Jamais sans mon pétrole !

La relation des Québécois avec le pétrole est schizophrénique, constate Jean-François Lisée après avoir pris connaissance des résultats d’un grand sondage CROP.

Sondage : jamais sans mon pétrole !
Illustration : Pishier

Comme les autres Occidentaux, les Québécois sont accros au pétrole. Ils le savent. Mais ils ne pensent pas pouvoir s’en passer facilement. Et ils n’essaieront sérieusement de le faire qu’à une condition : si le prix à la pompe double.

Voilà quelques-uns des résultats du grand sondage réalisé par CROP pour Les Rendez-vous de l’énergie et L’actualité. On y apprend que nos comportements peuvent changer, certes, mais qu’à moins qu’un grand coup ne soit porté à notre portefeuille, il faudrait d’abord faire reculer notre ignorance collective en matière d’énergie.

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On le sait, la voiture individuelle constitue le principal consommateur de pétrole au Québec – devant le camionnage et l’industrie. Toute tentative sérieuse de réduire la dépendance québécoise, donc de garder ici une part des sept milliards de dollars annuels qui se volatilisent dans nos moteurs à explosion et qui profitent aux producteurs étrangers, passe par une réduction massive de l’utilisation de nos énergivores véhicules.

À terme, bien sûr, les conducteurs québécois se voient rouler en tout-électrique ou en hybride. Ils sont majoritaires à se voir le faire d’ici 10 ans. Mais c’est un vœu, pas une résolution, et la question du coût de ces véhicules restera un frein majeur à leur achat tant qu’il ne sera pas compétitif par rapport à celui de la voiture polluante.

Pour l’heure, les Québécois considèrent leur véhicule comme nécessaire (63 %) et jugent qu’ils font une utilisation responsable du pétrole (73 %), tant et si bien qu’ils estiment qu’il leur serait difficile de réduire leur consommation (68 %).

Ce ne sont pas là des indices qui signalent que la population est sur le point de basculer dans l’univers postpétrolier.

C’est peut-être qu’elle n’en saisit pas encore parfaitement les enjeux. Vous, lecteurs fidèles de L’actualité, savez qu’au Québec on a des idées, mais pas de pétrole. Du moins pas en exploitation. Nous importons donc 100 % de celui qui est consommé ici. Mais les Québécois ne sont que 54 % à connaître cette information cruciale. Et à soupçonner, donc, la perte économique, pour nous, de tout cet argent laissé à la pompe (5 % croient que nous sommes exportateurs de pétrole, et la même proportion nous pense autosuffisants !). Alors, rendez service à la nation en débusquant et en détrompant les 15 % de Québécois qui fabulent en croyant que cette ressource est inépuisable.

Pourtant, les Québécois avouent abuser du pétrole. Ou du moins, reconnaissent qu’ils pourraient s’en passer. Il y a des cas – des tas de cas – où un déplacement pourrait se faire en transport en commun, en vélo ou à pied plutôt qu’avec sa Toyota. Pas moins de 43 % des conducteurs avouent ne jamais sauter sur ces occasions. C’est beaucoup.

Attendez, il y a pis : un Québécois sur quatre admet prendre la voiture pour un trajet qu’il pourrait facilement effectuer… à pied ! Principaux coupables : les hommes !

Il y a donc, comme le disent les économistes, de l’élasticité dans le comportement. Traduction : de la marge de manœuvre, du changement potentiel. Que faire pour le provoquer ? Les répondants le savent. Ils l’ont vécu récemment : une hausse du prix du pétrole. Seuls 24 % sont insensibles à ces variations. Mais 76 % le sont un peu (31 %), assez (20 %) ou tout à fait (25 %).

Cette récente augmentation du prix du pétrole, combinée avec une meilleure conscience écologique, explique pourquoi les Québécois ont fait, ces deux dernières années, quelques petits pas pour s’éloigner de cette source d’énergie. Au total, 32 % avouent utiliser leur voiture moins souvent qu’avant, 16 % recourent plus aux transports en commun et 24 % marchent ou pédalent davantage. Plus ils sont conscients des problèmes posés par le pétrole, plus ils sont susceptibles de modifier leurs habitudes. L’éducation est donc une des clés du changement – surtout chez les jeunes qui affirment ne pas se sentir concernés par la question.

Mal informés, mais pas dingues, les Québécois. Lorsqu’on leur demande si nous devrions chercher des substituts au pétrole que nous importons, 95 % sont d’accord (les 5 % restants doivent être de récents immigrants albertains ou saoudiens, mais ce n’est que mon hypothèse personnelle). D’autant qu’à des degrés divers, mais toujours en majorité, les répondants savent que l’utilisation du pétrole est liée à la pollution (92 %), à des problèmes de santé (54 %), au réchauffement climatique (77 %), à l’étalement urbain (60 %) et qu’elle a des répercussions sur l’économie de la province (64 %).

Si seulement on y pouvait quelque chose ! Mais les Québécois sont, au choix, défaitistes ou rétifs, car pour 77 % d’entre eux, on ne peut rien faire ou presque rien, individuellement, pour renverser la vapeur… Ai-je aussi dit qu’ils sont schizophrènes ? Car à la question suivante, ils montrent du doigt ceux à qui appartient la responsabilité de réduire la consommation de pétrole : les simples citoyens (à 52 %) ! Suivent les autorités publiques, à 31 %. Mais ils n’attendent presque rien de l’industrie pétrolière (6 %), un signe de lucidité.

 

Assez de diagnostics. L’heure est à l’action. Que faire ? Exploiter les res­sources pétrolières qui gisent dans l’estuaire du Saint-Laurent, à 100 km des îles de la Madeleine ? Les Québécois étaient divisés, alors qu’avait commencé le désastre de BP dans le golfe du Mexique : 48 % pour, 52 % contre. Exploiter les réserves gazières de la fertile vallée du Saint-Laurent ? Quelque 58 % sont pour. Mais le débat sur les retombées écologiques commence à peine.

Tout bien considéré, il est un facteur qui pousserait les Québécois à se désintoxiquer considérablement du pétrole : une nouvelle flambée des prix. À deux dollars le litre – et si ce coût était constant -, les énergivores que nous sommes prendraient collectivement (78 %) la décision de se mettre au régime. Tout y passerait : on consommerait davantage localement (82 %), on achèterait un véhicule moins glouton (75 %), on utiliserait les transports en commun ou on marcherait (62 %), on irait moins loin en vacances (54 %).

Donc, la solution est toute trouvée. Plutôt que d’attendre une hausse du prix, le gouvernement n’a qu’à imposer une lourde taxe, non ? Non ! Nous sommes 80 % à crier « non » et 61 % à refuser des péages sur les autoroutes, tandis que 76 % ne veulent pas débourser davantage pour le stationnement. Étrange : alors que nous rechignons à payer plus, nous consentirions à ce que l’État nous… – comment dire ? – nous finance ! Nous accepterions de bonne grâce un crédit pour l’achat d’un véhicule vert (93 %) ou pour le remplacement des appareils au mazout (86 %). Et puis, nous voyons d’un bon œil le développement du rail (90 %) et des transports en commun (85 %) ainsi que l’électrification du réseau d’autobus (83 %). Avec quels sous ? Mystère !

Ne croyez pas que les Québécois succombent dans tous les cas et en tous lieux au syndrome du « pas dans ma cour ». Beaux joueurs, ils accepteraient que passe à moins d’un kilomètre de chez eux une ligne de tramway (66 %) ou un TGV (65 %) et qu’on installe dans ce même périmètre un parc éolien (75 % – chiffre très élevé et assez surprenant) ou de capteurs solaires (86 %).

Notre ouverture au changement a cependant des limites. Nous voulons bien nous passer de pétrole, mais à un kilomètre de chez nous, pas question d’ajouter des lignes à haute tension (64 %), un puits de gaz naturel (66 %) ou un gazoduc (62 %), et encore moins un oléoduc (77 %). Pas chauds non plus pour une bioraffinerie (50-50), et surtout pas de centrale nucléaire (89 %).

En un mot : on n’est pas sortis du pétrole !

Note : Le sondage a été réalisé par la maison CROP du 7 au 21 juin 2010 auprès d’un panel Web de 1 018 répondants québécois.

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