source de notre EPO naturelle, vitale pour produire nos globules rouges.

Essentiel pour certains patients, parfois dangereux pour des athlètes qui n’en ont pas besoin: sans doute lié à certains décès d’athlètes, dont Johannes Draaijer, 26 ans. D’autres furent également retrouvés morts, sans qu’on puisse établir avec certitude le lien avec l’EPO – mais un doute fort subsiste. On ne peut pas pousser la machine sans risque, quand on sait que tout entrainement sollicite déjà beaucoup la machine humaine, comme j’en parlais récemment.

Tyler Hamilton raconté, dans son autobiographie repentante, que les cyclistes, dont Lance Amstrong, avaient appris à s’injecter l’EPO en petites quantités directement dans les veines (plutôt que dans les muscles), de manière à permettre une élimination rapide avant qu’on puisse doser le médicament.

Des traitements dignes de la banque de sang

Et on va plus loin, avec des autotransfusions: on se croirait à l’hôpital, en salle de chirurgie, où l’autotransfusion permet au patient de recevoir en effet son propre sang.

Imaginez la complexité : prélever le sang de manière stérile, le conserver en sécurité à la bonne température, l’acheminement des sacs de sang, la vérification, l’administration à vitesse contrôlée, la surveillance des effets secondaires… juste à temps pour rehausser le taux d’hémoglobine, qui transporte l’oxygène vital.

C’est bien de la médecine. Détournée de son sens, mais tout de même. C‘est d’ailleurs ce qui me surprend le plus. Risquer la santé d’un coureur, agir contre sa déontologie, défier la logique médicale.

Je comprends à la limite la volonté aveugle du coureur prêt à tout pour gagner une course – et de l’argent, on ne prend pas de tels risques sans qu’il en soit question. D’autant plus que ça doit coûter cher!

Prendre des risques

J’imagine que les transfusions, ça se passe assez bien. Mais on aussi parle de vrais risques, avec des molécules émergentes. Par exemple avec un nouveau produit, l’acadésine, qui permet d’augmenter la masse musculaire et de brûler des graisses. Parfait : rien de mieux qu’un coureur parfaitement maigre et musclé.

Le problème, c’est qu’elle n’a apparemment jamais été testée chez les humains. Quand on sait qu’au moins un coureur, le russe Valery Kaykov, a déjà testé positif, on s’inquiète. Le docteur Alberto Beltran Nino, ex-médecin de l’équipe Xacobea Galicia, a été arrêté en 2012 à Madrid avec l’acadésine dans ses valises et aussi du TB500, un produit vétérinaire. Autre petit nouveau: le GAS6, actuellement indétectable, un facteur de croissance qui favorise la sécrétion d’EPO par l’organisme.

Transporter l’oxygène : la clef

Il ne s’agit toutefois pas de mutants, seulement d’humains « améliorés ». En tous cas je l’espère, mais qui sait : si on peut déjà faire tout ça, peut-être travaillera-t-on un jour à la manipulation des gènes des coureurs?

Avec l’EPO et les autotransfusions, il s’agit d’accroître la capacité de transporter l’oxygène dans le corps en rehaussant la quantité de globules rouges. Aller bien au-delà de la normalité, afin de pouvoir rouler jour après jour, col après col, durant un mois, en tenant le coup, tout en restant dans la course. Les muscles en sont avides dans les cols alpestres.

On peut en mesurer aisément par la hausse de l’hématocrite, qui représente la proportion de cellules rouges dans le sang total.

C’est d’autant plus efficace pour le coureur de pointe que l’entrainement soutenu et les courses prolongées entrainent chez l’athlète une baisse graduelle de l’hématocrite, contre laquelle luttent alors l’EPO et d’autres techniques, comme les autotransfusions.

Lance Amstrong et les autres prouvent que ça marche. Et que ça permet de gagner sa retraite. Peut-être même que c’est la seule manière à ce niveau.

Remarquez, il y a des questionnements philosophiques possibles. D’autres champions étaient des dopés « naturels », si on veut : grâce à une anomalie génétique, comme l’écrivait dans les pages du NewYorker le journaliste Malcolm Glasdwell, Eero Mäntyranta, ayant naturellement un hématocrite très élevé, a pu remporter de multiples courses. Il pose une bonne question en fin de texte : pourquoi rejeter toute idée de transfusion alors que d’autres bénéficient naturellement d’une telle anomalie de l’hématocrite?

Un Tour de France 2013 « propre »

On a appris, en août 2013, qu’il n’y avait eu aucun dépistage positif cette année au Tour de France, malgré 622 échantillons prélevés, la majorité par prise de sang. Une première depuis 2009.

Une stratégie fructueuse de contrôle au hasard, selon la responsable Francesca Rossi:

« D’ordinaire, nous testions le maillot jaune, le vainqueur de l’étape, et deux autres choisis au hasard, mais cette année nous avons tout changé. Nous étions plus présents le soir, nous avons insisté avec des contrôles sur des coureurs à partir d’informations que nous avions. Nous étions là où ils ne nous attendaient pas. Et cela a été clair dès le début. »

Le gagnant, Christopher Froome, serait aussi un coureur « propre », du moins si on en croit Pat Mcquaid, président de l’Union cycliste internationale, pêche peut-être par enthousiasme, malgré les doutes soulevés par d’autres:

« Il avait quelque chose de spécial. Pour nous, ce n’était pas une grande surprise qu’il remporte le Tour de Franc. »

Évidemment, avec « quelque chose de spécial, pas besoin de se faire transfuser…

Des gens bien informés ont pourtant des doutes, comme l’ex-directrice technique nationale à la Fédération française de cyclisme, Isabelle Gautheron:

« Nous n’avons pas de preuves objectives mais je qualifierais la progression de Froome d’incroyable »

Qui peut vraiment croire sans douter au résultat de Christopher Froome? Lance Amstrong aussi était blanc comme neige. Comme tous les autres qui se sont fait prendre : ils ont tous un jour juré, la main sur le cœur, qu’ils étaient propres, outrés de voir peser sur eux de tels soupçons.

Comme la règle est de conserver les échantillons huit ans et que les techniques de dépistage évoluent constamment, il est tout à fait possible qu’un échantillon propre aujourd’hui se retrouve positif lors d’une future analyse.

Zabel a aussi chuté cet été

D’autres aveux spectaculaires cet été : ainsi, le sprinteur allemand Érik Zabel a reconnu s’être dopé entre 1996 et 2004 aux stéroïdes, aux produits sanguins et à l’EPO. Rien que ça. Il avait remporté six fois le maillot vert de meilleur sprinteur entre 1996 et 2001.

Un hasard sans doute. Jusque là, il n’avait admis qu’avoir « essayé » l’EPO en 2007. Sans l’inhaler, j’imagine (mais non : ça s’injecte!). Une autre étoile qui tombe. Comme il a témoigné lui-même :

« Je voulais avant tout conserver ma vie, ma vie de rêve en tant que cycliste professionnel. J’aimais tellement cela, cette discipline, les voyages. Mon égoïsme était tout simplement le plus fort. »

Ben oui. Il est quand même difficile de croire à cet intense sentiment de culpabilité, exprimé aussi par Lance Amstrong lors de sa célèbre entrevue avec Oprah, qui pousse le héros d’hier à se dénoncer afin de pouvoir « se regarder dans la glace »…

On dirait plutôt qu’on se lance à l’eau quand on est certain d’y tomber. Dans le cas de Zabel, une commission d’enquête française avait révélé des tests positifs à l’EPO pour Zabel au Tour de France 1998.

L’omerta

Les médecins qui encadrent le dopage ne se contentent pas d’administrer les substances, de surveiller leurs « patients », d’évaluer les effets et d’optimiser les capacités. De faire de la « surmédecine » pour « surdévelopper » leurs poulains.

Ils doivent aussi relever un défi encore plus grand : ne pas se faire prendre. Et comme toute bonne médecine, on souhaite, pour des raisons évidentes, laisser peu de traces.

Imaginez le degré de sophistication pour éviter de laisser paraître une trace d’EPO ou de stéroïdes. Synchronisme, agents masquant, triche pure et simple sur les échantillons, etc. Jeu de cache-cache où ils deviennent experts. Parce que l’échec n’est pas une option. Des dizaines de millions sont souvent en jeu. Dans ce jeu, apparemment, les autotransfusions demeurent indétectables. Du moins, pas directement.

Tout de même un beau sport

Bon, je ne dis pas que tout le monde est dopé. En bas de la hiérarchie, les intérêts en jeu ne sont pas suffisants. Plus haut, c’est répandu. Tout en haut, est-ce que c’est obligatoire? Certains le jurent.

Ce qui n’enlève rien à la beauté objective à ce sport mais laisse tout de même un goût amer. Avec ce qu’on sait maintenant, difficile d’être dupes.

Mieux vaut ne pas trop y penser lorsqu’on les regarde gravir des cols. Et oublier les médecins qui mettent à risque la santé de ces athlètes en s’adonnant à une pratique indéfendable.

Au fait, pour le titre… excusez-la. Ça devrait être interdit.



 

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