L’auteur est urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur titulaire à l’Université de Montréal, il enseigne, participe à des recherches en médecine d’urgence et intervient fréquemment sur les enjeux de santé.
Tous les médecins ratent des diagnostics, même graves et urgents — notamment aux urgences. C’est la nature de la médecine qui implique cela, peu importe le temps, le sérieux et l’énergie que l’on met à soigner un patient, même sans commettre d’erreur. Comme cette réalité peut surprendre, décevoir et inquiéter, je vais tâcher de vous l’expliquer simplement.
Il faut voir le diagnostic comme une conclusion reposant sur l’analyse de faits connus. Cette analyse, qui s’opère dans le cerveau du médecin, permet de déterminer quel problème de santé concorde le mieux avec un ensemble de signes et de symptômes variés.
En médecine d’urgence, cela va peut-être vous étonner aussi, la première responsabilité de l’urgentologue n’est pas tant de le trouver, ce fameux diagnostic, que de manquer le moins possible de diagnostics graves. Ce qui correspond à deux résultats fondamentaux : celui de « confirmer » un diagnostic et celui de l’« éliminer ».
Dans bien des cas, la situation est si évidente qu’elle ne requiert aucune démarche diagnostique, l’important étant surtout de soigner le patient rapidement. Par exemple lors d’un arrêt cardiaque, qui trompe rarement. Dans cette lignée, on trouve également l’infarctus aigu, l’AVC flagrant, la fracture bien visible, la crise d’asthme intense ou la réaction allergique sérieuse.
Sauf que, pour la majorité des autres consultations aux urgences, les diagnostics ne sont pas écrits aussi clairement dans le front. La stratégie du médecin vise alors à « confirmer » ou à « éliminer » un ou plusieurs des diagnostics compatibles avec la présentation clinique.
Au terme de cette démarche, le médecin manquera inévitablement certains d’entre eux, même parmi les plus graves. Rarement un arrêt cardiaque, une fracture évidente ou une réaction allergique importante ; mais fréquemment de plus subtils, comme un infarctus peu symptomatique, un AVC discret, un petit caillot dans les poumons — qu’on appelle une embolie pulmonaire — ou même une déchirure de l’aorte, souvent mortelle.
La raison est simple : de manière générale, les examens réalisés ne permettent jamais de détecter 100 % des problèmes de santé, de sorte qu’un certain pourcentage des diagnostics est toujours manqué. Pour décrire ce phénomène, on dit aussi que les tests ont une sensibilité imparfaite.
Par exemple, le scan, meilleur examen pour détecter une embolie pulmonaire, ratera toujours environ 10 % des cas, selon les études faites sur le sujet. De tels résultats normaux sont alors étiquetés « faux négatifs ».
Tout l’art — et la science — de la médecine consiste à viser un délicat équilibre entre la détection de la plupart des problèmes médicaux graves et l’acceptation, à la fois par le médecin et par la personne soignée, que certains diagnostics seront manqués.
Si on voulait éviter tous les faux négatifs et repérer 100 % des cas graves et urgents d’embolie pulmonaire, il faudrait répéter les scans ou pratiquer un grand nombre de tests complémentaires, ce qui est impensable, sauf quand la gravité objective de l’état du patient impose de trouver absolument la réponse.
C’est que multiplier ainsi les tests pour déceler davantage d’embolies pulmonaires engendrerait un autre ennui tout aussi sérieux, celui des « faux positifs » : même les meilleurs tests pointent régulièrement des diagnostics qui n’existent pas dans la réalité.
De tels « mensonges » sont cette fois liés au manque de spécificité des tests. Pour continuer dans l’exemple, disons qu’environ 1 scan sur 20 (5 %) donne un diagnostic d’embolie pulmonaire… malgré l’absence de celle-ci.
Lorsqu’on répète indûment ces tests pour ne manquer aucun diagnostic, on augmente d’autant le nombre de faux positifs. Ce qui n’est pas sans conséquence, parce que les traitements administrés, des anticoagulants, comportent aussi leur lot de risques.
En médecine d’urgence, on atteint un juste équilibre quand on trouve la majorité des embolies pulmonaires, surtout les plus sérieuses, sans toutefois aboutir à un taux élevé de faux positifs. Cela implique d’en manquer un certain nombre, dans notre exemple jusqu’à 10 %.
En multipliant ce pourcentage par le nombre présumé d’embolies au Québec annuellement, c’est-à-dire environ 6 500, on peut estimer que 650 embolies passent probablement sous le radar d’une manière ou d’une autre chaque année, soit 2 par jour. Rassurez-vous, il s’agit souvent de celles qui présentent le moins de risques.
Tout l’art — et la science — de la médecine consiste à viser un délicat équilibre entre la détection de la plupart des problèmes médicaux graves et l’acceptation, à la fois par le médecin et par la personne soignée, que certains diagnostics seront manqués.
Ce qui n’est pas facile à admettre, parce que rater un diagnostic comporte son propre lot de répercussions sérieuses. Sauf que cette limite de la médecine est aussi inéluctable que la pluie et le beau temps.
Bien qu’on aime pouvoir dire au patient que « tout est beau », c’est souvent une illusion, qu’il vaut mieux nuancer tout de suite en ajoutant : « Mais si ça ne va pas, surtout, revenez nous voir ! »
Cette chronique a été publiée dans le numéro d’avril 2023 de L’actualité, sous le titre « Rater un diagnostic ».
Merci pour cet article sincère et honnête. La perfection n’existe nulle part. La médecine est un science et un art difficile, complexe et pratiqué dans des situations pas toujours idéales. Les personnes douées qui la pratiquent méritent notre admiration et notre reconnaissance.
Encore merci pour ce témoignage.
Claude COULOMBE