Inverser la mort : l’étrange histoire de la réanimation

Avant la méthode de la compression thoracique et les défibrillateurs, d’autres soins parfois surprenants ont été prodigués aux noyés et autres personnes « presque mortes ». Voyage dans le temps avec une historienne de la médecine. 

ducan1890 / Getty Images ; montage : L’actualité

L’auteure est maître de conférences dans le domaine de l’histoire des sciences, de la technologie et de la médecine au King’s College de Londres.

La plupart d’entre nous savent probablement — plus ou moins — comment réanimer l’un de leurs semblables. Même si vous n’avez pas suivi de cours de réanimation cardiorespiratoire (RCR), vous avez sans doute vu la technique de nombreuses fois à la télévision ou au cinéma.

Les premiers moments de l’histoire de la réanimation ont été, à bien des égards, spectaculaires. Ainsi, le 1er juin 1782, un journal de Philadelphie rapportait la dernière prouesse en matière de réanimation : un enfant de cinq ans avait été ramené à la vie après s’être noyé dans le fleuve Delaware.

Le petit Rowland Oliver jouait sur l’un des quais grouillants d’activité construits sur les rives du Delaware pendant la période de l’industrialisation lorsqu’il est tombé à l’eau. Il a lutté pendant 10 minutes, puis s’est retrouvé inerte. Un ouvrier l’a repêché et l’a amené chez ses parents.

Bien que l’enfant ait été rendu visiblement sans vie à sa famille, ses parents se seraient aperçus qu’il était seulement « mort en apparence », selon le journal. Cela les a galvanisés et ils sont passés à l’action. Ils « lui ont immédiatement enlevé tous ses vêtements, l’ont giflé » et « l’ont frotté avec des chiffons de laine trempés dans de l’alcool ».

Le médecin, arrivé peu après, a fait la même chose. Ils ont également plongé les pieds du petit Rowland dans de l’eau chaude et lui ont administré un agent émétique (vomitif) par voie orale. Après environ 20 minutes, la vie est revenue dans le corps du garçon. Une petite saignée a été pratiquée, pour atténuer d’éventuels effets secondaires, et le jeune Rowland a vite retrouvé sa vivacité habituelle.

Sociétés humanitaires

Ce récit n’est qu’une illustration parmi d’autres des nombreuses histoires de réanimations réussies diffusées dans les journaux par les sociétés humanitaires nouvellement créées à cette époque.

Ces sociétés ont émergé au milieu du XVIIIe siècle à Amsterdam, ville connue pour ses canaux… dans lesquels un nombre croissant de personnes se noyaient. Leur but était d’éduquer le public sur le fait que la mort — du moins par noyade — n’était pas forcément sans appel, et que les passants avaient le pouvoir d’empêcher les noyés apparemment morts de rejoindre réellement l’au-delà.

À Philadelphie, la résurrection du petit Rowland a rendu ces idées crédibles et a inspiré la société humanitaire locale : celle-ci a installé, le long des cours d’eau de la ville, des trousses contenant des médicaments, des outils et des instructions pour ranimer les noyés.

Les méthodes ont évolué au fil du temps, mais jusqu’au XIXe siècle, les efforts de réanimation consistaient essentiellement à stimuler le corps pour le remettre en mouvement mécaniquement parlant. Les sociétés humanitaires recommandaient souvent de réchauffer la victime de noyade et de pratiquer la respiration artificielle. Peu importait la méthode, ce qui comptait était de redémarrer la machine corporelle.

La stimulation externe — les frottements et les massages effectués par les parents du jeune Rowland — était essentielle. De même, la stimulation interne, généralement par l’introduction de rhum ou d’une autre concoction stimulante dans l’estomac, était courante. Mais une autre méthode destinée à exciter l’intérieur du corps était plus étonnante : les sociétés humanitaires proposaient en effet de procéder à une « fumigation au tabac » du côlon des victimes de noyade. Oui, vous avez bien lu : les efforts de réanimation exigeaient de souffler de la fumée de tabac dans l’anus d’un noyé apparemment mort.

Au XXe siècle, d’autres dangers ont émergé, eux aussi potentiellement mortels. Tout comme les noyades s’étaient multipliées au XVIIIe siècle, en raison de l’utilisation accrue des voies navigables résultant de l’industrialisation, l’arrivée de l’électricité généralisée — avec ses lignes de transport — et de l’automobile a ajouté l’électrocution et l’asphyxie aux causes de mort possibles…

Un nouveau lieu de stimulation

Les méthodes de réanimation ont également évolué, les efforts se concentrant davantage sur la stimulation du cœur. Pour cela, il arrivait que l’on manipule un corps apparemment mort afin de le mettre dans différentes positions. Les compressions thoraciques et les techniques de respiration artificielle sont aussi devenues de plus en plus courantes.

Mais ces modifications de techniques n’ont pas enlevé à la réanimation son caractère « démocratique » : elle pouvait être pratiquée par quasiment n’importe qui. Ses applications restaient cependant liées à certaines circonstances. En effet, la mort apparente ne pouvait résulter que d’un nombre limité de situations…

Les choses ont changé au milieu du XXe siècle. À cette époque, la réanimation a commencé à acquérir une réputation de traitement miraculeux, utilisable pour toutes sortes de « morts », et elle s’est bientôt limitée aux professionnels médicaux ou intervenants d’urgence. De nombreuses raisons expliquent ce changement, mais une en particulier a joué un rôle crucial dans cette mutation : la reconnaissance du fait que les accidents chirurgicaux causaient eux aussi des morts apparentes.

Lorsque le chirurgien américain Claude Beck parlait de ses propres tentatives de transformation de la réanimation, au milieu du XXe siècle, il évoquait souvent ce qu’était cette discipline quand il était encore en formation, à la fin des années 1910.

À l’époque, se souvenait-il, quand le cœur d’un patient s’arrêtait sur la table d’opération, les chirurgiens ne pouvaient rien faire d’autre que d’appeler les pompiers et d’attendre qu’ils apportent un pulmotor, le précurseur des respirateurs artificiels que nous connaissons aujourd’hui. Comme si tout le monde pouvait pratiquer la réanimation, sauf les professionnels médicaux…

Trouvant cela inacceptable, Beck s’est lancé à la recherche d’une méthode de réanimation adaptée aux dangers particuliers de la chirurgie.

Les nouvelles techniques que Claude Beck et d’autres chirurgiens ont expérimentées alors reposaient toujours sur la stimulation. Mais elles s’appuyaient sur quelque chose dont les chirurgiens bénéficiaient plus ou moins exclusivement : l’accès à l’intérieur du corps. L’une de ces nouvelles méthodes consistait à appliquer de l’électricité directement sur le cœur (défibrillation). Une autre demandait de plonger la main dans la poitrine du patient et de masser son cœur.

Beck considérait ses premiers succès au bloc opératoire comme une promesse que ses techniques pourraient voir leur efficacité encore étendue. En conséquence, il a élargi sa définition de ce qu’était un patient ranimable. Il a ajouté à la catégorie relativement restreinte des personnes « apparemment mortes » toutes celles qui n’étaient pas « absolument et indiscutablement mortes ».

Le chirurgien américain a réalisé plusieurs films témoignant de ses succès. L’un d’eux, The Choir of the Dead (le chœur des morts), montre les 11 premières personnes que Beck est parvenu à réanimer se tenant debout, maladroitement côte à côte, tandis qu’il leur demande tour à tour, sur un ton étonnamment jovial : « De quoi êtes-vous mort ? »

« Le chirurgien Claude Beck posant aux côtés de ses patients ressuscités »

Les techniques mises en place dans les lieux médicaux découlaient directement de la réanimation pratiquée ailleurs, elles en constituaient une extension, en quelque sorte. Il est cependant vite devenu évident que ces méthodes médicales, privilégiant l’accès à l’intérieur du corps, ne seraient pas facilement « démocratisables ».

Cela ne signifie pas que Beck n’a pas essayé de les faire sortir du cercle médical. Il imaginait même un monde où ceux qui étaient formés à ses méthodes auraient porté en permanence un scalpel de chirurgien, toujours prêts à ouvrir une poitrine pour masser un cœur et le faire repartir…

Mais la communauté médicale s’est révoltée contre cette idée. Elle était non seulement inquiète de voir émerger des « civils-chirurgiens », mais aussi soucieuse de maintenir son monopole professionnel sur l’intérieur du corps.

Ce n’est qu’avec l’avènement, plusieurs années plus tard, de la méthode, moins choquante, de la compression thoracique que l’imprimatur démocratique de la réanimation a été rétabli.

La vision de Beck selon laquelle la mort est généralement réversible a persisté. Elle a atteint son apogée en 1960, lorsque des études médicales ont déclaré que le taux de survie de la réanimation se situait à « plus de 70 % ». Des études ultérieures ont corrigé cette conclusion trop optimiste, mais la réputation de la réanimation en tant que traitement largement applicable et extrêmement efficace était déjà établie. Et il semblerait qu’elle persiste aujourd’hui, si l’on en croit des rapports récents.

Cet article est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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