Histoires d’abeilles

Une découverte pourrait enfin expliquer pourquoi les populations d’abeilles continuent de diminuer partout dans le monde malgré les efforts des scientifiques et des politiciens pour bannir certains pesticides néfastes.

Photo : Antoine Bordeleau pour L’actualité

Lectrice, replongez un instant dans votre jeune vie adulte. Le vendredi soir enfin venu, vous vous préparez à sortir entre amies pour faire la fête, peut-être même aller rencontrer (ou du moins observer) l’âme sœur. Vous êtes prête pour l’aventure… Après tout, qui sait où la soirée mènera ?

Avant de partir, il faut se coiffer soigneusement. Peut-être aussi enfiler une nouvelle blouse ? Appliquer un peu de mascara ou de poudre sur les joues ?

Maintenant, imaginez que, arrivée au bar, vous êtes accostée par un jeune homme avenant, mais qui dégage une forte odeur… de vinaigre. « Ah, c’est mon parfum ! Hier soir, j’ai mis ma fragrance à l’urine, mais je préfère alterner les deux », répond-il à votre question circonspecte.

Devant votre air horrifié, il avance : « Quoi ? Aucune étude scientifique ne démontre que ces odeurs ont un quelconque effet sur ma santé ou mon espérance de vie. »

Il se dirige ensuite directement vers la scène de karaoké, où il interprète « My Heart Will Go On », avec une voix qui ressemble à celle d’un chat qu’on égorge.

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Les abeilles sont sans contredit parmi les pollinisateurs les plus importants de la planète. Elles pollinisent non seulement les plantes à fleurs, mais surtout de nombreuses cultures cruciales pour l’alimentation des huit milliards d’humains sur Terre. Le déclin de leurs populations observé un peu partout dans le monde est donc considérablement inquiétant. Les chercheurs citent déjà plusieurs causes pour expliquer ce phénomène, dont les changements climatiques et l’utilisation de certains pesticides.

Le fongicide ne nuirait donc pas à la santé de l’individu autant qu’à la santé de l’espèce entière !

Lorsque des produits chimiques sont soupçonnés d’être trop néfastes pour la faune et la flore, ils sont généralement réétudiés par la santé publique et éventuellement retirés des rayons (ou, du moins, leur usage devient illégal). Il arrive toutefois que certains produits aient des effets indésirables beaucoup plus difficiles à noter, quand le trait entre l’effet et la cause ne se trace pas en ligne droite.

C’est le cas d’un fongicide populaire et fort utile appelé le fenbuconazole, employé abondamment pour protéger les cultures de blé et plusieurs types de fruits contre les moisissures (champignons). Jusqu’à tout récemment, le fenbuconazole était classé sécuritaire pour les abeilles puisque, selon les études préliminaires, l’exposition à ce produit n’avait aucun effet sur leur santé ni sur leur comportement ou leur développement.

Mais surprise : une nouvelle étude plus approfondie, menée par Samuel Boff, chercheur en écologie à l’Université d’Ulm, en Allemagne, nous apprend que le fenbuconazole, même s’il ne tue pas les abeilles, semble dramatiquement nuire à la parade nuptiale qu’effectuent les abeilles mâles dans le but d’attirer des abeilles femelles. Cette danse de l’amour consiste à faire vibrer leur thorax à une certaine fréquence (comme une sérénade !) en plus d’essayer de répandre leur odeur autour de partenaires femelles potentielles.

Sauf que… l’étude de Boff démontre que les populations d’abeilles mâles ayant été exposées au fenbuconazole chantent à une fréquence plus basse que celles ne l’ayant pas été. De plus, le fongicide entraînerait une modification du profil chimique des abeilles mâles, ce qui aurait un effet important sur leur odeur corporelle. L’expérience contrôlée a également révélé que les femelles semblent rebutées par l’odeur des mâles exposés au fongicide.

Bref, le mâle chante mal et sent mauvais. Oh, cela n’affecte pas directement sa santé ni son espérance de vie, mais lorsque vient le temps de trouver une partenaire avec qui se reproduire, il se fait répondre : « Hum… tu es bien gentil, mais… »

Le fongicide ne nuirait donc pas à la santé de l’individu autant qu’à la santé de l’espèce entière ! Cette découverte pourrait expliquer, en partie, pourquoi les populations d’abeilles continuent de diminuer partout dans le monde malgré les efforts des scientifiques et des politiciens pour bannir certains pesticides néfastes, et ce, depuis plusieurs décennies.

J’aime répéter à mes étudiants que les sciences naturelles n’avancent pas en ligne droite, mais passent plutôt par des cycles de recherches improductives frustrantes, puis de grandes découvertes historiques. Parfois, les scientifiques doivent creuser davantage à travers les recherches de leurs prédécesseurs pour mieux comprendre les causes et effets dans la nature. Ce n’est que la persévérance et la curiosité qui feront tomber les murs de ses mystères.

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Votre prétendant dépose le micro et vous rejoint à votre table, l’air parfaitement confiant. Son émanation d’acide acétique vous frappe au visage et vous fait grimacer à en avoir les larmes aux yeux. « Tu as entendu cette chanson ? Elle était pour toi… », dit-il en souriant. Du coin de l’œil, vous cherchez subtilement la sortie de secours.

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C’est comme dans un sketch de Ti-Gus et Ti-Mousse dans les années 60-70 alors que Ti-Gus demandait à Ti-Mousse : Qu’est-ce que le papa abeille fait avec la maman abeille ? Sais pas répond Ti-Mousse. Il la désabeille !
Besoin de plus de détails ?

Certainement, mais les reines doivent d’abord être fécondées. D’où la parade nuptiale des mâles.

Ce qui démontre qu’une science n’est jamais fermée, terminée, aboutie. Il en va de même pour d’autres domaines de la vie courante très en vogue ces dernières années.

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