Les jeux vidéo seront-ils un jour prescrits sur ordonnance? La question est moins loufoque qu’il n’y paraît: certains jeux remplissent d’ores et déjà un rôle thérapeutique. Ainsi, Re-Mission s’adresse aux jeunes patients atteints de cancer: ils sont chargés de poursuivre et d’abattre des cellules cancéreuses. En tout, 34 centres de lutte contre le cancer, dont trois au Québec, ont participé à l’évaluation de l’efficacité de ce jeu vidéo conçu par HopeLab, organisation sans but lucratif installée en Californie. Le tout a mobilisé des professionnels du jeu, des oncologues, des psychologues, des biologistes et 375 jeunes patients aux États-Unis, en Australie et au Canada. Depuis la parution du jeu, en avril dernier, quelque 50 000 exemplaires en trois langues (français, anglais et espagnol) ont été distribués dans 69 pays.
«Il n’y a rien de pire que de s’engager dans une bataille sans connaître le visage ni les armes de son ennemi», explique Anne-Sophie Carret, pédiatre oncologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants de l’Université McGill, qui a participé à l’évaluation du jeu. «Re-Mission permet de visualiser des notions abstraites, comme les plaquettes ou la moelle osseuse, et de se placer dans la peau d’un guerrier au service de la justice.» Résultat: Re-Mission améliore l’adhésion des jeunes patients au traitement. Or, le manque de discipline — avec les risques d’échec thérapeutique qu’il implique — est courant chez les jeunes malades.
Re-Mission s’inscrit ainsi sur la liste des «jeux vidéo sérieux» les plus populaires. Apparu dans le domaine militaire, avec les programmes d’entraînement par simulation, ce type de jeux vise un objectif non ludique, médical ou éducatif par exemple. Pour cette raison, ces jeux ont souvent été conçus dans le cadre de partenariats public-privé. Le décollage commercial du secteur viendra sans doute de la formation en entreprise, important marché qui se prête bien à la création de jeux «sérieux». Ainsi, à Edmonton, en Alberta, la société Terris-Hill a conçu un programme ludique de formation des travailleurs de puits pétroliers.
Structuré aux États-Unis autour de rencontres professionnelles et de la Serious Games Association (SGA), le secteur est en train d’émerger au Canada. Jim Parker, professeur de science informatique à l’Université de Calgary et fondateur de la jeune SGA Canada, reconnaît toutefois que la tâche n’est pas facile: «Il est difficile d’obtenir du financement quand on parle de jeux; il vaut mieux, pour le moment, parler de simulation participative!»
Les applications possibles sont pourtant prometteuses. Au Québec, Stéphane Bouchard, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en cyberpsychologie clinique, a détourné des jeux vidéo afin de créer des environnements virtuels. «On les utilise pour traiter l’anxiété, c’est-à-dire permettre aux personnes phobiques d’affronter leurs peurs.» Autre exemple: Earthquake in Zipland. Elaboré par deux thérapeutes familiales, ce jeu aide les enfants à faire face aux situations de séparation parentale. Le joueur doit réagir à un tremblement de terre qui sépare en deux l’île de Zipland, une partie étant habitée par la reine, la seconde par le roi. Il doit composer avec la colère, la culpabilité, le conflit de loyauté…
Stéphane Bouchard travaille aujourd’hui à la conception d’un outil de dépistage précoce des maladies de Parkinson et d’Alzheimer. Il existe déjà une série de jeux de mémoire, d’attention visuelle et de raisonnement appelés Happy Neuron, destinés à entretenir les capacités cognitives. Professeur de science informatique à l’Université de Calgary, Katrin Becker, qui prépare une thèse sur l’usage pédagogique des jeux vidéo, rêve quant à elle à «un moyen amusant d’apprendre les tables de multiplication».
Enfin, le secteur humanitaire a généré de nombreux jeux vidéo sérieux. Outre Food Force, initiation à la problématique de la distribution de nourriture conçue par le Programme alimentaire mondial, signalons Force More Powerful, jeu où le joueur, un militant des droits de la personne, doit remplir diverses missions demanière pacifique: renverser un dictateur, défendre une minorité ethnique, etc.
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