
Souvent attribuée au célèbre chirurgien des rois et des champs de bataille Ambroise Paré, considéré comme le père de la chirurgie moderne, la devise «guérir parfois, soulager souvent, soigner toujours» (1) sonne encore juste aujourd’hui, tandis que les médecins croient toujours un peu plus souvent guérir qu’ils n’y réussissent vraiment.
Guérir parfois
S’il s’agit de guérir, bien entendu, le «parfois» indique le niveau de modestie requis lorsque l’on choisit de pratiquer la médecine. C’est que nous, médecins, acceptons encore un peu trop difficilement de voir la réalité résister quand nous n’arrivons pas à changer le cours des choses pour un de nos malades, c’est-à-dire à lui sauver la vie.

Au fait, une vie n’est jamais vraiment sauvée, en raison du taux de mortalité avoisinant 100 % pour l’espèce humaine. Sauver une vie signifie donc, en réalité, la prolonger en évitant une issue fatale à plus ou moins court terme.
On peut la prolonger de plus de 70 ans dans le cas d’une opération effectuée sur un adolescent souffrant d’une appendicite, un exploit remarquable. De quelques années grâce à certaines mesures efficaces préventives, comme l’arrêt du tabagisme. De quelques mois tout au plus avec l’aide de certaines chimiothérapies.
C’est en soupesant chacun des symptômes, en examinant avec attention, en tâtant abondamment, parfois jusqu’aux tréfonds, afin d’en arriver à un diagnostic plausible, confirmé — ou non — par des tests complémentaires, que l’on obtient ces résultats.
Il s’agira ensuite d’intervenir par des médicaments, une chirurgie ou toute autre approche utile, tout en croisant les doigts pour que la vie retrouve enfin son équilibre et que le malade continue son petit bonhomme de chemin.
Sous un certain angle, la médecine apparaît donc comme un métier quantitatif.
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Soulager souvent
Mais quand prolonger la vie est impossible, non souhaitable ou non souhaité, soulager demeure fondamental, par tout ce qui permet au malade de mieux vivre. On vise ainsi l’amélioration de la qualité de la vie plutôt que de sa quantité, bien que le concept lui-même soulève des questions difficiles.
Par exemple, certaines personnes disent qu’elles souhaiteraient mourir plutôt que de vivre avec un grave handicap, engendré par les suites fâcheuses d’un AVC massif. Pourtant, ces mêmes personnes voient soudain la vie d’un autre œil lorsqu’elles sont victimes d’un AVC. Et à posteriori s’en accommodent, ne serait-ce que pour continuer à voir de temps en temps leurs petit-enfants, cette source de bonheur qu’on dit intarissable.

La science est encore plutôt timide en ce domaine, comme en témoigne le manque relatif de recherches portant sur la qualité de vie — peut-être simplement parce que c’est plus difficile à mesurer. Au moins, le soulagement de la douleur aiguë ou chronique, en progression ces dernières décennies, permet d’accomplir mieux ce difficile travail.
Nous devrions toujours soulager la douleur, ce signal d’alarme utile pour repérer les menaces, mais nuisible quand il se prolonge. Et il s’agit également de nous attaquer à d’autres symptômes, comme l’essoufflement, la faiblesse, la fatigue, les étourdissements, les palpitations, les raideurs, l’angoisse et que sais-je — tous ces obstacles placés entre le patient et sa recherche, parfois modeste, du bonheur.
Comme en bien des domaines, la médecine aboutit à des résultats favorables par une conjonction d’approches biologiques, techniques et physiques qui ne cessent de se perfectionner, et auxquelles il faut ajouter l’effet placebo, dont on reconnaît aujourd’hui l’efficacité même si ses mécanismes ne sont pas encore clairs.
Si nous arrivons mieux à soulager, c’est que nous comprenons mieux les ressorts de la souffrance, que nous sommes plus solidement outillés pour la traiter, que nous respectons plus souvent la subjectivité de ses manifestations et que nous disposons de meilleures connaissances scientifiques pour nous guider.
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Chirurgie avant médecine
Historiquement, il me semble que c’est surtout grâce à la chirurgie, discipline révolutionnée notamment par Ambroise Paré, que les soins ont réussi à allonger la vie. Plus empirique que sa docte cousine la médecine, elle fut sans doute plus efficace quand une opération était bien effectuée.
Il est par exemple remarquable que l’appendicectomie et l’amputation d’une jambe gangrenée demeurent encore pratiquées de nos jours, alors qu’à peu près rien ne subsiste des rituels médicaux qu’on peut découvrir dans n’importe quel volume de médecine écrit avant 1900, comme l’administration d’un purgatif à un malade se vidant déjà abondamment de ses fluides en raison d’un choléra carabiné.
C’est que de la médecine à proprement parler, il fallait alors se méfier, grevée qu’elle était par des concepts farfelus, prodiguée par des médecins plus lettrés que soucieux des effets réels des saignées, purgatifs, fumigations et clystères ayant sévi plus de deux millénaires, soit jusqu’au début du XXe siècle et même après.
Bien qu’Hippocrate ait eu le mérite, avec sa théorie des humeurs, de dégager la médecine des causes surnaturelles, les curieuses pratiques visant à équilibrer le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire n’arrivaient toujours pas, des siècles plus tard, à la cheville des techniques mises au point par Ambroise Paré pour améliorer le sort des malades, en optant par exemple pour la ligature des artères lors d’une amputation plutôt que l’huile bouillante et le fer rouge.

Et si le cas de l’appendicectomie est clair, d’autres soins prêtent encore le flanc à des critiques, quand nous entretenons l’illusion d’allonger la vie sans vraiment y réussir ou encore d’améliorer la qualité de vie malgré les évidences contraires.
Soigner toujours
Quant à soigner, défini comme «s’occuper de quelqu’un, quelque chose, traiter avec attention» (Antidote), notre frénésie contemporaine met à mal ce principe, même si on a beaucoup exagéré la prétendue déshumanisation du métier que je pratique depuis maintenant 26 ans avec autant de bonheur qu’à mes débuts.
«S’occuper de quelqu’un», «traiter avec attention», j’essaie tous les jours d’y arriver, même à l’urgence où tout se passe un peu trop rapidement, par la force des choses, mais où on peut tout de même utiliser ces quelques minutes passées avec chaque patient pour le convaincre qu’il mérite alors toute notre attention.
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(1) MISE À JOUR 10 septembre 2016, 8h40: la devise est aussi attribuée à Hippocrate ou Pasteur et connait des variantes, notamment « Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours. »
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Intéressant cet article, mais… j’hallucine ou les photos ne coïncident pas du tout avec la légende en dessous?
Oh, c’est corrigé! Oubliez ça!